La lutte contre l’épidémie de coronavirus est d’abord un problème de santé publique. Mais il se trouve qu’en raison de questions de fond et de la simultanéité avec les élections municipales, le droit est appelé à la rescousse.
Avec un temps de retard, sur lequel il y aura matière à une autre chronique, le Gouvernement a proposé au Parlement de « geler » l’ensemble des élections municipales. De plus, il propose de créer un état d’urgence sanitaire et d’être habilité, dans le cadre l’article 38 de la Constitution, à prendre un nombre impressionnant d’ordonnances pour aménager les règles en vigueur, au moins de manière temporaire.
Un débat parfaitement justifié existe donc à propos de la constitutionnalité des différentes mesures proposées par le Gouvernement, qui sont en cours d’adoption par le Parlement. Sont-elles toutes conformes à la Constitution ? Même à une Constitution interprétée en fonction d’une crise sanitaire exceptionnelle ? L’argument selon lequel « il faut aller très, très vite » ne justifie pas que l’on oublie les étapes normales de l’adoption de la loi. On le voit très bien à travers les travaux du Sénat et de l’Assemblée nationale. Les deux assemblées, dans des conditions de travail très particulières, mais respectueuses des règles normales de la procédure législative, auront beaucoup discuté et modifié le projet du Gouvernement, sans remettre en cause son utilité et l’essentiel de son contenu.
Le volet « élections municipales » soulève plusieurs questions, certaines ayant d’ailleurs été évoquées dans l’avis du Conseil d’État du 18 mars, d’autres résultant d’amendements adoptés lors des débats :
– est-il constitutionnel de ne pas faire entrer immédiatement en fonction les conseils municipaux dans les 30000 communes où les résultats du premier tour ont permis de désigner une nouvelle équipe, qu’elle soit la suite de la précédente ou une nouvelle ?
– est-il constitutionnel de reporter en juin, voire au-delà, le deuxième tour des élections municipales sans avoir à recommencer le premier ? Le Conseil d’État admet ce report jusqu’au 30 juin. Et après, si nécessaire ?
– est-il constitutionnel de fixer une date de dépôt des listes du second tour sans connaître la date de ce deuxième tour ?
Nul ne conteste la possibilité de créer un nouveau dispositif législatif dénommé « État sanitaire d’urgence », quelque peu inspiré de la loi de 1955 sur l’état d’urgence adopté à l’occasion de la guerre d’Algérie et aménagé à la suite des attentats terroristes de 2015, mais là aussi des interrogations surviennent :
– est-il constitutionnel de fixer un délai de confirmation et de prolongation par la loi de cet état d’urgence nettement plus long (un mois dans le projet) que celui qui existe en matière d’état d’urgence lié à l’ordre public (douze jours) ?
– est-il constitutionnel de ne pas associer pleinement le Parlement au contrôle de cet état d’urgence sanitaire, en particulier à travers une obligation d’information régulière, comme cela existe dans le régime de la loi de 1955 ?
– est-il conforme à la Constitution de prévoir un régime permanent ou simplement temporaire ?
– quelles sont les limites aux dérogations que l’on peut porter aux droits et libertés garantis par la Constitution au nom de la lutte contre l’épidémie ?
Le titre consacré à l’habilitation donnée au Gouvernement de prendre de très nombreuses mesures par ordonnances soulève également de sérieuses interrogations :
– les habilitations sont-elles rédigées avec toutes les précisions nécessaires exigées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel ? Les blancs-seings ne sont plus admis. Les domaines de la délégation doivent êtres définis avec précision, tout en laissant évidemment au Gouvernement une vraie marge de manoeuvre.
– est-il constitutionnel de prévoir à l’avance une prolongation automatique du délai d’habilitation sans avoir à revenir devant le Parlement ?
– quelles doivent être la définition constitutionnelle et la durée des mesures dérogatoires à venir ?
Seules sont énumérées ci-dessus quelques questions essentielles. L’intérêt d’une saisine du Conseil constitutionnel serait double : dans l’instant, elle garantit le respect des règles constitutionnelles, ce n’est pas rien. Pour la suite, une déclaration exhaustive de conformité à la Constitution éviterait des questions prioritaires de constitutionnalité, celles-ci n’étant pas possibles à propos de dispositions législatives validées expressément par le Conseil constitutionnel.
Reste une question : qui va saisir le Conseil constitutionnel ? Le contexte politique n’est guère favorable – et cela se comprend – à une saisine par soixante députés ou soixante sénateurs. Dans ces conditions, ne serait-il pas conforme à un bon fonctionnement de nos institutions que le président du Sénat et le président de l’Assemblée nationale, chacun de son côté ou ensemble ou l’un d’eux seulement, prenne l’imitative de demander au Conseil constitutionnel de vérifier la conformité à la Constitution du dispositif ? Cela peut se faire à travers une « saisine blanche », c’est-à-dire sans critiquer telle ou telle mesure, simplement au nom du respect de la Démocratie et de l’état de droit. Le droit, au service de la lutte contre le coronavirus, y gagnerait.
Didier MAUS
Ancien conseiller d’État, Président émérite de l’Association internationale de droit constitutionnel, Maire de Samois-sur-Seine