Découvrez les épisodes de la Coronafiction d’Encélade, romancier transgressif : Episode (1)Episode (2)Episode (3)Episode (4)Episode (5)Episode (6)Episode (7)Episode (8)Episode (9)Episode (10) |
Pour atteindre notre prochaine étape, Jean préféra survoler des voies, routes ou autoroutes. Nous aurions ainsi une piste praticable en cas d’atterrissage d’urgence.
Nous volions depuis un peu plus d’une heure, lorsque la jauge indiqua la fin de la réserve de carburant. Par la vitre entrouverte du cockpit, Jean fit signe à Martin et à Serge qu’il était contraint d’atterrir. Martin nous salua et fit le V de la victoire.
-Dès que nous serons au sol, nous lui indiquerons nos coordonnées dit Jean.
Pour toute réponse, Van Gogh grogna.
L’hélice de l’aéronef ne tournait plus.
-On descend dit Jean. Cramponnez-vous !
Van Gogh me serra fortement contre lui en me protégeant le visage.
Damoclès aboyait comme s’il pressentait quelque chose.
L’aéronef sembla se stabiliser puis poursuivit sa descente.
-La vitesse de décrochage se situe autour de 40 km/h dit Jean mais je vais essayer de planer le plus longtemps possible. Ce sera des kilomètres de gagnés.
Nous étions en vue d’une autoroute au tracé rectiligne. La descente me parut lente et longue. L’ULM poursuivait sa courbe descendante. On n’entendait que le souffle du vent contre la carlingue. L’appareil toucha le sol, rebondit, roula sur une cinquantaine de mètres et s’arrêta.
-Ouf fit Jean ! Nous devons être à une quarantaine de kilomètres de notre objectif.
L’ULM de Martin fit un large cercle et nous survola un instant à basse altitude comme pour nous indiquer qu’il ne nous oubliait pas puis disparut dans le ciel. L’atmosphère était étrange. Un silence absolu, plus un souffle d’air, une chaleur lourde. Jean avait espéré dériver le plus loin possible vers le sud, pour nous approcher de notre destination. Il scruta la ligne d’horizon, espérant y découvrir quelque chose. Rien, si ce n’est la route qui semblait rejoindre le ciel.
Je me souvins que j’avais les jumelles de papa dans mon sac. Je les tendis à Jean.
-Merci me dit-il en reprenant son observation de l’horizon.
Après un moment de silence :
-Il y a là-bas une aire d’autoroute. On va y pousser l’ULM et le cacher. On pourra venir le récupérer.
Nous poussâmes l’engin sur une centaine de mètres. Une fois arrivés sur l’aire déserte, Van Gogh brisa le cadenas d’une grille qui s’ouvrait sur un chemin menant vers un sous-bois.
-Nous allons le garer là-bas dit Jean. Paul s’il te plait, coupe des branches pour le cacher !
Bientôt l’engin disparut sous les branchages et Jean brisa l’ordinateur de bord à coups de talon.
-Personne ne doit savoir où se trouvent nos centre ravitailleurs.
Puis il regarda sa boussole.
-C’est par là nous dit-il. Nous allons suivre l’autoroute sur une dizaine de kilomètres puis nous obliquerons plein sud. Nous y serons dans trois jours.
Jean et Van Gogh remplirent leur sac à dos de bouteilles d’eau, de conserves, de boîtes de lait, d’une couverture. Je glissai dans un EastPak une bouteille d’eau, une couverture et une boîte de biscuits. Nous marchâmes des heures sous le soleil, Jean et Van Gogh tenant leur fusil en main.
Nous avancions à travers une vallée étroite qui avait été percée pour permettre le passage de l’autoroute. Soudain nous entendîmes des hurlements. Une demi-douzaine d’individus, vêtus de battle-dress crasseux, coiffés de bérets, armés de matraques et de haches se précipitèrent vers nous. Van Gogh et Jean en abattirent quatre qui roulèrent dans le fossé avant de se retrouver face aux deux autres, une femme et un homme. La première se précipita sur Jean. Tous deux tombèrent à la renverse. Elle le frappa à coups de poing, le griffa, tenta de lui arracher les lèvres avec ses dents. Damoclès l’avait saisi à la jambe et essayait de la tirer en arrière. Elle semblait avoir une force démesurée. Je sortis mon pistolet de mon sac et vint lui loger une balle dans le corps. Jean la repoussa difficilement sur le côté. Pendant ce temps, Van Gogh à genoux, se protégeait des coups que l’homme tentait de lui asséner et lui saisit l’entrejambe avec férocité. Le type hurla. Jean, le visage ensanglanté, remis sur pieds, l’abattit.
