Dès le début de la crise du coronavirus, Opinion-internationale osait présenter la terrible équation que peu d’observateurs voulaient voir (certains parlaient encore de grippette) : le taux de propagation du coronavirus multiplié par son taux de mortalité donnait des centaines de milliers de morts.
Aujourd’hui, on se rend compte que la réalité pourrait être pire : selon l’évaluation de l’Institut Pasteur, seuls 5,7 % des Français auront été infectés à la date de levée partielle du confinement, le 11 mai prochain (12,3% pour les Franciliens). Or nous en sommes déjà à plus de 20.000 morts décomptés, et pourrions atteindre les 30.000 ou nous en approcher d’ici le 11 mai. Le même institut considère que 0,5% des personnes infectées meurent, ce qui est sous-évalué au regard des chiffres constatés. En outre, sur 155.383 cas de maladie effective au 21 avril, 20.262 ont eu une issue fatale, ce qui donne une mortalité de 13,04 %.
Pire encore, ce bilan a été obtenu alors que la saturation des services d’urgence a été évitée. Nous n’osons imaginer ce qu’il adviendrait si des dizaines de milliers de patients devaient simultanément être mis en réanimation, sous respirateur (que nous n’avons pas en si grand nombre), bref si le système sanitaire s’effondrait…
Ce diagnostic, c’est pour la santé.
Le prolongement durant plusieurs mois d’un confinement qui étouffe l’économie et la société entraînerait in fine la ruine, la paupérisation et la misère de millions de personnes, avec des conséquences sanitaires également incommensurables, y compris en termes de mortalité.
Ce constat, c’est pour la vie sociale.
Pour espérer éviter ce double désastre, il n’y a que deux solutions combinées : protéger les personnes fragiles et multiplier les gestes barrière. Il faut réorganiser, et pour longtemps, la vie sociale autour de ces gestes ! Tel est désormais le chantier du monde d’après. Et autant dire que demain, c’est aujourd’hui »oui qu’il commence !
Pour ne pas choisir entre désastre et désastre, pour travailler en minimisant le risque de contracter la maladie, cette double recommandation revient à préconiser que nous imitions ceux qui ont réussi : gestes barrière, tests massifs, isolement des seuls infectés. Si cela peut sauver des milliers de vies, il faudra recourir au traçage, quitte à ce que cela s’apparente à une assignation à résidence avec bracelet électronique. Nous sommes dans une démocratie où ces mesures exceptionnelles peuvent être encadrées, même si on peut regretter qu’en l’espèce, elles ne soient contrôlées que par le seul juge administratif.
S’agissant de la barrière la plus évidente à la contagion, vu le mode de transmission du coronavirus, il est urgent que l’État s’organise pour procurer à tous les citoyens des masques FFP2, et pas seulement des masques chirurgicaux ou en tissu, sauf à démontrer leur efficacité. Or pour le moment, des médecins bafouillent des explications très peu scientifiques (ces masques évitent les projections de gouttelettes, mais ne protègent « qu’un peu » contre le virus). « Un peu », c’est mieux que rien, mais pourquoi s’en contenter ? Construire des usines de masques FFP2 comme la Chine a su bâtir des hôpitaux en dix jours, cela devrait être possible pour la sixième puissance mondiale, et infiniment moins coûteux que l’effondrement de toute notre économie.
Le gouvernement ne peut en rester aux gestes barrière qu’il préconise invariablement depuis le début de la crise. Il n’est pas normal qu’il ait fallu deux mois pour obtenir, de haute lutte, l’inscription du port du masque « grand public » dans les gestes barrière.
Outre ce dernier, les autorités sanitaires se doivent d’informer les Français sur la durée de vie du coronavirus sur différentes surfaces, et la nécessité de les désinfecter systématiquement. Lorsque l’on fait ses courses ou que l’on se fait livrer, il faut désinfecter les emballages, mais aussi laisser ses chaussures à l’extérieur ou désinfecter les semelles. Il faut aussi informer sur la possible présence du virus sur les vêtements, les cheveux, la peau, par exemple en sortant d’un métro où les distances de sécurité ne peuvent être respectées. Quelles conséquences en tirer ? Tout cela peut sembler exagéré, presque paranoïaque. Que ceux qui pensent ainsi pensent à la comparaison avec la grippette et méditent les chiffres mentionnés au début de cet article. Comme à l’époque de la grippe espagnole, une seconde vague, plus brutale et mortelle que la première est à craindre, conduisant à un nouveau confinement, encore plus radical et destructeur pour l’économie.
Bien entendu, il faudra aussi généraliser le télétravail partout où cela est possible – Valérie Pécresse a bien raison d’appeler les Franciliens à continuer à travailler en télétravail et à développer rapidement la télémédecine. C’est toute l’économie qu’il faudra adapter. Nous avons milité pour que les restaurants puissent ouvrir le 11 mai, comme d’autres commerces. Mais eux aussi doivent se prendre en main au lieu d’attendre tout d’un État bureaucratique qui a montré ses limites. La vente à emporter n’a jamais été interdite, mais elle est toujours restée sporadique. Ceci n’est pas la faute de l’État.
Une autre urgence est de plus en plus évidente : valoriser les médecins de terrain, en particulier les généralistes, s’occuper de leurs patients. Jusqu’alors, nombre des mandarins du système hospitalier, suivis par Emmanuel Macron, ont méprisé et écarté la médecine de ville, et parfois minimisé l’importance du dépistage et du port du masque. On a vu le résultat : les services de réanimation n’ont échappé à la saturation que parce qu’on n’y a pas envoyé les pensionnaires des EHPAD, morts dans d’atroces conditions.
La loi doit accompagner et favoriser cette nécessaire mutation. Par exemple la formation continue, si indispensable au maintien et au développement des compétences, devra s’affranchir de protocoles bureaucratiques hérités de la formation présentielle, lorsqu’elle est dispensée à distance. Il faut répondre aux besoins des entreprises et non aux lubies administratives des bureaucrates.
Nous n’avons pas le choix. Nous sommes face à un fléau dont on découvre chaque jour à quel point il est mortifère. Quant au vaccin, autant ne pas y compter : celui contre le VIH (SIDA) n’est toujours pas au point après quarante ans de recherche.
Soyons positifs : faire face à un pareil challenge a quelque chose d’exaltant. Nous écrivons une page de l’histoire de l’humanité et de notre pays. À nous de faire en sorte que le monde d’après soit meilleur. À l’État de nous y aider, sans nous mettre des embuches.
Monsieur le Président, vous qui rêviez de startup nation et qui pourriez y renoncer au profit du renforcement d’un État mammouth hypercentralisé, c’est d’une France inventive, innovante, créatrice dont nous avons plus besoin que jamais.