Coronafiction
07H25 - dimanche 5 avril 2020

Coronafiction. Feuilleton (3)

 

L’éclairage de sécurité fonctionnait encore, bien qu’il présentât des signes de défaillance. Nous avancions tantôt dans l’obscurité, tantôt dans la pénombre malgré le faisceau lumineux de la torche de nos portables. Nous n’étions pas rassurés, peut-être moins par crainte de voir quelque chose d’horrible que de ne rien voir. Une lumière bleutée filtrait par intermittence à la base d’une porte entrouverte.

Hector me regarda, interrogatif.

– Ouvre-la lui dis-je.

Il poussa sur la porte à l’aide du manche de la pelle. La lumière bleutée provenait de l’écran d’une télévision allumée devant laquelle une vieille femme semblait dormir, la télécommande dans une main. Hector la poussa sur l’épaule du manche de la pelle. La femme ne réagit pas. Il poussa un peu plus fort. Elle tomba en avant sur le sol.

– Elle est morte dit Hector… on continue.

– Ok !

On retourna dans le couloir.

– Où peut se trouver la cuisine demandai-je à Hector ?

– J’en sais rien… avançons.

L’obscurité laissa la place à une semi pénombre. Nous passâmes devant la porte de l’infirmerie, une autre sur laquelle était écrit « bureaux ». Nous avions la trouille. Sur une troisième porte était écrit « salle à manger ». On l’ouvrit prudemment. Il trainait sur les tables non desservies des assiettes, des plats à peine entamés où bourdonnaient des mouches et des vases avec des bouquets de fleurs fanées dans leur eau croupie.

– Tu crois qu’il y a plus personne dis-je à Hector ?

– Les familles ont récupéré leurs vieux.

Une porte donnait sur l’office.

C’était une grande cuisine aux meubles d’aluminium, éclairée par une petite fenêtre située en hauteur. Elle ressemblait à celle de mon école. Un rat courait sur la paillasse. Nous ouvrîmes un grand réfrigérateur. Le bac était plein de légumes pourris et les rayons du dessus de nourritures diverses immangeables. Dans la partie congélation, nous trouvâmes des sachets de viande et de poisson.

– Je les prends dis-je à Hector !

– Il faut trouver un panier.

On ouvrit tous les placards. Des conserves à n’en plus finir, des boîtes de lait concentré, du café, du thé, du sucre, des biscuits, des pots de confiture etc.

-Super dit Hector !

On finit par trouver un sac poubelle que nous remplîmes des congelés, de gâteaux et conserves. Hector le jeta sur son épaule. On poursuivit notre exploration par les étages. Hector ouvrait les portes des chambres à l’aide du manche de sa pelle. L’immeuble semblait désert. Au troisième étage, chambre 320, je me souviens bien du numéro, le corps en décomposition d’une femme était étendu sur le sol. Un chat noir lui léchait le visage. Il détala en nous voyant.

-C’est dégueulasse dis-je à Hector.

 J’eus envie de dégueuler.

Nous redescendîmes les escaliers quatre à quatre pour retrouver le couloir central. A son extrémité, au fond de la maison de retraite, une porte verrouillée de l’intérieur donnait sur un jardin entouré de hauts murs.

Il y avait là une douzaine d’hommes et de femmes âgés vêtus de haillons, maigres, tous aussi sales les uns que les autres qui tournaient en rond.  En nous voyant, chacun resta figé sur place, en demi-cercle.

– Qu’est-ce qu’on fait demandai-je à Hector ?

– Rien, ils n’ont pas l’air dangereux !

Les vieillards nous entourèrent et chacun voulut nous caresser la tête ou le visage. Leurs mains étaient crasseuses et ça nous dégoutait, mais leurs gestes étaient remplis d’affection. On ne sait pas ce que nous représentions pour eux.

– Ils nous prennent pour leurs petits-enfants dit Hector.

– Pourquoi dis-tu ça ?

– Ma grand-mère avait l’Alzheimer. Elle ne reconnaissait personne… elle mélangeait tout.

– C’est quoi l’Alzheimer ?

– Une maladie qui bouffe le cerveau.

