Découvrez les épisodes de la Coronafiction d’Encélade, romancier transgressif : Episode (1)Episode (2)Episode (3)Episode (4) |
Lorsque je sortis de l’immeuble en construction, le zombie en salopette était à mi-chemin entre la terre et la cabine de la grue.
-Ohé criai-je, pour attirer son attention et prévenir Hector.
Le zombie poursuivait son escalade.
Je tirai un coup de pistolet en l’air. Il s’arrêta et je vis Hector à la fenêtre de la cabine. Qu’allait-il faire ? Le zombie reprit sa progression. Je tirai en sa direction. Il hurla en se tenant la joue. La balle avait du ricocher sur le métal et le frapper à la tête. La moitié de son visage était couverte de sang et il se tenait une oreille de sa main. Hector descendait vers le sol. Le zombie se mit lui aussi à redescendre. Dès qu’il fut à terre, je le menaçai de mon arme.
Il s’assit en vociférant.
-Petit con, je pisse le sang, tu m’as arraché une oreille !
Hector arriva à son tour. Il s’essuya les mains tachées du sang du zombie à son pantalon.
Dans les décombres de la cabane de chantier, il y avait une boîte marquée d’une croix rouge. On y trouva une bande, des pansements et une bouteille d’alcool.
-Si tu te tiens tranquille, je te soigne dit Hector au zombie.
Celui-ci grogna.
-D’accord dit-il.
-Couvre-moi me dit Hector.
-Ok.
Au moindre geste menaçant du type je le descendais.
Il retira sa main de son oreille dont un morceau pendait curieusement. La balle l’avait en partie arrachée. Hector y versa de l’alcool -le zombie hurla- et lui entoura la tête d’une bande Velpeau. L’homme se laissa faire. On n’avait rien pour couper la bande. Hector la déroula toute entière et le type me fit penser à une momie.
-C’est con que nous nous battions dit Hector à l’homme.
-Laissez-moi répondit-il !
En repassant par l’aérodrome, je regardai le hangar et la piste. Le premier était fermé et la piste déserte.
Une heure plus tard nous étions dans l’appartement.
-T’aimes le poisson demandai-je à Hector ?
-Pas trop !
Je déposai des filets de poisson congelé dans un plat que je mis au four comme j’avais vu faire maman. J’aimais pas le poisson mais elle disait toujours qu’il fallait en manger.
Nous jouâmes à Call of Duty. J’en oubliai mon poisson au four. Il avait cramé et était immangeable.
Heureusement il y avait des biscuits, de la confiture et du lait.
Dans la nuit je rêvai à Pinocchio, transformé en poisson et roulé dans la farine. Il allait être frit avec d’autres poissons mais il était sauvé par un gros chien. Puis apparut la fée bleue. Elle n’avait pas des cheveux blonds comme la petite fille de l’aérodrome mais bleus… Evidemment, elle ne pouvait avoir que des cheveux bleus. Elle chassait alors le zombie transformé en momie….
Ce matin en me réveillant, je ne savais plus quel jour on était. Hector dormait encore. J’étais pressé de retourner à l’aérodrome pour y retrouver la petite fille. Je réveillai Hector et notre petit-déjeuner avalé nous partîmes. J’avais pris le flingue, les jumelles, de l’eau et des biscuits dans le sac Eastpak.
Nous fîmes un détour pour éviter la ferme et ne pas avoir d’histoire avec le type. Je ne pus m’empêcher de regarder en sa direction à l’aide des jumelles.
Il était assis devant l’entrée de la ferme, la tête ceinte de la bande Velpeau, un bol à la main.
Je passai les jumelles à Hector.
-Regarde…. Tu crois pas qu’on devrait aller le voir dis-je à Hector. Il n’est peut-être pas méchant ?
-Ok.
On s’approcha de la ferme et à portée de voix Hector cria :
-Comment vas-tu ?
Le type leva sa tête bandée et se redressa.
-Ah c’est vous ?
-On voulait pas te faire de mal lui dis-je.
-Vous voulez du lait ?
-C’est peut-être un piège me dit Hector à voix basse.
Le type n’avait rien à portée de main qui puisse servir d’arme.
On s’approcha et il nous offrit à chacun une boîte de lait concentré. Il était épais avec un goût de vanille. C’était bon.
-Comment va ton oreille demanda Hector ?
-Ca va.
-Tu veux venir avec nous lui demandai-je ?
-Non … je préfère rester ici.
-On reviendra, lui dis-je.
-Comment vous appelez-vous ?
-Moi c’est Paul et lui Hector. Et toi ?
-Frankenstein dit-il en riant.
Après une heure de marche, on retrouva l’aérodrome. Avant de pénétrer sur le tarmac, on jeta un coup d’oeil à l’aide des jumelles. La porte du hangar était ouverte et les deux ULM stationnés sur la piste.
-On y va dis-je à Hector.
