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07H03 - lundi 27 avril 2020

Mai 1920 – mai 2020 : le syndrome Deschanel. La chronique d’une nouvelle époque de Jean-Philippe de Garate

 

Lui aussi était président de la République. Aux élections présidentielles de février, il avait battu Clemenceau, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Georges se voulait la guerre faite homme, Paul personnifiait la paix retrouvée, les « années folles » à leur naissance : bonjour sourire, adieu les larmes… la joie de vivre retrouvée. Mais longtemps, la Grande Guerre allait projeter ses puissantes ombres sur notre pays. Cette tuerie, le Tigre l’avait voulue totale, intime, définitive : « J’avais une femme, elle m’a trompé. J’avais des amis, ils m’ont trahi. J’ai des dents, je mords ». C’était ça, Clemenceau. Un médecin misanthrope qui rejetait après rapide lecture les relevés des pertes journalières au front, comme en ces jours de 1917 : 26 avril : 17.000 morts. 27 avril : 22.000 morts. Des chiffres que personne ne songera à mettre en parallèle.

On ne comptait pas les disparus. Les historiens les estiment aujourd’hui entre 3 et 500.000. Ses attachés de cabinet, tel Georges Mandel, qui lui tendait les rapports, le voyait plus intéressé par un plan, le seul document qui ne quittait pas le bureau de Clemenceau : la carte de l’Autriche-Hongrie, à dépecer. L’Empire ottoman, oublié, allait se maintenir dans l’Asie mineure, grecque, byzantine et chrétienne, pour alimenter ensuite le fondamentalisme que l’on sait. Cette faute d’optique, cette erreur de carte -que stigmatisera un certain Churchill- n’allait cesser de peser sur l’Europe… Elle ne cesse pas…

Et pourtant, en dépit de tout, Clemenceau était un chef. Il assumait. Il assumait tout. A commencer par les effroyables erreurs.

Exit Clemenceau. Paul Deschanel, c’était la paix ! De belle allure, d’une prestance assurée, aussi élégant pour accueillir les forts des Halles venus lui apporter le traditionnel muguet du Premier Mai qu’au pesage d’Auteuil, l’homme aux scores « sud-américains », élu des décennies durant avec soixante-dix, voire quatre-vingt pour cent des suffrages dans ses circonscriptions et à la présidence de l’Assemblée, avait toutes les cartes en mains en arrivant à l’Elysée.

Et puis, tout avait basculé.

Elu président sans avoir exercé, lui non plus, de réelles fonctions de première ligne, il découvre que le pouvoir, c’est   précisément monter en ligne. Plus de comités Théodule pour arrondir les angles ni de bouc-émissaire pour recueillir les contre-effets de la mauvaise décision, mais le pouvoir cru. Le choix, solitaire, manichéen, immédiat qui, telle l’arme antique, blesse d’abord celui qui va frapper.

Tout bascule. On connaît l’histoire.

Le 23 mai 1920, alors qu’il s’était dit quelques instants auparavant la proie d’une sensation d’étouffement, le président de la République fait une chute en voulant descendre de son train en marche. Nous sommes la nuit. En pyjama, légèrement blessé, Paul se présente à un cheminot de la ligne : « Je suis le président ».

Depuis un siècle, on a beaucoup glosé sur le « syndrome Deschanel » : surmenage, écrivait-on alors. Les travaux les plus récents ont plutôt privilégié l’angoisse et la dépression. Le chef de l’Etat a pris conscience, non pas d’une absence de pouvoir, mais de cette donnée à inscrire en lettres de feu sur la façade de l’ENA et autres fabriques de formatage : « lorsqu’on lâche une pierre, elle tombe ».

L’inconséquence n’est plus possible. Autant il était facile pour Paul, recommandé des meilleurs – le parrain du président Deschanel se nommait Victor Hugo – de citer Plutarque ou Danton, comme aujourd’hui à son successeur d’aligner des « chiffres d’expert » ou égrener des « éléments de langage » savamment empilés, autant il est cruel d’assumer le bazar sans nom qu’on a initié, quand, à l’évidence, on n’est pas un chef. Un chef, qui parle après avoir vérifié la conséquence de ses mots… de ses décisions. Au seul service de la France.

Quelle date ? Quelle pièce de théâtre ce soir-là ? Combien de morts du Covid ?

Oui, « lorsqu’on lâche une pierre, elle tombe ». Beaucoup de pierres recouvrent aujourd’hui les victimes de l’inconséquence, dans la crise que nous traversons.

On prétend que Deschanel aimait se baigner avec les   canards, dans les bassins du parc de l’Élysée. Calomnie sans doute ! Mais hier, Michel Taube, notre directeur de la publication, ne s’était pas rendu à l’Elysée pour partager une baignade avec des animaux à plumes mais offrir, selon l’usage immémorial, le muguet de mai au « premier des Français ». Fleurs refusées ! Des archives filmées montrent le général de Gaulle accueillant, après et avant tant d’autres présidents, les humbles mais dévoués Français qui ainsi, « amenaient le printemps », le joli mois de mai, un peu de réconfort au Prince seul… et cette délicieuse senteur, cette fraîcheur, cette nature, cette vie qui semble si menacée… partout.

Mai 1920- Mai 2020. Bien sûr, le président n’est plus Deschanel. Pour preuve ? Paul Deschanel accueillait lui, du moins, les porteurs de muguet.

 

Jean-Philippe de Garate

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