La plupart des vieux étaient silencieux ou semblaient incapables de parler et certains nous posaient d’étranges questions :

– Comment va ta mère ?

– Est-ce que le gouvernement provisoire s’est réfugié à Bordeaux ?

– Où en sont les allemands dans leur avancée ?

– Vous venez de Londres ?

– Que devient de Gaulle ?

– Qu’est-ce qu’on fait, dis-je à Hector ?

– Si on les laisse là ils vont mourir.

– On n’a qu’à les libérer.

– Ouais … ils se démerderont.

On retourna dans le couloir, laissant la porte d’accès au jardin ouverte.

-Le zombie, hurla Hector !

Le grand type en salopette de la ferme se tenait dans l’entrée, une fourche à la main.

Derrière nous les vieillards avaient quitté le jardin de la maison de retraite pour se diriger vers la sortie.

– Laissons-les passer dit Hector.

– Bonne idée !

On les poussa devant nous. C’était notre front contre le zombie. Qu’allait-il se passer ? Allait-il les enfourcher ? Les vieillards lui manifesteraient-ils leur affection comme à nous ? 

– Pourquoi on le descend pas me dit Hector ?

– On va pas descendre tout le monde !

Les vieillards se mirent à jeter des pierres sur le type en salopette. Ils l’entouraient, le frappaient de leurs poings faibles et lui essayait de se dépêtrer de cette espèce de filet humain. On profita de la mêlée pour filer à toutes jambes.

Nous retrouvâmes l’appartement pour y déposer nos provisions.

Ces événements nous avaient excités et nous ne tenions pas en place.

On avala une boite de lait concentré, des biscuits et des fruits au sirop.

-J’ai une idée dis-je à Hector. Un peu plus loin que la ferme il y a un aérodrome. On pourrait y piquer un avion…

La proposition était absurde car ni lui ni moi n’étions capables de piloter. Dans mon esprit l’avion c’était comme une fuite. On pourrait s’élever loin dans le ciel bleu.

– Quand je serai grand, je veux être pilote d’avion dis-je à Hector.

– On y va dit-il.

Nous prîmes le flingue, l’eau, des biscuits, des abricots au sirop et la paire de jumelles de papa.

On passa par les champs et les prés en espérant éviter le zombie.

Après une heure de marche dans les champs, nous nous arrêtâmes sur un promontoire naturel, d’où je scrutai l’horizon avec mes jumelles.

-Qu’est-ce que tu vois me demanda Hector ?

Mon regard fut attiré par des voitures garées les unes derrière les autres. Il y avait une vingtaine de véhicules devant un écran, dont un tracteur.

– Bizarre dis-je !

– Passe-moi les jumelles me dit Hector.

Il regarda avec attention et après un moment :

– C’est un cinéma en plein air …

– C’est quoi ?

– Un cinéma en plein air. Pour éviter le confinement en salle on a fait des cinémas à l’extérieur. Ca s’appelle des drives. Y a personne.

– On va voir ?

– D’accord.

Dans la cabine de projection improvisée sous une toile de tente, il y avait un gros projecteur de couleur grise avec une énorme bobine de film, relié à une batterie, elle-même reliée à un générateur dont le réservoir contenait encore de l’essence. On remit l’appareil en route et on alla s’asseoir sur le siège du tracteur. Sur l’immense écran blanc déchiré par endroit défilèrent comme des ombres. La bobine tournait dans le vide et l’on entendait le film cassé frappant de droite à gauche avec un bruit sec.

– Qu’est-ce que c’était comme film demandais-je à Hector ?

– J’en sais rien… peut-être un film de zombies.

– Arrête…

Arrivés devant le grillage qui entourait la piste d’envol de l’aérodrome, je regardai les hangars à l’aide des jumelles.

– Qu’est-ce que tu vois ?

– Deux types en blouson qui poussent un ULM.

– Passe-moi tes jumelles.

– Je pense qu’on peut y aller poursuivit Hector après avoir réfléchi.

 Un large trou perçait la clôture. La voie vers le tarmac était libre.

                                                                                                                                             

Encélade

 

 

 

 

Lisez les épisodes précédents de notre Coronafiction :

Episode (1)

Episode (2)

 

Coronafiction. Episode (11 et fin)

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