Nouveau carton d’audience pour le chef de l’Etat qui a réuni plus de 34 millions d’auditeurs hier soir à 20h02 selon le très informé Jean-Luc Morandini.
C’était un beau discours, solennel, digne de la fonction présidentielle qu’exige la monarchie républicaine qu’est la Vème République. Le ton du chef de l’Etat a changé : la rhétorique de la guerre a disparu, Emmanuel Macron s’est fait plus humble, reconnaissant des erreurs et déclinant un double mea-culpa, sur lui-même et à l’endroit des administrations qui ont freiné les conditions de la mobilisation générale entre fin janvier et mi mars.
En creux, dans ce mea-culpa, la start-up nation, le fameux « en même temps » et le programme présidentiel sur lequel le candidat Macron a été élu en 2017 ont été largement enterrés hier soir. Emmanuel Macron l’a annoncé, il se voudra désormais une sorte de père – la nation, et tentera dans les semaines qui viennent de faire l’union sacrée sur la préparation du monde d’après.
Emmanuel Macron sera-t-il légitime pour réaliser ce que certains annoncent déjà comme un futur gouvernement d’union nationale, – Jean-Pierre Chevènement appelait de ses vœux à « un gouvernement de salut public » dans les colonnes du Figaro le 8 avril ? Aux oppositions républicaines de décider dans les semaines qui viennent de leur posture. Car une telle voie, celle d’un gouvernement multipartisan de la relance et de la reconstruction de notre modèle de vie en société, sonnerait comme une forme de cohabitation inédite permettant à Emmanuel Macron de préparer confortablement, en prenant de la hauteur comme un arbitre de tennis, un père-la nation, la présidentielle de 2022.
Le trompe-l’œil du 11 mai
Mais nous n’en sommes pas là… D’autant que là où l’on attendait le chef de l’Etat hier soir, il a été plutôt absent. Alors qu’en Allemagne, dès le 18 mars, la chancelière allemande a tracé la voie dans un discours solennel mais sobre et concret, nous avons eu droit hier à un quatrième exercice de rhétorique plus qu’à un discours pragmatique, précis, concret à l’usage des Français pour sortir au plus vite du confinement. Les Français sortent-ils de cette allocution en sachant où ils vont ? La réponse est non ! Et pas uniquement parce que le coronavirus cache son jeu…
En fait, les millions d’auditeurs retiendront la date du 11 mai comme étant la date du possible top départ de la sortie du confinement. Le 11 mai, les Français seront déçus ! A relire de près le discours du chef de l’Etat, mieux vaudrait retenir la date du 1er septembre. L’annulation de tous les événements et l’interdiction d’ouverture des commerces comme les restaurants jusqu’au 14 juillet renvoie à la rentrée la reprise d’une activité sociale et économique « normale ». Telle est la réalité de la stratégie gouvernementale qui ne dit pas les choses et que nous avions subodorée lorsque l’annulation des épreuves finales du Baccalauréat a été annoncée il y a quinze jours.
Et puis, il y a cette anomalie qui en dit long sur les erreurs majeures dont est capable Emmanuel Macron au cœur de la tempête : commencer le déconfinement par « libérer » le maillon faible de la chaîne de contamination que sont les enfants, les seuls concitoyens asymptomatiques (nous ne pourrons donc même pas tester ceux qui portent en eux le virus) dont nous savons qu’ils ne respecteront ni en classe ni à la cantine ni dans les cours de récréation les gestes barrière, c’est vraiment jouer avec le feu et s’assurer d’un deuxième pic épidémique un mois plus tard. Un tel choix ne peut être motivé que par un impératif économique : décharger les parents de la charge de garder eux-mêmes leurs enfants pour leur permettre de retourner à leur travail. Il risque de coûter cher, à tous points de vue.
Et seconde anomalie : laisser fermer les commerces et les hôtels, là même où peut s’organiser l’application des gestes barrière tout en relançant l’économie, et ceci d’autant que le président nous promet pour le 11 mai des masques et des tests pour toutes les personnes qui présentent des symptômes, c’est vraiment appliquer la double peine économique après le confinement sanitaire.
Enfin, nous y tenons à deux remarques qui en disent long sur la conduite du président dans cette crise : pourquoi le chef de l’Etat n’a-t-il toujours pas autorisé les médecins à prescrire l’hydroxychloroquine alors qu’il a été à Marseille rencontrer le professeur Raoult vendredi dernier ?
Et comment le président peut-il encore et encore rendre hommage aux « derniers » de cordée qui en sont les premiers, les soignants, les caissiers, les éboueurs et les autres, invoquer l’article 1 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, « Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune » et encore et toujours ne pas annoncer la prime exceptionnelle qu’il a promise à Mulhouse le 25 mars pour les soignants ? Des actes concrets et directs s’il vous plaît, Monsieur le Président !
Telle est notre conviction : le gouvernement et surtout le chef de l’Etat n’ont toujours pas de stratégie globale et pragmatique. Ils naviguent à vue parce que les retards à l’allumage ont été fatals. Le confinement puis le déconfinement ne peuvent tenir lieu d’alpha et d’oméga de cette vision globale. Parler déjà de l’après avec des formules générales comme « Nous devrons tous nous réinventer », c’est vraiment mettre la charrue avant les bœufs !
C’est d’autant plus regrettable que la France, forte de sa puissance et de ses talents, à l’instar de l’Allemagne et de la Corée du Sud, pourrait se lancer dans un déconfinement audacieux et général entre le 11 mai et début juillet pour autant que des tests, des masques « grand public » (pour reprendre la formule du président de la République) et tous les traitements proposés par les chercheurs sérieux seraient disponibles pour tous les Français. C’est notre conviction, telle que nous l’avions formulée hier matin dans « notre » discours fictif du président.
En ce moment, les Français n’ont pas besoin de beaux discours mais d’un chef de projet et d’un plan de marche militaire pour sortir de cette crise ! Car, oui nous sommes en guerre, et oui, n’en déplaise à Mélenchon, Martinez et consorts, on peut remettre le pays au travail tout en sécurisant le volet sanitaire.