La crise du coronavirus restera comme l’échec de la tutelle étatique française. Et Emmanuel Macron, en ne commençant point son quinquennat par la mère des réformes, c’est-à-dire la réforme de l’Etat, a enterré toute possibilité de libéralisation profonde de notre pays. En s’abstenant d’agir ainsi, il a permis ou plutôt, soyons juste, été dans l’impossibilité d’empêcher qu’advienne la tragédie que nous vivons aujourd’hui.
Ah ce qu’on voudrait pouvoir se réjouir de la brillante gestion de la crise du Covid-19 par notre Kennedy français, l’homme du Nouveau Monde, de la créativité, du dynamisme, d’une Europe puissante qui impose à la Chine, aux États-Unis, et à leurs géants du numérique, des relations équitables et équilibrées au bénéfice de tous. Emmanuel Macron, qui avait tellement raison de rappeler que le monde n’était pas noir ou blanc, mais qu’il était en même temps noir et blanc.
Gris en somme.
Comme le sera l’après-11 mai.
Derrière les façades de Paris confinée, les couloirs numériques (les réunions webinaire ou zoom se multiplient) des pouvoirs parisiens bruissent des idées de gouvernement d’union nationale pour préparer la France d’après. Et Emmanuel Macron en serait le chef d’orchestre.
Au plus fort de la crise des gilets jaunes devenus rouges au bénéfice des bruns, au plus fort du mouvement social contre une réforme des retraites si mal préparée, mais en définitive légitime, car indispensable et plus équitable que le système actuel, nous voulions encore croire en Emmanuel Macron. Non, ce président élu à 39 ans ne peut être un pur produit de l’ENA (n’a-t-il pas voulu la supprimer ?), qui cultive jusqu’à la nausée une centralisation jacobine dont la gestion de la crise du Covid-19 met en lumière les travers. De l’ENA à la banque Rothschild, mais cela aurait pu être BNP, EDF, Sanofi, Vinci, le même moule, celui des relations incestueuses, du copinage, des renvois d’ascenseurs, des intérêts communs, forme et forge nos élites depuis des décennies, et même les deux locataires élyséens qui n’en étaient pas directement issus, les avocats François Mitterrand et Nicolas Sarkozy, n’ont eu d’autre choix que de s’y fondre. Emmanuel Macron ne s’y est pas fondu. Il s’en est délecté.
Un coup de barre à gauche en vue ?
A relire ses récents discours de rock star (suivis par 38 millions de Français), on comprend qu’Emmanuel Macron pourrait nous préparer un retour massif de l’Etat, une emprise encore plus forte de la décision centralisée pour déterminer ce que sera le monde d’après.
Souvenons-nous de son dernier discours le 13 avril : « Sachons, dans ce moment, sortir des sentiers battus, des idéologies, nous réinventer – et moi le premier ». Le reste résonnait ainsi : « 10 % de récession ? Ne vous inquiétez pas : l’État est là, l’État veille, l’État vous protège, l’État vous aime ».
À gauche toutes, donc, pour assurer sa réélection, et enterrer définitivement le parti socialiste et siphonner l’électorat de Jean-Luc Mélenchon comme Nicolas Sarkozy l’avait fait, avec succès, avec celui de Jean-Marie Le Pen en 2006.
Vous en voulez la preuve ? Emmanuel Macron s’est fait adouber dimanche, à la une du Parisien, par un pilier de la gauche d’avant-hier, Jean-Pierre Chevènement. On est loin de la France start-up nation ! Chevènement, chantre d’un État omniprésent mâtiné de nationalisme. Non Monsieur Macron, non Monsieur Chevènement, l’alternative au « tout marché » (dans le pays au 56 % d’État ?!) ne doit pas conduire au « tout État », mais au « mieux d’État », à un État régulateur.
Et Stéphane Séjourné, oreille (parmi d’autres) du président, de confesser à la une du Point : « n’ayons pas peut du mot ‘nationalisation’ ».
