La littérature féminine est à l’honneur : le prix 2020 de la Closerie des Lilas, dont le jury est présidé cette année par Josiane Balasko, est décerné à Sandrine Collette pour son roman « Et toujours les Forêts » (JC Lattès). Un roman sur l’instinct de vie aux allures de fin du monde… Un livre remarquable qui angoisse autant qu’il séduit en ces temps de confinement.
Notre chroniqueuse littéraire, Anne Bassi, a recueilli les témoignages de Carole Chrétiennot, d’Emmanuelle de Boysson, toutes deux co-fondatrices du Prix, et, bien entendu, la réaction à chaud de la lauréate Sandrine Collette.
Un livre à lire, notamment en version numérique, en attendant l’ouverture de nos chères librairies indépendantes.
Fermeture des librairies, rentrées littéraires décalées… Malgré le confinement, les fondatrices du Prix de la Closerie des Lilas ont souhaité continuer de s’adresser aux auteurs et aux lecteurs et de maintenir le prix. C’est dans ces moments difficiles que la culture est indispensable. Chaque prix est un espace incontournable de reconnaissance littéraire et de visibilité. Il invite aussi à réfléchir à la condition d’auteur sans laquelle la chaîne du livre n’aurait pas lieu d’être.
Crée en 2007, le Prix de la Closerie des Lilas a pour objectif de faire connaître une littérature féminine de qualité. Chaque année il couronne une romancière de langue française dont l’ouvrage paraît entre janvier et mars.
Les fondatrices composent le jury permanent mais par souci d’indépendance et d’ouverture, leur volonté est d’inviter des jurés différents chaque année. Il rassemble des femmes du monde des arts, des lettres, de la presse, des sciences et de la politique. La présidente du jury 2020 est Josiane Balasko.
Sandrine Collette, vous venez de recevoir le Prix 2020 de la Closerie des Lilas pour votre livre « Et toujours les Forêts » (JC Lattès). Pourquoi avoir choisi le thème de la catastrophe écologique ? Y pensez-vous depuis longtemps ?
En fait, plus que la catastrophe écologique, c’est la puissance de la nature qui me fascine. Sa puissance positive – dans toute sa beauté et son côté nourricier – tout comme sa puissance destructrice. C’est une sidération devant une force que rien n’est capable d’arrêter, qui est à la source de plusieurs de mes romans.
Dans les Forêts vient s’ajouter l’anéantissement total, dont on ne saura jamais d’où il est venu : de la nature ? de l’homme ? C’est une extrapolation de signes minuscules comme la quasi disparition des insectes écrasés sur les pare-brise de voitures, les arbres ici et là qui meurent dans les bois et qu’on ne remarque que deux ou trois ans plus tard.
Je dirais que c’est une peur dans l’air du temps, d’autant plus réaliste que nous avons tous perçu, vu, senti des alertes.
L’écho de votre livre bénéficie-t-il de ce climat de fin du monde qui règne dans Paris désertée ?
Dans la campagne perdue où je vis, si nous ne remplissions pas nos autorisations de déplacement, je dirais que rien n’a changé ou presque. Nous croisons nos voisins, nous sommes dans les jardins, nous nous promenons, dehors il y a à peine moins de monde qu’avant, puisqu’il y avait déjà très peu de monde.
Mais quand je vois Paris désertée, c’est une scène incroyable. Chaque jour je me demande, si l’homme ne réinvestissait pas la ville, combien de temps celle-ci mettrait à s’effondrer. Le temps que l’herbe, les arbres, les lianes perforent le macadam, montent le long des façades d’immeubles, brisent les vitres, entrent dans les maisons, en un mot, effacent les traces de notre passage.
Jamais ces images ne me sont venues tant que Paris était pleine, mais le vide ouvre la porte à ces questions-là il me semble. Alors oui, bien sûr, beaucoup de lecteurs ont fait cet étrange lien entre mon livre et ce qui se passe en ce moment, moins dans le contexte que par les interrogations et les angoisses que cela suscite en nous. Et si la coïncidence des deux peut faire réfléchir, tant mieux.
Depuis votre premier roman, votre conception du rôle de l’écrivain s’est-elle modifiée ?