-Il ne faut pas rester là dit-il. Suis-nous Damoclès !
Nous courûmes sur l’autoroute, escaladâmes l’un des contreforts et pénétrâmes dans un bois. Mon cœur battait à rompre. On s’arrêta un instant.
-On boit et on repart. Ils ne doivent pas être les seuls dit Jean en s’essuyant le visage.
-On les a tous descendus. Il n’y a plus personne pour prévenir les autres répondit Van Gogh.
-Peut-être, mais ils vont trouver leurs cadavres.
-Qui sont-ils demandai-je ?
-Je n’en sais rien. Des guérilleros shootés au crack.
Des guérilleros shootés au crack ? Qu’est ce que ça voulait dire ?
-Il faut y aller dit Van Gogh !
On reprit notre course dans les bois. Damoclès nous devançait. De temps à autres, on s’arrêtait pour écouter si on nous étions suivis et on repartait.
Nous avançâmes sur des kilomètres par les champs et les bois jusqu’au coucher du soleil.
-On a dû faire une quinzaine de kilomètre dit Jean. On va bivouaquer ici. Il sortit de son sac une petite trousse de secours et à l’aide d’une seringue hypodermique s’injecta un liquide clair dans le bras.
-Qu’est-ce que c’est demandai-je ?
-Un anti-tétanos.
-Et moi demandaVan Gogh ?
-Toi, personne ne t’a mordu. C’est inutile. Bon. Allez dormir, je prends la première garde.
Alors que je m’emmitouflais dans ma couverture, Jean s’approcha de moi :
-Tu as été très courageux. La femme que tu as tuée n’était plus humaine, c’était une bête.
-Comme les crocos ?
-C’est ça. Dors me dit-il !
Epuisé, je m’endormis profondément. Dans la nuit je refis le rêve de Pinocchio transformé en poisson et roulé dans la farine. Il allait être frit avec d’autres poissons mais il était sauvé par un chien qui ressemblait à Damoclès et au matin, ce fut lui qui me réveilla à coups de langue sur le visage.
Jean me tendit une boîte de lait.
-Tiens bois ! Il est froid mais on ne peut rien faire chauffer.
J’en avalai la moitié et Damoclès lapa la fin de la conserve.
-On y va dit Jean !
Nous reprîmes notre avancée dans les bois en direction du sud.
Notre marche dans les buissons et sur les feuilles mortes était pénible et surtout bruyante. On pouvait nous entendre. On n’avait pas le choix. Il nous fallait éviter les chemins.
-On va marcher trois heures dit Jean et nous ferons une halte.
J’avais mal aux pieds mais ces trois heures passèrent plus vite que prévu.
On s’arrêta pour manger et boire. J’étais fatigué et je m’endormis.
Van Gogh me réveilla.
-On continue me dit-il.
J’avais envie de pleurer.
-Allez lève-toi …
On reprit notre progression dans les bois. Je me trainais et ralentissais mes compagnons. Damoclès venait vers moi et m’encourageait.
-Lucie t’attend me dit Jean !
Et ça me donna un peu de force.
En fin d’après-midi, Jean calcula que nous avions fait dix-sept kilomètres. Avec les quinze d’hier nous approchions du but.
-On va se reposer. On repartira demain matin.
Van Gogh ouvrit des boîtes de thon, de pâté et de fruits au sirop et de son Opinel nous les servit au creux de la main. Jean s’amusa de ma moue un peu dégoûtée.
-A la guerre comme à la guerre me dit-il !
Les pèches au sirop me firent passer le mélange mal assorti de thon et de pâté.
Jean reçut un sms :
– Ils sont arrivés. Je lui envoie nos coordonnées.
Je m’endormis à même les feuilles.
J’entendais vaguement Jean et Van Gogh qui parlaient. Ils comptaient les munitions qu’il leur restait et l’un d’eux dit :
-Il y a aussi le pistolet de Paul.
Une nouvelle nuit passa et nous repartîmes.
Bientôt Jean nous dit :
-D’après mes calculs nous ne sommes plus très loin mais il va falloir que nous réempruntions l’autoroute. Il va falloir être sur nos gardes.
Nous dévalâmes un terre-plein pour rejoindre la voie asphaltée.
Il faisait très chaud. Jean envoya nos nouvelles coordonnées à Martin. Nous continuions notre marche lorsqu’un groupe d’individus apparut loin devant nous. Ils étaient une bonne douzaine vêtus de battle-dress, accompagnés par un molosse. Je regardai Jean. Il n’y avait aucune inquiétude dans son regard et ça me rassura.
