La chronique de Patrick Pilcer
15H59 - samedi 2 mai 2020

Peut-on encore vieillir en France ? La chronique de Patrick Pilcer

 

Il y a un an, se poser cette question aurait paru quelque peu saugrenu. La France en 2019 était un des pays avec l’espérance de vie la plus élevée, 85 ans pour les femmes et 79 ans pour les hommes. Cette longévité posait d’ailleurs quelques problèmes économiques, financement de la dépendance, et financement des retraites. La réforme des retraites, réforme majeure du quinquennat aujourd’hui remisée aux oubliettes, avait, inutile de le rappeler, bloqué Paris et affecté déjà l’activité des restaurants et des transports plusieurs semaines.

Tous les soirs, la Direction Générale de la Santé égrène les chiffres des morts, tant de morts dans les hôpitaux et tant dans les EHPAD. Or, si nous examinons les chiffres de la mortalité due au Covid 19, près de 40% des morts sont décédés dans les EHPAD. Sur les 730 000 résidents dans les Etablissements d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes, les morts officiellement dues à la pandémie représentent certes seulement 1,5%, ce qui est déjà beaucoup, mais ces morts sont concentrés dans les EHPAD de la Région Parisienne, du sud Est et du Grand Est, là où les services de réanimation sont les plus encombrés, et là, le pourcentage de décès devient nettement plus fort.

Comment comprendre, comment admettre une telle mortalité chez nos personnes âgées ? Rappelons que le H de EHPAD n’est pas pour Hospitalier mais pour Hébergement. Autrement dit, ces personnes sont décédées non pas dans des unités de réanimation ou de soins intensifs mais dans leur maison de retraite ! Les questions, dès lors, fusent : a-t-on refusé de déplacer ou d’admettre ces malades dans les hôpitaux ? y-a-t-il eu des consignes pour trier de facto les malades, avant admission, et ne pas transférer ces personnes âgées en hôpital et les mettre sous respirateur ? qui a décidé cela ? pourquoi ? Force est de constater que les gériatres dans les EHPAD ont été livrés à eux-mêmes, dans l’impossibilité de soigner efficacement. Rappelons que l’EHPAD n’est pas une structure hospitalière mais un établissement d’hébergement, peu adapté aux types de soins que nécessite le Covid 19. A-t-on donné à ces médecins des consignes inapplicables qui revenaient à laisser mourir les patients atteints ? Ces médecins ont-ils eu au moins à disposition des bouteilles d’oxygène, ou juste du Doliprane ? L’isolement et la distanciation sociale prônés par le désormais fameux Conseil Scientifique ont-ils contribué à hâter la mort de ces Anciens ?

3 mois de confinement quand on a 85 ans et une espérance de vie qui se compte alors en mois sinon semaines, ce n’est pas la même chose que quand on a 40 ans ! A quoi bon vivre 3 mois de plus, prisonnier dans sa maison de retraite sans même un réel parloir ! Plus largement, peut-on faire société quand on prône la distanciation sociale ? « Distanciation », d’ailleurs, quelle erreur de langage ! Respecter les gestes barrières, bien sûr, mais m’éloigner de mon prochain, de mes aînés, je ne trouve cela vraiment pas digne de la France, de ses valeurs ni en accord avec la Fraternité, valeur encore inscrite au fronton de nos bâtiments publics. Notre République tient debout sur ses trois pieds : la Liberté, l’Egalité, la Fraternité. Sur ces trois pieds, la République est en équilibre stable et peut affronter les tempêtes. Otez ce troisième pied, la Fraternité, et la République ne résistera pas au moindre vent contraire !

