Plus on approche du 11 mai et plus c’est la chienlit : les écoles, les transports en commun, le travail. Les Français ne savent à quel saint se vouer.
La raison est simple, elle est principalement institutionnelle. Elle tient dans le discours du 13 avril du chef de l’Etat qui a combiné d’un côté la solennité et l’impact symbolique maximal avec 38 millions de téléspectateurs et de l’autre la plupart de ses annonces qui ont été déjugées depuis. Est-ce la faute d’Emmanuel Macron ? Oui bien sûr mais c’est surtout celle de l’institution qu’il incarne, posture dans laquelle, bien entendu, comme ses prédécesseurs, peut-être plus qu’eux, Emmanuel Macron se complaît avec délectation.
Les institutions façonnent la conduite des hommes. Or voilà déjà longtemps que la Vème République, héritage des années de Gaulle et d’une longue tradition monarchiste, est inadaptée aux complexités et aux défis de notre modernité.
La crise du coronavirus l’aura prouvé à nos dépens. Et le bilan se compte en milliers de morts, en millions de chômeurs et de pauvres et en une France déclassée au niveau mondial.
Cette faillite institutionnelle dans la gestion de la crise joue à deux niveaux : politique et administratif. Sur ce dernier, l’échec de la tutelle sanitaire est une des formes de l’avanie de cette machinerie bureaucratique dont s’est doté notre pays parce que nos institutions leur en ont donné le pouvoir exorbitant. Nous y reviendrons mais l’échec de l’Etat administratif est consubstantiel du régime politique dans lequel nous sommes : c’est des institutions de la Vème République que ce machin qu’est devenu l’Etat français tire sa substance.
Arrêtons-nous ici sur la faillite politique. Dans cette crise du Covid-19, les institutions font et auront fait que la réponse publique ne pouvait être au rendez-vous. On l’a vu avec les retards de la réponse politique lors du déclenchement de la pandémie. Le temps que les alertes remontent à l’Elysée, il était trop tard.
Et il en aura été de même pendant ces quatre semaines qui auront séparé le 13 avril et le discours du chef de l’Etat de l’entrée espérée mais encore hypothétique dans la phase de déconfinement à partir du 11 mai.
Entre le 13 avril et le 11 mai, la France aura perdu quatre semaines de querelles, d’inquiétudes (pour nos enfants), de contradictions publiques (sortiront, sortiront pas, nos aînés ?), de communication floue des ministres faute de données précises. Et tout cela pour une raison simple : parce qu’on a eu à un instant T le discours jupitérien d’un homme annonçant des décisions générales non préparées et largement arbitraires parce que prises seules. Et parce que, depuis, le gouvernement a dû se débrouiller avec.
Dans la plupart des autres pays, le délai entre le discours du chef de l’Etat (généralement un premier ministre) et la date du début du déconfinement n’a pas excédé une semaine. Et surtout l’annonce de cette date et de ses étapes n’a été faite qu’au moment où le plan de déconfinement était fin prêt.
En France, Emmanuel Macron a fait le contraire parce que la Vème République lui en offre le pouvoir suprême et qu’il ne se prive pas, comme ses prédécesseurs (plus qu’eux, je le répète), de s’en délecter.
On aura eu sur le déconfinement ce que l’on a connu dans le passé : d’un côté un président de la République élu au suffrage universel direct dont tous les Français ont attendu la parole divine et la direction à suivre comme le Messie pour conduire ses brebis (et beaucoup se sentent égarées). Et de l’autre, depuis le 14 avril, le premier ministre et le gouvernement qui ont dû se démener pour tenter d’éviter la chienlit !
A cause de ces annonces trop mises en scène et précipitées du président le 13 avril, – et alors même que les deux hommes s’entendent à merveille, les dissensions, les changements de braquets, les contradictions ne pouvaient que se multiplier. Et pas seulement à cause de l’évolution de la pandémie et des chiffres quotidiens d’hospitalisation.
Vous verrez, le 7 mai, lorsque le gouvernement rendra public le plan définitif de déconfinement, on pourra se dire : le discours de Macron du 13 avril était inutile, vain, et, pour tout dire, contre-productif.
Un mois de perdu avec des conséquences humaines, sociales, sanitaires, morales et politiques incalculables.
Pour notre part, nous croyons Edouard Philippe, loyal premier ministre, qui disait en 2018 : « Personne, jamais, ne mettra le début du commencement de la moitié d’une feuille de papier à cigarette entre le président de la République et le premier ministre ». Son discours de mardi dernier à l’Assemblée Nationale, Emmanuel Macron a passé six heures avec l’hôte de Matignon pour le préparer dans les moindres détails.
Sauf que, encore une fois, cette double détente de l’exécutif est une arme qui ne peut que manquer sa cible. Or cette fois-ci, avec la crise du coronavirus, nous vivons ce que nous n’avions pas connu ces dernières décennies : il y a mort d’hommes (et de femmes) et une crise économique terrible faute d’avoir atteint cette cible.
Ironie de l’histoire, nous avons un premier ministre qui, enfin (car ce fut rarement le cas sous cette République), met en œuvre, lui et non l’Elysée, l’article 20 de la Constitution : « Le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation. Il dispose de l’administration et de la force armée ». Pour le chef de l’Etat comme pour l’hôte de Matignon, il est hors de question que le second soit « le premier collaborateur » du premier.
L’homme fort du régime, en fait, c’est Edouard Philippe. Surtout dans la gestion d’une crise sociétale qui impacte toutes les dimensions de nos vies. Mais le pouvoir est à l’Elysée, déconnecté, de plus en plus seul et isolé !
Dans cette crise du coronavirus, l’exécutif de notre Vème République aura fonctionné comme un monstre à deux têtes. Il est urgent de changer de régime et de faire comme dans toutes les grandes démocraties : n’avoir qu’une tête à la tête de l’Etat.
Michel Taube