-Nous avons douze cartouche dit-il à Van Gogh plus le pistolet de Paul. On ne tire qu’à coup sur !
Van Gogh grogna.
Les gens lâchèrent le chien qui se précipita vers nous. Damoclès voulut courir à sa rencontre mais Jean le retint. Le molosse n’en ferait qu’une bouchée. Il le libéra lorsque le pitbull fut à quelques mètres et les chiens se sautèrent à la gorge. C’était un combat furieux. De l’affrontement giclaient de la bave et du sang. Van Gogh tira dans le corps du pitbull à bout touchant. L’animal ne lâchait pas Damoclès. Van Gogh tira une seconde fois. La bête roula sur le côté. Damoclès était resté au sol, la gueule ensanglantée. Je m’approchai de lui et lui caressai la tête.
Le groupe en battle-dress courait vers nous en hurlant. Jean et Van Gogh, leur fusil à la main, attendaient l’assaut.
Vivez le monde d’après…
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Coronafiction (12)
Deux imposants 4/4 de marque Toyota surgirent dans le dos des assaillants, fonçant sur eux, les bousculant comme des boules dans un jeu de quilles. Certains étaient projetés sur les capots, écrasés même. Ils couraient en tous sens et Jean et Van Gogh ne cherchèrent même pas à en descendre tant fut dévastatrice la rencontre des véhicules et de ces gens. Quelques uns voulant sauver leur peau escaladaient le terre-plein en bord d’autoroute pour rejoindre les champs ou les prés environnants. Les deux véhiculent stoppèrent et en sortirent Martin, Serge et Ben, une femme et trois hommes que nous ne connaissions pas. Je me précipitai dans les bras de Martin et Ben vint à son tour me serrer affectueusement contre lui puis Serge nous présenta ses compagnons. La femme s’appelait Muriel. Je la reconnus car je l’avais vue par Skipe dans le hangar de l’aérodrome il y a plus de quatre jours. Cela me semblait très loin.
-Vous êtes arrivés à temps dit Jean. Merci.
-Voilà quelques temps qu’on vous suivait à la trace tout comme ces guérilleros répondit Muriel. Nous savions qu’en revenant sur la route vous seriez en danger. Alors nous sommes arrivés… comme la cavalerie.
Qu’est-ce que ça voulait dire « comme la cavalerie » ?
Muriel était telle qu’elle m’était apparue à l’écran de l’ordinateur : un buste fort, un tee-shirt noir, un collier de pierres bleues, des cheveux bruns remontés en chignon, des yeux sombres soulignés d’un trait de crayon, une cigarette entre les lèvres. Mais elle n’avait pas sa bouteille de whisky. Elle parlait très vite, de façon speedée, avec un accent gouailleur, toussait et crachait dans un mouchoir. Les trois hommes qui l’accompagnaient se regardaient en se marrant, sans dire un mot. Tous les trois étaient baraqués, même le plus petit nommé Philippe et ils portaient un colt à la ceinture. Elle paraissait être leur chef.
Martin vit Damoclès sur le sol et s’approcha de lui pour le caresser. Jean s’agenouilla à ses côtés pour examiner la blessure.
-Il guérira dit-il. Trouvez une couverture, on va le porter dans l’une des voitures !
Le chien fut déposé sur un siège arrière.
-Tous en voiture cria Muriel… on décolle !
Nous nous répartîmes dans les deux 4/4 abandonnant derrière nous blessés et morts.
Nous quittâmes l’autoroute pour emprunter une nationale puis un simple chemin de terre et enfin traverser des champs en friche à la terre sèche et ocre. Bientôt nous longeâmes une côte et aperçûmes la mer écaillée comme le dos d’un reptile. Elle caressait de longues plages de sable jaune. Des dauphins surgissaient de l’eau et y disparaissaient en laissant derrière eux des éclaboussures d’argent. Le spectacle était beau. Je respirai les embruns à pleins poumons, me laissant bercer par le bruit du moteur du 4/4. J’étais heureux. J’avais retrouvé ma famille.
Les Toyota s’arrêtèrent devant un village de tentes construit sur un plateau qui surplombait la mer où l’on pouvait accéder par une volée de marches taillées dans la falaise.
Sur la plage étaient garées des dizaines d’ULM aux voilures colorées.
-Nous y sommes, dit Muriel !
Ça me rappela un paysage de vacances.
Lucie, Hector et Céleste nous attendaient à l’entrée du camp.
Nous nous embrassâmes, heureux de nous retrouver et Lucie resta longtemps dans mes bras.
-Où est Damoclès demanda-t-elle, ne le voyant pas sortir de la voiture ?