J’étais pressé de revoir la petite fille blonde.
En nous voyant arriver, le grand chien courut dans notre direction et nous fit la fête.
-Ici Damoclès cria l’homme le plus âgé !
-Ma femme est morte cette nuit à l’hôpital nous dit-il. C’était leur mère poursuivit-il désignant la petite fille dans les bras du jeune homme. Je m’appelle Jean, elle c’est Lucie et lui Martin.
On savait pas quoi dire.
-Venez vous asseoir !
Nous prîmes place sur des fauteuils de jardin devant une table pliante de camping. On avait la même dans la cave.
-Du thé nous demanda Martin ?
On accepta.
-Tu veux un gâteau dis-je à Lucie ?
Je lui tendis la boîte.
-Qu’est-ce que vous comptez faire dis-je ?
-Rester ici pour l’instant.
-Et vous ?
-On n’en sait rien.
Martin nous fit monter en compagnie de Lucie à bord de l’aéronef. Celui qui ressemblait à un gros insecte. Il alluma l’écran de l’ordinateur de bord. La carte de l’Europe apparut qu’il recentra sur la France, tachetée de points de couleur. En marge s’afficha plein de chiffres, en apparence sans signification. Je comptai douze points, chacun éloigné de toute ville. Le jeune homme cliqua sur l’un d’eux. Les données de longitude et de latitude apparurent à l’écran.
-Ce sont des centres ravitailleurs dit Martin. Nous avons tout prévu en cas de fuite. Sur chacun de ces points il y a des réserves de carburant et de vivres. La plupart sont des aérodromes abandonnés.
-Mais quand avez-vous fait ça interrogea Hector ?
-Ces derniers mois. Nous l’avons imaginé avec des amis répartis dans la France entière, dès que nous avons vu que l’épidémie aurait des conséquences graves. Dans la plupart de ces centres vivent des équipes ou des familles prêtes à nous recevoir.
-Regardez !
Il entra une destination dans l’ouest du pays. Des couleurs bleues et rouges dansèrent sous nos yeux, réjouissantes comme celles d’un jeu vidéo, puis apparurent divers paramètres : vitesse du vent, température, vitesse de croisière, durée moyenne entre chaque étape, lieux d’atterrissage, niveau d’essence …
-Entre chaque étape, il y a au maximum six heures de vol poursuivit Martin. On préfère calculer la position de l’appareil grâce à un sextant à bulle avec horizon artificiel. Le procédé est archaïque mais rend l’aéronef autonome, sans recours au guidage par satellites qui le ferait repérer. A chaque atterrissage, si nécessaire, les positions seront précisées avec un sextant marin.
Hector et moi ne comprenions pas tout ce que nous racontait Martin mais on trouvait ça génial.
Les deux ULM étaient toujours prêts à décoller. Je pensais que nous aurions pu tous y embarquer.
Lucie nous invita à l’accompagner dans le hangar.
Quatre lits étaient alignés devant des étagères contenant des quantités importantes de nourriture. Il y avait une sorte de coin salle de bain et une moto à proximité.
-C’est un modèle Norton Commando de 1969, dit Martin qui nous avait rejoint. On l’a trouvé dans le sous-sol d’une villa abandonnée. Elle devait appartenir à un collectionneur.
L’engin nous parut énorme et son réservoir disproportionné.
-C’est du solide ajouta Martin.
Le rez-de-chaussée du hangar au sol soigneusement balayé était surplombé par une mezzanine où on accédait par un escalier en colimaçon de métal.
-Vous voulez voir nous demanda Lucie ?
Un bureau y avait été aménagé. Il y avait plusieurs ordinateurs et sur un râtelier une demi-douzaine de fusils de chasse dont certains au canon scié.
Nous redescendîmes et Lucie nous proposa de jouer au « mille bornes » sur la table pliante à l’extérieur.
Alors que la partie était avancée, elle se mit à pleurer et son père la prit dans ses bras.
-C’est à cause de sa maman nous dit-il.
-Ma maman aussi est morte répondis-je.
Je ne voulus pas dire que c’était mon papa qui l’avait tuée.
-Pourquoi ne resteriez-vous pas avec nous ?
-On n’a rien, ni vêtements de rechange, ni affaires de toilette, répondis-je.
-Martin pourrait aller à moto avec vous récupérer les choses utiles dans votre appartement.
Il appela son fils et lui dit quelques mots. Il revint avec la moto équipée de deux grosses sacoches glissées sur le réservoir, un fusil à canon court à l’épaule.
-Lequel vient avec moi ? Je ne peux en prendre qu’un.
Hector et moi nous regardâmes.
-Vas-y lui dis-je en lui donnant les clés de l’appartement.
Je préférais rester avec Lucie.
Martin enfourcha la moto, Hector monta à l’arrière, l’engin roula en pétaradant jusqu’au trou percé dans la clôture et s’éloigna à travers les champs.