Découvrez les épisodes de la Coronafiction d’Encélade, romancier transgressif : Episode (1)Episode (2)Episode (3) |
Episode (4)
Un grand chien brun de type setter vint à notre rencontre en aboyant. Il courait en longues enjambées et ses grandes oreilles s’agitaient en tous sens.
Les deux hommes qui poussaient l’ULM se retournèrent et l’un d’eux hurla :
-Damoclès… ici !
Le chien s’arrêta à une dizaine de mètres de nous.
Le plus vieux des deux hommes, vêtu d’une combinaison grise sur laquelle il avait enfilé un blouson de cuir avait un visage fin, le nez chaussé de lunettes rondes et des cheveux gris ondulés dépassaient de son casque de cuir. Le plus jeune qui devait avoir vingt-cinq ou trente ans était vêtu de manière identique et portait des Ray-ban. Nous n’avions vu jusque-là que des choses monstrueuses et il y avait dans l’allure de ces hommes quelque chose de rassurant. Je ne sais pas pourquoi mais ils m’apparaissaient comme de l’ordre dans ce monde désorganisé.
-Qui êtes-vous et d’ou venez-vous nous demanda le plus âgé ?
Sa voix était ferme mais pas menaçante. Après tout, qu’avaient-ils à craindre de deux enfants ?
Hector indiqua le sud de sa main et je dis le nom de la ville d’où nous venions.
-Approchez dit l’homme !
-Moi c’est Hector et lui c’est Paul.
-Qu’est-ce que vous voulez ?
-J’aimerais être pilote dis-je.
L’homme ne répondit pas et rejoignit le plus jeune qui poussait l’ULM sur la piste.
C’était un engin aussi bizarre qu’imposant. Il ressemblait à un gros insecte, avec une voilure blanche en triangle, muni sur sa droite d’une sorte de porte-bagage qui ressemblait à une civière.
-Qu’est-ce que vous faites interrogea Hector ?
-On va conduire ma femme à l’hôpital dit l’homme le plus âgé.
-En ULM ?
-Oui, nous n’avons plus de voiture.
-Vous allez trouver quelqu’un à l’hôpital ?
-… on nous y attend.
Qui pouvait bien les attendre dans cet hôpital ? Il était difficile d’y entrer. Il était protégé par des policiers et des militaires en arme et le nombre de médecins ou d’infirmières avait diminué de façon importante. Beaucoup d’entre eux étaient décédés du coronavirus.
Une petite fille de notre âge apparut à la porte du hangar. Elle nous regardait, silencieuse.
Les deux hommes allèrent dans le hangar et en sortirent une femme étendue sur une civière. Elle respirait difficilement. Ils la sanglèrent sur l’espèce de porte-bagage de l’aéronef, sans même s’occuper de nous puis retournèrent cadenasser la porte du hangar dans lequel j’eus le temps d’apercevoir quelques lits vides, alignés comme dans un dortoir, un autre ULM, une moto, des étagères métalliques pleines de conserves et de bouteilles d’eau.
Je pensais qu’ils avaient dû s’installer ici car il était facile de fuir à bord d’un engin volant les bandes qui écumaient les lieux.
-Les deux hommes grimpèrent dans l’ULM, la petite fille s’assit entre eux, le grand chien à l’arrière.
Par la vitre ouverte l’un cria :
-Au revoir les enfants !
L’ULM brinquebala sur la piste, prit de la vitesse et s’envola difficilement.
-La femme va se casser la gueule dit Hector.
J’étais un peu triste. J’aurais voulu partir avec eux.
– Qu’est-ce qu’on fait dis-je à Hector ?
-Je ne sais pas. Ils doivent habiter là. Ils vont revenir.
-Oui mais quand?
L’image de la petite fille persistait dans mon esprit. Elle avait de beaux cheveux blonds. C’est ainsi que j’imaginais ceux de la fée bleue.
-On reviendra dit Hector.Tu veux toujours t’approcher du ciel poursuivit-il ?
-Ouais.
-Suis-moi !
Une grue se détachait au loin au-dessus des hangars de l’aérodrome.
Je regardai le ciel. L’ULM avait disparu et la petite fille aux cheveux blonds avec lui.
Nous nous dirigeâmes vers le nord pour retrouver un chantier abandonné.
