Le coronavirus aurait-il tué le plaisir de la vie telle qu’on la vivait jusqu’à présent ? Ou a-t-il seulement mis à mal les excès que nous permettait la liberté de nos sociétés, peut-être de façon trop égoïste ? Le plaisir de la vie, collectif, bruyant, intense qui caractérise nos sociétés modernes est chamboulé. Stades de foot, de rugby, concerts de musique, pièces de théâtres, festivals de rues ou de plein air, les grandes expériences collectives ont disparu… Provisoirement.
Vous avez dit plaisir ? Toutes les formes de plaisir ont pris un coup.
Le sexe fait partie des plaisirs de la vie. Il est une des victimes du coronavirus. Le confinement général a porté un coup très dur à la libido des femmes et des hommes. Que ce soit les couples les plus fidèles ou les célibataires séducteurs, cette vie confinée n’est pas naturelle. Elle a affecté le désir jusque dans l’alcôve conjugal. Cette crise, au passage, aura certainement convaincu certains papillons volages de chercher âme sœur et de se caser, la peur de croiser un partenaire contaminé jouant un rôle dissuasif, notamment chez les femmes, toujours plus prudentes.
Mais la société du plaisir, ce sont aussi les restaurants, les bars, les concerts, la culture avec les arts et les spectacles, les Festivals, le sport. La crise du coronavirus a imposé un coup d’arrêt aux expériences collectives.
On continue à manger, les commerces de bouche n’ont pas désempli ces dernières semaines. Nous avons tous besoin de bons gueuletons pour compenser notre encellulement et les inquiétudes de l’avenir. Mais nous mangeons seuls, en famille ou en célibataires. L’expérience inédite du restaurant où l’on sort en société, nous l’avons perdue. Le plaisir du bon resto sera-t-il le même après le déconfinement lorsqu’en entrant dans un établissement, on se soumettra aux gestes-barrière ? Le plaisir du palais, la chaleur des hôtes feront-t-ils oublier la distanciation sociale qui sera aussi notre pain quotidien désormais ?
Les professionnels des restaurants doivent profiter de cette crise terrible pour réinventer la relation client, rénover leurs décors, miser sur l’accueil du client (combien d’étrangers se plaignent à raison de la piètre qualité du service en France ?) pour que le plaisir l’emporte sur la distanciation sociale.
Reste l’immense secteur de l’événementiel et de la culture : comme l’écrit Christophe Lyard, professionnel de l’expérience événementielle, dans une tribune pour Opinion Internationale, les professionnels doivent faire leur révolution et réinventer la relation au consommateur de concerts et de sorties.
Le coronavirus nous a enlevé l’eau de la bouche ? Comment dès lors offrir une nouvelle expérience collective qui permette aux consommateurs de surmonter demain la peur des pandémies virales qui les fera réfléchir deux fois avant de sortir en boîte, dans un cinéma, une salle de concert ou un stade de foot ?
Mais revenons aux événements : les professionnels ont des idées, comme la plateforme www.NEXTSTAGECHALLENGE.org, espace collaboratif pour solutions innovantes pour aider les artistes, les promoteurs et les acteurs culturels touchés par le confinement mondial.
Mais c’est une société globale du plaisir et de la vie sociale que nous devons réinventer. Deux voies s’offrent à nous :
« Retrouver l’émotion du collectif dans l’expérience individuelle » est le premier axe, comme le suggère le même Christophe Lyard ! Le numérique sera-t-il l’avenir de cette expérience collective ? il est vrai que les Gafas tirent les dividendes du recentrement de notre consommation de cinéma et de musique sur les écrans numériques de nos vies confinées.
Mais la vie numérique ne remplacera jamais la vie réelle. Déjà un plaisir a repris de la place dans nos vies, la lecture. Feuilleter un bon bouquin, sentir l’odeur du papier, caresser les pages que l’on tourne une à une. Le livre sera un des grands gagnants de cette vie confinée.
Les grands festivals, les grands stades de foot, les grands rassemblements comme le défilé du 14 juillet, l’écran de votre smartphone ne donneront jamais les émotions de l’expérience physique. Le Festival Facebook ne remplacera jamais le Festival d’Avignon ou le dernier concert des Rolling Stones !
C’est le deuxième axe, le plus difficile mais le plus vital à réinvestir : réinventer des événements réels compatibles avec la vie d’après !
Ainsi, les arts vivants, non médiatisés par un écran, doivent se réinventer : le cinéma s’en sortira plus aisément que le théâtre, – expérience physique, corporelle s’il en est entre l’artiste et son public -, si les professionnels ne savent imaginer d’autres formes d’expériences pour attirer les spectateurs dans les salles. Imaginons par exemple un tirage au sort dans le public du couple qui pourra aller saluer les artistes dans leur loge une fois le rideau tombé. Ou une mise en scène drôle de l’annonce des gestes-barrière à l’entrée des théâtres ou des salles de concert.
Les petites salles, les événements plus intimistes auront un avenir, plus peut-être que les méga-événements.
Mais si l’Etat veut aider les professionnels du secteur, comme vient de le répéter le président de la République dans un tweet annonçant les premières mesures pour, les professionnels de la culture pour mercredi 6 mai, plus que des aides de trésorerie, c’est un grand plan d’investissement dans cette nouvelle société du plaisir, afin de créer de nouveaux outils et de nouveaux usages, qui relancera toute une économie. Un engagement pour le futur afin de repousser cette nouvelle frontière de l’expérience événementielle et retrouver une confiance collective nécessaire pour écrire notre récit commun et faire face à la période trouble à venir.
Cette crise unique par son ampleur nous inviterait-elle à consommer désormais autrement ces plaisirs de la vie ? Avec modération peut-être comme le préconise la sagesse. Le désir vital de plaisirs ne s’éteindra jamais. Mais il est à réinventer.
Michel Taube