Prolonger le confinement alors que nos voisins en sortent (nous allons à nouveau être très en retard), condamner certaines branches, comme la restauration, le tourisme, la culture, à devenir des mendiants ne pouvant survivre que grâce à l’aumône de l’État (merci l’Etat de nous sauver), tous les ingrédients sont en place pour ce virage à gauche.
Or c’est l’Etat centralisateur qui nous a fait perdre quelques années dans la mise en place d’un plan de prévention des pandémies. C’est la tutelle sanitaire et administrative qui a tardé à mobiliser tous les moyens pour doter la France de masques, de tests, de respirateurs, de blouses et de gants. C’est la tutelle sanitaire qui a préféré miser tout sur l’accueil des malades les plus atteints à l’hôpital plutôt que de faire des médecins généralistes la première ligne de front. C’est pour cela que les solutions pré-hospitalières, comme la prescription de chloroquine par les médecins généralistes lors des premiers symptômes de détresse respiratoire, ont été scandaleusement écartés.
Convoquer Chevènement pour envisager l’avenir de notre pays, c’est renoncer au pôle libéral de la macronie. Edouard Philippe, Bruno Le Maire et Gérald Darmanin apprécieront.
Oui, il faut un Etat stratège, oui, il faut réindustrialiser la France, oui, il faut même nationaliser certaines entreprises stratégiques en péril ou qui ont manqué à leur devoir patriotique, oui, il faut injecter de l’argent dans l’économie, mais uniquement pour raviver le ressort, le poumon oserai-je dire, de l’économie puis laisser les entreprises avancer. Mais, oui, il faut moins d’Etat. Il faut plus de décentralisation. Il faut plus de libertés aux acteurs économiques et sociaux de mettre en oeuvre les solutions pour la France de demain.
Ce serait une grave erreur et un désastre pour la France que de tirer comme conclusion de cette crise que la France a besoin de plus d’Etat : l’État centraliste, jacobin, bureaucratique, obèse, dépensier, et par conséquent fiscalement confiscateur, n’a jamais rimé avec des services publics performants et une économie prospère. Il a contribué aux retards de réaction de la France dans la crise du coronavirus. Ce retard se comptera en milliers de morts et millions de chômeurs.
Vous voulez des preuves de l’avanie de l’Etat dans cette crise ? L’arrêt total (la justice) ou partiel (La Poste) de grands services publics dans cette crise est profondément choquant. Les droits de retrait ont été multiples dans les services publics (on aimerait que l’Etat nous en communique le chiffre !).
Autre preuve désastreuse : la plupart des entreprises n’ont pas touché à ce jour les quinze jours de chômage partiel du mois de mars qu’elles ont dû avancer dans le cadre de l’usine à gaz mise en place par le gouvernement pour répondre à la crise économique. La catastrophe de trésorerie est annoncée pour la fin avril.
Quel paradoxe : avant l’épidémie de Covid-19, nous étions déjà à 56 % du PIB absorbé par le secteur public, avec pour résultat des services publics de plus en plus sinistrés, à commencer par l’hôpital. Que nous prépare-t-on ? 80 % pour le secteur public ? Jean-Luc Mélenchon serait bien le seul à se réjouir que la France imite le Venezuela !
Pour être efficace, l’État doit être svelte, les services publics décentralisés, au plus proche du citoyen, les initiatives locales libérées et encouragées, la fiscalité maîtrisée pour ne pas étouffer l’innovation et la créativité, dont il est démontré qu’elles émanent presque exclusivement du secteur privé.
C’est le contraire qui se prépare.
Adoubé par Jean-Pierre Chevènement, Emmanuel Macron s’apprêterait-il, sous prétexte de conduire la préparation de la France d’après en convoquant un gouvernement d’union nationale, à se relancer politiquement en mettant tout en œuvre pour devenir le candidat d’une gauche rénovée à la prochaine présidentielle, et ceci à la faveur d’un retour massif de l’État sauveur dans une France meurtrie par le coronavirus ?
Michel Taube