Nous sommes figés, confinés à cause d’un virus. Pour contrer ce mal, tout le corps médical ainsi que les scientifiques se donnent sans compter pour sauver des vies. Mais à côté de ces scientifiques engagés dans cette guerre de tranchées, d’autres se démènent tout autant pour nous apaiser, nous calmer et nous faire prendre du recul en ce moment si particulier. Ces sauveurs d’âme d’un autre genre, presque aussi essentiels, ce sont tous ceux qui œuvrent en faveur du livre. Editeurs, libraires, auteurs, sans bien sûr oublier les lecteurs eux-mêmes… Tous partagent cette conviction que la culture reste bien vivante quand bien même nous sommes figés.
Oui la littérature peut sauver. Otage au Liban entre 1985 et 1988, Jean-Paul Kauffmann a été soulagé par le « docteur Tolstoï » en relisant Guerre et Paix (Woody Allen ne disait-il pas d’ailleurs au sujet de ce grand roman : « J’ai pris un cours de lecture rapide et j’ai pu lire “Guerre et Paix” en vingt minutes. Ça parle de la Russie ! ») Quant à Alexandre Soljenitsyne, son « médecin d’âme » fut l’auteur italien Antonio Gramsci, rédigeant ses ouvrages alors qu’il croupissait dans les geôles de Mussolini. Une partie de l’antidote est à notre portée : rangé sur une étagère, caché au fond d’un tiroir, posé sur une table de chevet, le livre nous consolera de ce désastre humain qui se déroule sous nos yeux.
« Lisez ! »
Cette injonction a claqué comme un début de remède au confinement imposé par les autorités. Ce n’est pas si souvent qu’un président de la République prodigue un tel conseil à ses concitoyens. C’était lundi 16 mars devant 35 millions de Français : « Lisez, retrouvez aussi ce sens de l’essentiel. Je pense que c’est important dans les moments que nous vivons. »
Alors que notre monde connecté nous offre quantité de moyens de « prendre le large » (télévision et outils numériques), seule la lecture oblige l’imaginaire à faire ce minimum d’exercice que nous impose cette période de grande sédentarité. Dans un entretien au Figaro, l’écrivain-voyageur Sylvain Tesson avait d’ailleurs cette réflexion pleine de vérité : « Vous voulez explorer vos confins ? Ouvrez des livres. Devant un écran, vos serez deux fois confinés. » Ce n’est pas non plus un hasard si, et à l’initiative des professionnels du livre, le gouvernement étudie l’ouverture des librairies. Les nourritures de l’âme seraient-elles donc tout aussi essentielles que les nourritures terrestres ? Bien sûr et c’est même une évidence, dès lors que ces « aliments » de première nécessité seront à la portée de tous dans des librairies plutôt que sur des plates-formes numérisées comme Amazon.
Baby book
Quand certains lisent, d’autres écrivent. D’ailleurs, il faut bien avouer que pour ces derniers ce confinement se révèle être une aubaine, un boulevard inespéré pour enfin « s’y mettre » ou terminer l’ouvrage entamé. Et, dans près de neuf mois, voire six ou sept pour les « prématurés », nous assisterons à un « baby book » d’une ampleur inédite. Libraires et lecteurs auront à faire face à un excèdent démographie encore plus volumineux que celui que connaît chaque rentrée littéraire lorsque des milliers de nouveaux ouvrages apparaissent sur les étals ainsi que sur les pages web déjà très encombrées des vendeurs en ligne. De quoi faire dérailler les plus sophistiqué des algorithmes de recommandations !
Conjuguer réel et virtuel
A la différence des lieux culturels physiques (théâtres, musées, opéras…), même dans cette période de confinement, la littérature a cet avantage de rester largement accessible au plus grand nombre. Certes les acheteurs ne se déplacent plus dans les librairies et les bibliothèques ont fermé leurs portes mais le numérique offre un grand nombre d’options pour qui voudrait lire. A commencer par la Bibliothèque nationale de France[1] qui met à la disposition de tous la richesse de ses collections. Même si les sensations ne sont évidemment pas les mêmes, liseuses, smartphones, tablettes et autres sites Web… sont des relais tout aussi propices à l’imaginaire que les livres papier.
Espérons que cette crise permettra à tous de se rappeler que lire est facile, simple, à la portée de tous et qu’il existe une quantité de supports possibles pour s’y adonner. On s’apercevra peut-être que la lecture nous aura permis de renaître ou, pour le moins, de vivre toujours plus intensément. Alors, un nouveau slogan sanitaire apparaitra et s’affichera dans les publicités, lieux publics et objets du quotidien : « Pour votre santé, lisez plus ! ».
Philippe Boyer
[1] https://www.bnf.fr/fr/crise-sanitaire-covid-19-des-millions-de-ressources-numeriques-de-la-bnf-disponibles-gratuitement