Je dirais qu’elle a été modifiée par les réactions des lecteurs vis-à-vis de mes romans. Je n’imaginais pas à quel point cela jouerait. Mon premier roman, je l’ai écrit pour écrire une histoire, parce que c’était mon rêve depuis toujours. Mais peu à peu, parce qu’un livre fait réagir quelque chose chez le lecteur (il émeut, il fait rire, il fait pleurer, il angoisse, en un mot : il pose des questions), j’ai réalisé que je passais inconsciemment des messages, qu’ils soient reçus ou non. L’histoire et les personnages restent le noyau du livre, mais un livre est bien plus que cela. Je crois que c’est le moment où j’ai glissé du thriller au roman noir, voire au roman : là où on peut entrer dans le cœur du monde, montrer des choses, alerter, interroger, tout en ayant le recul de la fiction.
Carole Chrétiennot, en 1994, vous avez été avec Frédéric Beigbeder à l’initiative du Prix de Flore qui avait pour objectif de distinguer de jeunes auteurs prometteurs, au talent insolent et original. Puis, en 2007, vous avez été à l’initiative de la création du Prix de la Closerie des Lilas. Comment expliquez-vous votre attachement aux prix littéraires ?
Un amour inconditionnel de la littérature… La littérature permet à chacun de trouver un monde, son monde et sa place !!! On ne sent plus jamais seul avec un livre. Les prix littéraires ont la vertu de mettre en lumière des auteurs, de les rassurer sur leur talent, de leur permettre de continuer à écrire et à transmettre leurs émotions.
Le Flore et La Closerie portent en eux une part de l’histoire de la culture française. Nous avons voulu créer des prix singuliers liés à l’ADN de ces lieux.
Pourquoi avez-vous aimé ce livre ?
Nous lisons pour apprendre, pour s’évader, pour mieux comprendre le monde. J’ai lu ce livre au mois de décembre dernier et depuis ce jour, il ne me quitte pas. Sandrine Collette a eu le talent d’écrire un livre qui nous accompagne, c’est remarquable.
Pourquoi avoir créée en 2007 un prix féminin ? La littérature féminine a-t-elle un sens ? Et comment a-t-elle évolué en 13 ans ?
Au fil des années, j’ai pu observer une sous-représentation des femmes dans l’art en général et dans le monde littéraire en particulier. Le Prix de la Closerie des Lilas est une réponse à ce constat. C’est une récompense qui porte la voix des femmes, tant par la constitution du jury que par le choix des romans. En revanche, je ne pense pas qu’il y ait une littérature dite « féminine », la littérature n’a pas de genre, elle est ponctuée par une sensibilité féminine ou masculine…
Il s’agit plus d’une question de représentativité que d’évolution de la littérature féminine, on voit plus d’auteures s’exprimer sur les plateaux de télé, dans la presse littéraire. Mais ce n’est pas parce qu’il y a plus d’écrivaines, c’est juste que peu à peu elles deviennent incontournables, c’est toujours un peu plus laborieux pour les femmes, ça vient d’ailleurs peut-être d’elles, ce culte de l’égo résonne moins fort chez la femme.
Comment décerner un prix en plein confinement ?
Comme vous le savez, le Prix de la Closerie des Lilas est constitué d’un jury fondateur (Emmanuelle de Boysson, Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Stéphanie Janicot, Jessica Nelson, Tatiana de Rosnay et moi-même) et d’un jury invité. Cette année nous sommes ravies d’accueillir Lydia Bacrie, Josiane Balasko (présidente), Anne Berest, Isabelle Carré, Zoé Félix et Adèle van Reeth. C’est ce qui rend ce prix si singulier, une vraie vision plurielle
Cette année, nous avons quand même pu nous rencontrer une première fois mais les votes ont dû être réalisés par mails.
Lorsque l’on a su que nous ne pourrions pas nous réunir, le jury fondateur et moi-même avons pris la décision de maintenir le prix et d’organiser nos échanges par mails, on a beaucoup de chance car le jury 2020 est extrêmement investi et a tenu, comme nous, à ce que l’édition 2020 existe.
Les auteures sélectionnées étaient déjà prévenues, donc leurs maisons d’édition aussi. Nous n’allions pas abandonner… Créer un prix littéraire et le faire perdurer est une responsabilité, chacune de nous partage ce respect pour tous les acteurs des métiers du livre et bien entendu des lecteurs !
