Le coronavirus ne risque-t-il pas de tuer pour longtemps le plaisir de ces expériences collectives que les spectacles, les concerts, les événements sportifs offraient à des centaines de millions de spectateurs dans le monde ?
L’arrêt brutal de toutes les programmations culturelles, sportives et événementielles, imposé par le confinement de plus de la moitié de la planète, est non seulement une tragédie économique mais elle annonce déjà un défi quasi civilisationnel que vont devoir relever les professionnels de l’événementiel et de la création.
Nous sommes face à un défi de taille : surmonter les impasses budgétaires de court terme dont beaucoup ne se relèveront pas et réinventer dès maintenant le monde de demain ! Déjà la crise est d’une telle ampleur que les acteurs du secteur raisonnent d’emblée sur vingt-quatre mois pour tenter de sauver les meubles et demandent des aides publiques sur deux ans. Rien qu’en France, 335.000 emplois sont en danger. Les pertes sont déjà évaluées à 15 milliards d’euros pour un chiffre d’affaire du secteur de près de 70 Milliards en 2019.
Mais quand bien même ces aides seraient au rendez-vous, c’est un enjeu à long terme qu’il faut relever. A l’image du secteur de la musique, un modèle économique vient de voler en éclat : grosso modo, les artistes vivaient, principalement, jusque-là des droits touchés sur leurs tournées. Mais il n’y a plus de concerts. Or paradoxalement la consommation de musique continue… Mais chez soi et sur Internet. Et les plateformes de streaming mais aussi les vidéos Youtube et Facebook explosent leurs audiences musicales. Mais cela rapporte quoi aux artistes ? Toutes les stars offrent des concerts gratuits sur Facebook : c’est bon pour le moral, c’est bon pour leur image. Lady Gaga et GlobalCitizen offrent un concert planétaire sur Internet et appellent aux dons pour nos soignants ou encore David Guetta avec son opération « United at Home » en direct de Miami qui collectera 600.000 € dont il doublera personnellement la mise pour des aides aux Hôpitaux de Paris entre autres ! Mais quels seront leurs revenus demain s’il n’y a plus de grands festivals ? Et si le Festival de demain était le Festival Facebook ? Les initiatives de festivals en streaming foisonnent mais quel sera le business model dans le streaming ?
Solutions immédiates pour les artistes comme pour les producteurs et les agences, elles n’ont pour l’instant que la noble intention de garder le contact indispensable avec les artistes comme avec le public pendant ces moments de forte incertitude.
Les Gafas en sont à nouveau les grands gagnants. Une fois de plus, ils récupèrent un business qui se faisait ailleurs. Il est donc urgent de redéfinir la redistribution des droits et des revenus sur la diffusion de la musique.
Comme l’écrit Jacque Atali sur son blog, « Il n’est pas normal que les médias audiovisuels de toutes natures (chaînes de télévisions ou plateformes) profitent de leurs spectateurs confinés, pour diffuser des œuvres sans que les artistes n’en reçoivent rien. Ou si peu. Il faut donc commencer par mettre ces médias à contribution. Massivement. Tout de suite. Pour augmenter la part des artistes vivants dans le chiffre d’affaires de ces médias. »
Les acteurs des secteurs concernés s’organisent et créent par exemple la plateforme www.NEXTSTAGECHALLENGE.org, espace collaboratif qui veut réunir des talents multidisciplinaires et des entreprises autour de solutions innovantes pour aider les artistes, les promoteurs et les acteurs culturels touchés par le confinement mondial. Un véritable Hackaton pour explorer de nouvelles expériences et de nouveaux business models pour répondre à la crise actuelle et à venir.
Il est urgent de réinventer les métiers et le concept même de l’événement. Les premières solutions apparaissent, les innovations existent et se préparent.
Le numérique va investir l’événementiel : c’est par le numérique que passera le développement des nouveaux outils qui créent l’événement.
Plusieurs perspectives s’offrent d’ores et déjà à nous :
1 – La création de nouvelles expériences à travers les différents canaux numériques
Nous arrivons facilement à créer des événements en streaming sur la toile réunissant un public sans frontière, on doit pouvoir organiser des spectacles, concerts, pièces de théâtre, réservés à un public qui aura payé sa place si l’expérience est inédite. La performance live doit peut-être se réinventer devant la caméra ? Bob Sinclar nous montre une voix avec un concert sans public au sommet de l’Arc de Triomphe prévu le 4 mai et finalement annulé par la préfecture de crainte d’une affluence trop forte. Cette performance serait impossible à réaliser en temps normal dans un configuration publique aussi bien technique que visuelle. Seul face à des Champs-Elysées à faible affluence, mais devant des millions d’internautes, l’expérience finira par se faire et risque de faire sensation.
2 – La gestion des distanciations dès la réouverture des lieux de spectacles et l’application des mesures barrières. Une solution qui trouvera malheureusement ses limites notamment pour certains types d’événements (Festivals…), mettant en péril les équilibres budgétaires, mais surtout le plaisir partagé de l’expérience elle-même.
3 – L’utilisation des espaces pour augmenter l’expérience individuelle
A l’image de certaines initiatives en Allemagne comme l’installation d’écrans géants sur des parkings pour retransmettre les matchs de football. Ou encore une application pour les supporters qui permet de diffuser en temps réel, dans les stades, à l’occasion des rencontres sportives à huis clos, des émotions sonores préenregistrées (applaudissement, chant de supporter, sifflement).
Tous ces défis nous ambitionnent à rester proches de nos clients et de nos publics. A réinventer la relation, l’expérience de l’artiste avec son public. Aux agences d’être créatives et innovantes et de séduire artistes et consommateurs. Comment avec le numérique l’artiste va pouvoir proposer une expérience nouvelle ? Laurent Garnier dès les premiers jours du confinement offrait un mix de 7 heures à tous ces fans. Toujours innovant, Bob Sinclar prenait rendez-vous tous les jours avec sa communauté par deux heures mixes quotidiens. Car l’artiste va devoir s’ouvrir pour garder le contact avec son public pendant cette période de néant. Il devra nourrir son public qui sera toujours en demande de musique et d’expérience.
Au fond, le défi systémique est de passer d’une culture collective à une consommation individuelle ou semi-collective. Mieux : retrouver l’émotion du collectif dans l’expérience individuelle est notre avenir. Réinventons des plaisirs !
Edgar Morin nous invitait, dans sa tribune intitulée « l’Éloge de la Métamorphose » à lutter contre la désintégration du système Terre en changeant nos modes de pensées et de vie.
La grande force du secteur de l’évènementiel et de la culture est de construire des liens et partager des émotions. Gageons que nous saurons trouver, ensemble, les solutions adaptées pour bâtir cette improbable mais possible métamorphose.