Au milieu d’immeubles en construction s’élevait la grue.
-Elle doit faire trente mètres de hauteur me dit Hector. On monte ?
-Tu crois ?
-Tu veux voir le ciel oui ou non ?
Je ne répondis pas.
-Allons-y !
Nous empruntâmes l’échelle dans la tour de métal. Hector grimpait devant moi. Plus nous montions, plus je sentais le souffle du vent. Je n’osais pas regarder le sol. Le monde tournait autour de moi, j’avais l’impression de flotter dans le vide retenu aux seuls barreaux de l’échelle. Le sac sur mon dos pesait comme du plomb. J’étais paralysé.
Hector m’interpella :
-Qu’est-ce que tu fous ?
-J’arrive.
Je repris mon escalade dans le tube de fer.
Hector s’assit sur le siège dans la cabine et je restai debout près de lui.
-Tu voulais t’envoler me dit Hector. Te voilà dans le ciel.
Nous avions une vue à trois-cent soixante degrés. En face on voyait l’aérodrome et au loin un château d’eau, des bois, le sommet de mon immeuble, une station-service abandonnée aux vitres brisées, un arbre sur une crête. Derrière un champ de tournesols, on apercevait un village et le clocher d’une église. Les champs faisaient penser à un assemblage de moquettes. A gauche, il y avait un champ de colza d’un jaune terne, la ferme du zombie et le champ de maïs avec ses tiges sèches. A droite, la ville avec la maison de retraite et l’hôpital où les gens de l’aérodrome avaient conduit la femme malade. Le ciel bleu était parcouru de petits nuages en forme de serpentins de fête. Après les gens rassurants rencontrés sur l’aérodrome, j’étais dans le ciel calme. J’avais envie d’y nager comme dans une eau limpide. Le vent imprimait à la grue un léger mouvement mais je n’avais pas peur.
-Tu crois qu’on est en sécurité me demanda Hector ?
D’habitude c’est moi qui lui faisait part de mes inquiétudes mais là j’étais heureux.
-T’en fais pas lui répondis-je.
-Passe-moi l’eau et les jumelles !
Après avoir scruté le paysage alentour, il me rendit les jumelles.
-Regarde me dit-il m’indiquant la direction du clocher.
Dans un lotissement en lisière du village, des pillards avaient enfoncé les portes des maisons et en sortaient les bras chargés de vêtements, de télévisions, d’ordinateurs, de tout ce qui pouvait être emporté sous les yeux de leurs derniers habitants.
-On y va dis-je à Hector.
-Attends !
Il appuya à l’aveugle sur des commandes. La flèche de la grue se déplaça emportant avec elle une benne de sable qui vint défoncer un mur de béton. C’était drôle. Il la fit se déplacer en sens inverse et elle démolit un autre pan de mur.
Je pensais à la petite fille aux cheveux blonds. Elle devait être quelque part dans l’hôpital à côté de la femme malade qui était peut-être sa maman. Je me dis qu’au moins elle avait encore ses parents. Hector manoeuvrait la grue à l’aide d’un joystick, comme il l’aurait fait d’un jeu vidéo, démolissant d’autres murs .
La journée était avancée et le soleil descendait sur l’horizon.
– Je redescends lui dis-je !
-Reste encore un peu… on pourrait dormir ici.
Lui avait un siège confortable mais je ne voulais pas dormir à ses pieds en chien de fusil et j’avais un peu froid.
Je redescendis en fermant les yeux, serrant dans mes mains les barreaux de l’échelle métallique. Ça m’évitait de penser au vide.
Revenu au sol, je pénétrai dans l’un des immeubles en construction, montai à l’étage, m’assis sur le sol de béton poussiéreux, ouvrit une boîte de conserve et à l’aide de mon couteau mangeai les oreillons d’abricots et bus le sirop.
Je regardai à l’extérieur par une ouverture. Hector était toujours dans la cabine et à l’aide de la benne emplie de sable détruisit cette fois-ci une cabane de chantier qui vola en éclat.
Au pied de la grue, je reconnus le zombie en salopette. Il avait du voir la flèche de l’engin bouger.
Agrippé aux barreaux de l’échelle, il commençait à monter vers la cabine.
Je téléphonai à Hector. Je tombai sur son répondeur.
-Merde me dis-je !
Encélade