-Il est blessé dit Jean mais on va le soigner.
-Jack cria Muriel à l’un des hommes, porte le chien chez le véto ! Ne t’en fais pas petite, on va le guérir. Et toi Philippe, va déposer les armes à l’armurerie.
Puis, elle nous accompagna vers la plus grande des tentes. C’était une immense toile suspendue à deux mats. Ça ressemblait à un chapiteau de cirque. Du plafond tombaient en gerbe les étincelles d’un poste de soudure à arc manipulé par deux hommes casqués. Des éclats de lumière bleutée parcouraient la toile en tous sens.
-Ici, il y a toujours quelque chose à faire dit Muriel !
Nous passâmes devant une sorte d’alvéole de matière plastique d’où sortait le bruit d’un cliquetis de ciseaux.
-Et là ?
-Notre coiffeur.
Nous traversâmes un sas pour pénétrer dans une salle où se trouvait une multitude de mini-ordinateurs reliés à une étrange unité centrale d’une consistance intermédiaire entre le minéral et l’animal. Une forme de méduse suspendue à une armature de métal.
-Elle est mille fois plus puissante que tous les systèmes existants. En quelques jours, elle nous a permis de découvrir un anticorps contre le virus. Tous les membres de la communauté ont été vaccinés. Je vais vous montrer notre laboratoire, notre hôpital de campagne et je vous présenterai à notre chef. Nous avons même une école et une université.
Nous la suivîmes :
-Là c’est la laboratoire dit-elle en nous montrant une tente blanche plus petite. Je ne vous fais pas entrer, c’est un lieu stérile.
On poursuivit la visite.
-Là notre hôpital de campagne. Il est vide ! Et là l’atelier où se réparent nos véhicules et nos ULM.
-Et il existe d’autres communautés comme celle-ci demanda Martin?
-En Europe, une demi-douzaine et nous avons créé une sorte de fédération intercontinentale. Nous communiquons par données cryptées. Nous nous efforçons de penser le monde d’après. Voici la tente du professeur.
Nous fûmes accueillis par un vieux type en blouse blanche, barbu et à long cheveux gris, qui ressemblait à un druide.
-Je vous présente le Professeur Survi. Ses intuitions sont à l’origine du vaccin. Nous sommes les premiers à l’avoir découvert.
-Muriel m’a parlé de vous dit l’homme. Vous êtes les bienvenus. Nous avons besoin de gens comme vous et d’enfants. Ils sont notre avenir. C’est eux qui feront le monde de demain.
Nous reprîmes notre visite du camp .
-Survi… quel curieux nom s’étonna Serge ?
-C’est l’anagramme de virus. On l’appelle comme ça car on n’a jamais su son véritable nom répliqua Muriel ! Il faudra que nous vérifiions si vous avez des anticorps. Sinon on vous vaccinera.
Je compris alors ce que nous étions venus faire ici et pourquoi nous avions traversé plus de la moitié du pays.
Tandis que Muriel nous menait au dortoir, Jean la questionna :
-Vous n’avez aucune clôture ? Comment protégez-vous le camp ?
-Des drones. Ils nous survolent en permanence et nous préviennent de toute intrusion. Nous avons des équipes toujours prêtes à intervenir. Les trois hommes qui m’accompagnaient lorsque nous vous avons rejoint en font partie.
-Et le parc d’ULM demanda Van Gogh?
-On ne peut y accéder sans passer par le camp.
-Et la mer ?
-Les dauphins veillent sur nous.
-Les dauphins ?
Muriel ne répondit pas.
-Je pourrais voir les dauphins demandai-je à Muriel ?
-Oui tu les verras. Suivez-moi, je vais vous montrer vos tentes.
Elle nous mena vers deux tentes, l’une destinée à Serge, Céleste et Ben, l’autre à Jean, Martin, Van Gogh, Lucie, Hector et moi puis elle nous indiqua les douches.
-Reposez-vous, demain on ira récupérer votre ULM !
Je me jetai sur l’un des lits et m’endormis presqu’immédiatement.
Je fus réveillé quelques heures plus tard par une musique qui venait d’une tente voisine. C’était un air d’opéra en langue allemande. Je devinai le mot de Papageno.
J’étais seul dans la tente. Où étaient-ils tous passés ?
Je me levai et m’approchai du bord de la falaise. Lucie, Hector, Ben étaient sur la plage.
Je les rejoignis.
Nous nous dévêtîmes et avançâmes lentement dans l’eau tiède et salée. Nous fûmes rejoints par des dauphins qui semblaient nous escorter dans cette mer que la lumière du soleil de cette fin d’après-midi colorait de rouge orangé.
Encélade