Aujourd’hui et d’une certaine manière l’état d’urgence sanitaire est devenu un anticorps.
Notre Vème République a connu huit fois l’état d’urgence entre 1955 et 2015. Une première fois pour faire face aux événements liés à la guerre d’Algérie, la dernière fois en raison des attentats du 13 novembre 2015, prolongé jusqu’au 1er novembre 2017 après les attentats de Nice. Au regard des institutions et de l’histoire de la Vème République, la situation d’urgence sanitaire que nous connaissons n’a aucun précédent. Il faut faire face à une réalité sans barguigner. Pourtant, certains ne peuvent s’empêcher de jouer les Cassandres, soit en annonçant un mauvais présage alors qu’il est déjà arrivé, c’est le « je vous l’avais bien dit », soit en assimilant la notion d’état d’urgence à un putsch contre les libertés individuelles. Venant de l’extrême gauche ou de l’extrême droite et connaissant le peu de cas qu’elles font par idéologie de ces libertés, il vaut mieux en rire. Ce serait demander des leçons de morale au tenancier d’une maison close.
Cependant les authentiques démocrates ont le droit de se poser la question. Depuis 1945 les démocraties occidentales n’ont connu que la paix et ses avantages, à tel point que parfois le citoyen semble entretenir avec la liberté un simple rapport de consommateur. Il vit la liberté rognée comme un produit défectueux. J’aime ou j’aime pas. La démocratie est devenue un self-service. On a oublié qu’elle a été gagnée de hautes luttes et qu’elle demeure fragile. Ce n’est pas l’état d’urgence sanitaire et économique qui la menace mais cette absence d’Etat. Aujourd’hui et d’une certaine manière l’état d’urgence est un anticorps.
Une législation sur l’état d’urgence, rien de nouveau sous le soleil de la Vème République
La notion d’état d’urgence sanitaire est régie par un certain nombre de lois. L’article L3131-1 du code de la santé publique prévoit en cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d’urgence que le ministre chargé de la santé peut, par arrêté, prescrire dans l’intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée, relayée par les représentants dans les territoires. Ces mesures peuvent être individuelles et le procureur de la République doit alors en être informé. Elles font l’objet d’examen périodique par le Haut Conseil de la Santé publique et il y est mis fin lorsqu’elles ne sont plus nécessaires.
La Loi du 3 avril 1955 prévoit qu’en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique, l’état d’urgence est déclaré par décret en Conseil des ministres et que sa prorogation au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par la loi qui fixe sa durée définitive.
Aujourd’hui est en discussion le projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid 19 qui comporte 23 articles répartis en trois titres. Le premier concerne le second tour des élections municipales, le second l’urgence sanitaire, le troisième contient des mesures d’urgences économiques. Les mesures concernant l’état d’urgence sanitaire sont à peu de chose près une combinaison de l’article du code de la santé publique et la loi de 1955. On y retrouve précisées les restrictions possibles à la liberté d’aller et venir ou d’entreprendre, de réunion et la réquisition possible de biens et services, mesures qui doivent être proportionnées et appropriés. Décidément rien de neuf.
Est-ce à dire que les mesures prises en Corée du Sud pour mobiliser toutes les technologies de reconnaissance faciale, de téléphonie et d’internet pour retrouver au plus vite les personnes fiévreuses, aux fins de les tester et de confiner, non toute une population, mais les personnes porteuses du coronavirus, pourraient être mises en œuvre dans le droit actuel et donc sans cette loi d’exception ? C’est tout le débat que nos politiques doivent trancher aujourd’hui !
En outre ce projet est encadré par l’article 38 de la Constitution qui stipule que « le Gouvernement peut, pour l’exécution de son programme, demander au Parlement l’autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi. »
D’autres se sont interrogés sur le fait de savoir si nous ne serions pas en présence d’une application « light » de l’article 16 de la Constitution de 1958 ? Le recours à cet article a en effet été envisagé la semaine dernière selon le JDD (généralement bien informé au plus près de la macronie) et nous avons écrit tout le mal que nous en pensions. Sibeth Ndiaye l’a définitivement écarté mardi 17 en conférence de presse.
Heureusement, le Covid-19 ne menace pour l’heure aucune des conditions qui auraient permis de déclencher l’article 16, tant le champ d’application de ce dernier est réservé à la menace des institutions, à l’indépendance de la Nation, à l’intégrité de son territoire ou à l’exécution de nos engagements internationaux.
Mais la question demeure posée : pourquoi ce projet de loi d’urgence sanitaire alors que le droit actuel donne à l’exécutif tous les moyens d’agir ? Une volonté du gouvernement d’afficher sa détermination après une communication floue ou des mesures jugées tardives ?
Le Sénat compte aujourd’hui « préciser et encadrer » davantage cet état d’urgence, dont la formulation actuelle permettrait d »instaurer le couvre-feu, même si le gouvernement dit s’en défendre.
Et les Italiens et les Espagnols se sont-ils donnés les mêmes moyens juridiques ?
« La liberté et la démocratie, disait François Mitterrand, exigent un effort permanent. Impossible à qui les aime de s’endormir ».
Le gouvernement se serait-il enfin réveillé ?
Michel Taube