Il faudra, à mon humble avis, au moins une commission d’enquête parlementaire sur ces sujets, sur la manière dont nous avons traité nos aînés, et en particulier dans les EHPAD, pour éclairer, rassurer nos concitoyens, ou dénoncer et sanctionner les défaillances de l’administration sanitaire. Nos gouvernants disent haut et fort que leur souci premier est de protéger les plus faibles, et en particulier les personnes âgées. Les faits tendent à prouver le contraire. Cela me fait penser au fameux escroc new-yorkais Bernard Madoff. Sur son site, avant l’affaire bien sûr, on pouvait lire en première page que sa gestion était « Highly Ethical ». Cela a permis à certains investisseurs, fins psychologues, de ne pas perdre leur argent. En effet, quand on clame haut et fort quelque chose, quand on ressent le besoin de dire qu’on est « hautement éthique » alors que ce devrait être un pré-requis, une évidence, et on constate le plus souvent, amèrement, le contraire dans les faits ! il y a les diseurs, il y a les faiseurs et ce sont rarement les mêmes!

La question de la barre d’âge est cruciale. Elle a été soulevée dans les premiers temps des réflexions sur le confinement. Va-t-on demander aux personnes de plus de 70 ans de rester confinées chez elles ? place -t-on cette barre à 65, 70 ou 75 ans et pourquoi? Y-a-t-il des protocoles dans nos hôpitaux, en réanimation par exemple, qui excluent de fait les personnes de plus d’un certain âge, disons 80 ans, de bénéficier de la même qualité de soins intensifs et de traitement que les autres ? Les services de réanimation « s’embêtent-ils » à réanimer une personne de plus de 80 ans, ou se retranchent-ils derrière le droit à ne pas « s’acharner », qui devient alors vite un droit à laisser mourir ? Pourquoi une barre sur l’âge alors que la médecine va de plus en plus vers des traitements personnalisés ? comment peut-on tolérer une discrimination sur l’âge, en 2020, quand on se bat, jour après jour, contre les discriminations sur la religion, sur le genre ou sur la couleur de peau ? est-ce conforme à notre Constitution de discriminer sur l’âge?

Notre société a aujourd’hui besoin d’un véritable débat sur ces barrières d’âge, sur l’accès aux soins, aux meilleurs protocoles selon l’âge. Nous ne pouvons ranger ce débat sous le tapis. Comment comprendre que nous repoussions l’âge de la retraite à 65 ou 67 ans quand nous refusons les meilleurs protocoles de soins après 80 ans, voire quand nous leur refusons l’accès en réanimation.  Ces personnes n’ont-elles pas cotisé plus de 40 ans à la sécurité sociale ? n’ont-elles pas droit aux meilleurs traitements ? n’est-ce pas notre devoir de les leur proposer ?

Chacun connait l’anecdote de la mise en place de la retraite par Bismarck : il avait fixé l’âge de la retraite de façon à n’avoir presque jamais à la verser ! Au passage, plutôt que de régler le problème de financement des retraites par le haut, en augmentant l’âge de départ, on aurait pu choisir de le régler par le bas, en mettant en place des politiques de natalité ! Susciter un nouveau baby boom, sans passer pour autant par un confinement, ne permet-il pas de changer les paramètres du problème sans bloquer l’économie et mettre les syndicats dans la rue ?

Alors, peut-on vraiment encore imaginer vieillir en France ? Les très riches ont depuis longtemps préféré partir de l’Enfer Fiscal. Les start-upeurs ont souvent été attirés par des cieux plus cléments quand leurs projets pouvaient se transformer en licorne. Faudrait il à présent pousser les plus de 70 ans vers des lieux plus fraternels ? Faut-il un nouveau pasteur Martin Niemöller pour nous ouvrir les yeux et nous dire : quand ils s’en sont pris aux riches, je n’ai rien dit, je n’étais pas riche. Quand ils s’en sont pris aux vieux, je n’ai rien dit, je n’étais pas encore vieux, et quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester…

Nos civilisations proclament « tu respecteras, ou tu honoreras, ton père et ta mère ». Là encore, faisons ce que nous devons !

 

Patrick Pilcer

Conseil et Expert sur les Marchés Financiers

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