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17H01 - jeudi 16 avril 2020

Pour en finir avec la prison. Chronique de la nouvelle époque par Jean-Philippe de Garate

 

Le marquis de Beccaria est mort. Pourtant pas hier, mais un vendredi, le 28 novembre 1794. Guillotiné ? Non ! Le brave Milanais, zélé fonctionnaire de l’empereur autrichien du Saint-Empire, mourut sous sa couette, à quelques encablures de la piazza del Duomo. Pas un modèle jacobin, on en conviendra. Toutefois, la majeure partie de nos universitaires, professeurs de droit et autres porteurs de toges républicaines, avec drapeau tricolore en arrière-plan, n’en démordent pas. Beccaria demeure l’indépassable !

On connaît la longue énumération de ses principes, dont la proportionnalité des délits et des peines : un barème. L’heure du chiffre et de la boutique avait sonné. Le mètre-étalon à Sèvres (1793), le franc (1795) pour César Birotteau et l’emmurement à temps (1,3,5,7,10,20 ans) pour les auteurs d’une infraction pénale.

Wikipédia, cette « bible » contemporaine, l’affirme sans la moindre nuance : « Ces principes sont aujourd’hui des piliers (sic !) de la justice et le traité Des délits et des peines demeure une référence incontournable dans le cursus universitaire en droit pénal. » Wikipédia a dit. Silence dans les rangs ! Et 67 millions de Français, au passage, assignés à résidence ! Lecture obligée …

D’ailleurs, peut-on encore parler ? Confinement, masque sur la bouche, boules quiès pour certains quand Si Bête et deux trois autres s’enflamment. On est prié d’articuler et parler fort pour se faire entendre. Alors, articulons et parlons net. Beccaria est mort, et avec lui une de ses plus fumeuses théories.

On présente ce Monsieur de Gualdrasco comme la référence pour l’abolition de la torture et de la peine de mort. Mais quel substitut trouve notre Beccaria, décidément pas le divin marquis ? Une sanction intelligente ? Non, l’esclavage !

« Ce n’est pas le spectacle terrible mais passager de la mort d’un scélérat, mais le long et pénible exemple d’un homme privé de liberté, qui, transformée en bête de somme, rétribue par son labeur la société qu’il a offensée, qui est le frein le plus fort contre les délits. »

Transformée en bête de somme ! Beccaria dixit ! A nous Papillon et autres Jean Valjean ! Bonjour, dix-neuvième siècle de la chiourme ! Et la suite ! Made in China Bengladesh…

Ceux qui, comme l’auteur de cette Chronique, ont arpenté des décennies durant, parloirs de prisons, cabinets de juge et d’avocat, audiences publiques et autres symposiums, experts et vrais experts, accessoirement reçu les familles des réprouvés, peuvent-ils le répéter ?

  1. La prison – si on oublie les cavernes et oubliettes archaïques, avec la mort au bout- est une invention intellectuelle d’origine monastique. La méthode -que nombre de nos contemporains peuvent -grâce à la dictature du général Covid- comprendre dans leur chair, c’est le confinement. On arrête le temps. On se pose. On cesse de s’agiter en tous sens dans la recherche d’argent, d’occupations vaines et de plaisirs toujours augmentés, on limite le « temps social » et on effectue, selon la belle formule, « un retour sur soi-même ». Un vrai travail d’introspection. Plus facile à dire qu’à faire… L’idée suppose l’isolement cellulaire, avec un seul détenu, et les moyens de ce « retour ». Avec des confesseurs, des visiteurs, des soignants, des êtres empathiques. Ni juges ni enquêteurs. Surtout pas ! Rendre à l’homme son humanité. Aucune étude convaincante n’a été publiée sur les effets de cet enfermement. Mais on sait que nombre de détenus, recueillis par l’Eglise, sont devenus jardiniers, aide-soignants, et que beaucoup ont sombré dans la « folie ». La solitude, ce miroir insupportable…
  2. La République et son administration pénitentiaire ont repris le parc immobilier des abbayes mais totalement échoué dans la laïcisation des prisons. Gestion calamiteuse – exemple parmi vingt, la centrale de Poissy a depuis un an un mur d’enceinte effondré -, quatre cinq personnes par cellule de dix quinze mètres carrés, loi du plus fort, trafics en tous genres, et surtout, surtout ! sortie sans réelle insertion. Pour une raison tellement simple : comment réinsérer des hommes qui n’ont jamais été insérés ? Et surtout, qu’on ne nous dise pas que « des progrès ont été faits » ! Quelles valeurs véhicule une société en morceaux, aux repères perdus ? Avec des années durant, projection de films en tous genres dans les cellules …

Je sais, ce qui va suivre va susciter un courrier encore plus abondant que d’habitude. Ma collection de lettres d’insultes va encore s’enrichir. Mais continuons.