Je dois dire que le champagne nous a manqué, la ferveur de nos débats aussi mais la passion de la littérature jamais. Et voilà que le Prix de la Closerie des Lilas 2020 a été décerné… et nous espérons pouvoir fêter çà plus tard !!
Vive la littérature, vive la culture.
Emmanuelle de Boysson, vous êtes une des fondatrices du Prix de la Closerie des Lilas et membre permanent du jury. Pourriez-vous nous rappeler pourquoi vous avez souhaité créer en 2007 un prix féminin ?
L’aventure du Prix de la Closerie des Lilas est d’abord une histoire d’amitié entre une petite bande de romancières et Carole Chrétiennot qui avait l’idée de créer un prix de femmes à La Closerie des Lilas. Entre nous, un même constat : il nous semblait nécessaire d’équilibrer les jurys littéraires, trop souvent composés d’une majorité d’hommes. Nous voulions aussi nous démarquer et aller jusqu’au bout de notre projet : promouvoir la littérature féminine, souvent sous-estimée, à l’exemple du prix anglo-saxon : Orange Prize.
Pendant dix ans, j’ai été présidente du Prix. Aujourd’hui, la présidence change chaque année. En tant que co-fondatrice, je fais partie des six membres permanents et afin de fédérer les anciens membres du jury, nous avons créé, dès l’origine, l’Académie Lilas. Les académiciennes élisent la femme de l’année. Mona Ozouf vient d’être élue et nous en sommes fières.
Tous les ans, je suis épatée par la qualité des échanges au cours de nos réunions de délibération. Les femmes qui font partie du jury se passionnent pour les romans sélectionnés par le comité de lecture et les débats restent des moments forts que l’on aimerait filmer, où chacune prend le temps de défendre ses coups de cœur, de tenter d’influencer les autres !
Comment fonctionne le comité de lecture ? Quelle est sa composition ? Comment les réunions se déroulent-elles ?
Chaque année, les cofondatrices du Prix de la Closerie des Lilas, avec la participation des journalistes Anne Nivat et Josyane Savigneau et, en 2020, pour la première fois, de la blogueuse littéraire, Agathe Ruga, se mobilisent pour lire les romans répondant aux critères du Prix (roman francophone publié de janvier à mars, de qualité et grand public, d’une romancière peu connue). Entre novembre et février, nous lisons entre 60 et 80 romans. Après de nombreux échanges, nous établissons une sélection de huit livres. Cette première liste est présentée au jury tournant de l’année, lors de la première réunion. Le rôle du comité de lecture est en ce sens essentiel car il s’agit de découvrir des talents : nous ne gardons pas dans notre sélection des romancières déjà reconnues. En effet, à quoi sert un Prix littéraire, s’il se contente de couronner un auteur déjà célébré ?
Evidemment, nous revendiquons une part de subjectivité, mais nous veillons à garder notre indépendance vis-à-vis des maisons d’édition et nous ne nous permettons pas de défendre les textes des éditeurs qui nous publient. Nous ne sommes pas toujours d’accord et ce sont justement ces divergences qui font notre richesse !
En tant qu’auteure, comment vivez-vous la période actuelle de confinement ?
Même si j’en comprends les raisons, je souffre d’avoir perdu ma liberté. Au début, j’étais pleine d’énergie, j’écrivais beaucoup, je cuisinais, je relisais mes romans préférés, mais avec le temps, je me replie, je me sens moins inspirée, angoissée et je ne supporte plus d’être séparée de mes enfants, de mes amis.
La mort de tant de personnes âgées m’attriste terriblement : chacune est une mémoire de notre temps et je pense aux familles qui n’ont pas pu leur dire au revoir ni aller à leur enterrement. Il y a là quelque chose d’inhumain qui me choque.
De même, je suis très sensible à la violence faite aux enfants et aux femmes, mais aussi au drame des petits commerçants qui vont devoir mettre la clef sous la porte.
Bien sûr, j’admire les soignants qui se battent pour sauver des vies et ceux qui prennent des initiatives de solidarité, mais cette période met en évidence les injustices sociales, les lourdeurs de l’administration, notre dépendance commerciale et notre peu de respect pour l’écologie.
J’espère qu’elle engendrera des changements profonds, bien que je ne sois pas très optimiste.
Des entretiens et un dossier réalisés par Anne Bassi, fondatrice de Sachinka et chroniqueuse littéraire d’Opinion Internationale