Tout cela pour cela ? Deux heures et demi de conférence de presse du professeur en pédagogie sanitaire Edouard Philippe, assisté d’Olivier Véran, et, comme on s’y attendait, un seul message : « on se reverra dans quinze jours pour que je vous explique ce que sera le monde d’après ». Pardon, d’après le 11 mai, pas d’après la crise du coronavirus bien sûr.
Il est donc à craindre que la conférence de presse du premier ministre et du ministre des solidarités et de la Santé ne lèvera pas les doutes ni ne freinera la montée des contestations sur l’échéance du 11 mai.
On l’a vu la semaine dernière avec les 18 millions de personnes âgées : d’un interdit général, on est passé à un appel à la responsabilité individuelle. Ce rétropédalage du président de la République en appelle d’autres…. Déjà des restaurants (et pas n’importe lesquels… le Collège culinaire de France regroupe des milliers de restaurants qui se disent prêts à rouvrir leurs établissements dans le respect des gestes barrière) demandent la réouverture le 11 mai. Comme nous le demandions nous-même la semaine dernière. Et cela ne fait que commencer…
Ainsi, nous aurons perdu quatre semaines ! Pourquoi ? Parce que la phase cruciale que nous vivons est mal employée par le gouvernement : entre le 13 avril, date du dernier discours d’Emmanuel Macron, et le 11 mai, ces vingt-huit jours auront laissé l’opinion publique et la société dans l’attente et face à un gouvernement qui bûche dans son coin pour préparer un déconfinement dont on ne connaîtra les heureux bénéficiaires et les perdants que début mai.
En effet, la plus mauvaise nouvelle de cette conférence de presse surgit lorsque le premier ministre dévoila la liste des acteurs qui travaillent à préparer le plan de déconfinement. La fameuse méthode du gouvernement ! Verdict sans appel : l’Etat et les maires. Les acteurs de la société civile ne sont pas associés. Entreprises, syndicats, associations, passez votre chemin, on vous dira tout dans deux semaines ! Méthode jacobine, bureaucratique, centralisée ! Triste France !
Le risque de rater le déconfinement
On avait cru tout entendre (et son contraire) autour des masques et des tests inutiles et bientôt obligatoires, de l’impréparation du gouvernement, du coronavirus qui ne toucherait jamais la France, de la chloroquine, un générique dont l’efficacité serait un drame pour l’industrie pharmaceutique…
Et voilà que le déconfinement (non, la sortie du confinement partielle, progressive, territorialisée, bureaucratisée…) déchaîne les passions. Il faut protéger les populations fragiles, en particulier les seniors, sans les discriminer, et libérer l’économie sans provoquer une résurgence de l’épidémie qui saturerait les services de réanimation. Les chômeurs contre les morts, en somme. Où mettre le curseur ? Edouard Philippe ne l’a pas expliqué lors de sa conférence de presse du 19 avril. Normal. Le gouvernement navigue à vue.
La seule chose qui transparaît dans les propos du chef du gouvernement est que le déconfinement va s’étaler sur une relative longue durée et que le retour au monde d’avant n’est pas pour demain.
Or un confinement prolongé aboutirait à un effondrement économique et social, avec des millions de chômeurs en fin de droit, des entrepreneurs criblés de dettes et lâchés par leur banque, des personnes dépourvues de mutuelle complémentaire qui renonceraient à se soigner, des dépressions en masse, des suicides en conséquence… Combien de morts au final ? Il est impossible de maintenir le confinement jusqu’à la disparition du virus ou la découverte d’un vaccin.
Déjà, on constate, comme l’a confirmé Olivier Véran, une baisse des consultations en cancers, appendicites, maladies chroniques… Qu’adviendra-t-il lorsque les malades arriveront à l’hôpital en état critique ?
Non, le choix n’est pas entre la bourse et la vie, entre l’économique et le sanitaire, entre la récession et même la dépression économique, et la mort par Covid-19. Si nous sacrifions l’économie, nous aurons aussi les morts, et nous risquons même d’en avoir plus que si nous n’avions procédé à aucun confinement. Bien entendu, cette dernière hypothèse est exclue, et même ceux qui l’avaient envisagé, comme les Pays-Bas ou le Royaume-Uni, dans l’espoir légitime d’obtenir une immunité collective et de sauvegarder l’économie, ont dû y renoncer.
Edouard Phillipe nous dit que le confinement a pour objet de préserver la santé des Français. Mais sa prolongation risque de ruiner cette même santé, en même temps qu’il ruinera les Français.
Alors que l’on apprend que la contamination au coronavirus pourrait ne pas conférer une immunité, et que l’on pourrait donc contracter plusieurs fois la maladie, la leçon du professeur Philippe est donc qu’on ne reviendra pas de si tôt à la vie d’avant, au monde d’avant, et qu’il faudra, si l’on veut retourner au travail et relancer vigoureusement l’économie, se protéger avec des mesures barrière plus nombreuses et plus rigoureuses que celles actuellement en vigueur. Nous y avons déjà consacré plusieurs articles et nous y reviendrons encore et encore, car cela est aujourd’hui notre horizon commun et le principal challenge de la France.
Seule bonne nouvelle de la soirée : après des mois de combat, qui avait des airs de guerre de religion, le gouvernement a enfin intégré le port des masques dans les gestes barrière ! Un goût de victoire à la Pyrrhus mais c’est déjà cela de gagné pour la prochaine bataille du déconfinement.
Le gouvernement se doit d’être efficace sur le plan sanitaire, mais aussi équitable sur le plan économique et social. Ainsi, on peine à comprendre la logique sanitaire qui consiste à interdire l’ouverture de tous les commerces capables d’organiser des mesures barrière indispensables, alors que dès le 11 mai, les foules vont s’entasser dans les transports en commun.
Mesures et gestes barrière (dont le port du masque et la désinfection des mains et des surfaces) donc, mais aussi tests de dépistage de toutes les personnes présentant des symptômes du Covid-19, pour les isoler à leur domicile ou à l’hôtel. À entendre Olivier Véran lors de la conférence de presse du 18 avril, telle est désormais la politique du gouvernement. Mieux vaut tard que jamais, à condition toutefois d’être en mesure de la mettre en œuvre. Le passé et le passif du gouvernement nous conduisent à en douter. On se demande, par exemple, ce qu’on attend pour imposer une prise de température à l’entrée de tous les lieux accueillant du public, suivie d’un dépistage immédiat des fiévreux. Tant de pays le font déjà. On s’interroge donc sur la capacité de pratiquer un dépistage comparable à ce qui se fait chez nos voisins.
L’urgence absolue est de cesser d’opposer l’approche économique et l’approche sanitaire, et de penser que sacrifier la première n’entrainerait pas la faillite de la seconde. Les Français doivent être bien conscients qu’Édouard Philippe ne peut en même temps annoncer que nous sommes au début d’une crise économique brutale et faire comme si l’État allait en compenser tous les effets, pour tout le monde, de sorte qu’une récession de 10 % ne serait qu’une statistique sans effet sur la vie des gens.
Combien de morts a fait la crise économique de 1929, alors que celle qui s’amorce avec le confinement en cours est considérée comme plus grave encore ? Sans doute est-il difficile de répondre à cette question, car en soi, une crise économique n’est pas une maladie. Mais rappelons qu’elle contribua grandement à l’avènement d’Adolf Hitler. La suite, nous la connaissons : 60 millions de morts. En France, la récession actuelle est la plus forte depuis…1945. De quoi méditer, mesdames et messieurs les professeurs.
Michel Taube