Il faut en finir avec la prison.

  1. L’emmurement d’autrui, sans but que la neutralisation -forcément à temps- est une expression de sadisme, du même ordre que l’exécution. Combien de fous en prison, combien le sont devenus ? Un sur trois. Vous ne me croyez pas ? Restons confinés encore deux trois ans et reparlerons-nous… Badinter, icône vivante, stigmatisait la barbarie de la guillotine pour le condamné à mort, cet « homme coupé en deux ». Nous en sommes bien d’accord. Mais ce que la bonne presse a omis de relever, c’est l’explosion du nombre des peines à perpétuité que l’abolition a produite. Puisqu’on ne tue pas, on enferme largement. Et on peut oublier son geste, puisqu’on n’a pas touché à la « vie »… Reste la petite question : « L’emmurement à vie, ce n’est donc pas barbare ? »
  2. Il faut décidément refonder la justice et reprendre les questions « à la base ». En République, naît-on français parce qu’on naît en France ? Non, on naît bébé. Et l’âge durant, on assimile et fait siens les principes du respect de soi, d’autrui, d’un certain nombre de principes locaux. Ou pas. A dix-huit ans, on devient un citoyen. Est-ce si sûr ? Il faut rappeler cette évidence. On peut changer de nationalité. Il faut clairement poser la question que le service national tranchait, matérialisait un an durant. Il faut mettre fin à la schizophrénie des doubles nationalités. Si la France déclare la guerre à tel pays, combien de déserteurs, voire d’ennemis ? L’Asie l’a parfaitement compris, qui ignore jusqu’à l’idée de « double » nationalité. Schizophrénie, connais pas. Nous avons mis cinquante ans pour comprendre l’utilité des masques, peut-être en mettrons-nous un peu moins pour les faire tomber.
  3. Le crime n’est pas une donnée immobile et certaine. Il a une longue histoire ! Il n’y a pas de justice et de crime hors l’Etat ! Ce qui était crime ne l’est plus : l’avorteuse guillotinée le 30 juillet 1943, Marie-Louise Giraud, vous vous rappelez … Non ? et la loi sur le sacrilège…la peine de mort pour ceci cela, naguère… Mais dans l’autre sens, alors que le lobbying parlementaire est institutionnalisé, la corruption des esprits évidente, on a poursuivi l’effroyable crime de François Fillon, dont on sait qu’il sera « sévèrement puni »… Va comprendre ! C’est ça le crime : un acte politique. Et rien d’autre.
  4. Et si on revenait à la logique ? La prison ne règle rien, elle dérègle beaucoup. Le lieu le plus mal fréquenté, on l’a oublié… Enfermer son enfant dans la cave n’a jamais rien apaisé. En revanche, l’envoyer découvrir d’autres horizons, où il trouvera un équilibre hors entourage toxique – car enfin, nous ne sommes pas le centre du monde, mais son passé, son imparfait – voilà la vraie solution ! Ouvrez le ban ! C’est étonnant de penser que le roi le plus absolu, le plus abusif, peut-être le plus mégalomane, un certain Louis XIV, en révoquant l’édit de Nantes et bannissant les Protestants, a donné aux Huguenots des espaces que jamais ils n’auraient pu développer dans le royaume hexagonal. Les vignes de la région du Cap, la présence de nombre de leurs plus brillants descendants dans l’Université voire à la tête de l’Afrique du Sud, le rôle qu’a pu tenir Lothar de Maizière dans l’ouverture de l’Allemagne de l’Est (1990), tant d’exemples…

Leurs aïeux étaient tous des criminels au sens de la loi alors en vigueur. Puisse le confinement nous ouvrir, à tout le moins entrouvrir les portes, de notre cerveau si momifié ! Conventions internationales ? Le monde peut changer, les traités et la loi aussi. Ouvrez le ban ! Et finissons-en avec les prisons !

 

Jean-Philippe de Garate

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