S.E. le Professeur Alpha Condé, Président de la République de Guinée, a proposé à Opinion Internationale La Tribune suivante sur la crise du coronavirus. Les tribunes n’engagent pas la Rédaction d’Opinion Internationale mais nous sommes toujours honorés de faciliter l’expression de la diversité des points de vue.
Le Covid-19 a submergé l’humanité, ébranlant profondément les économies mondiales pour des années durant, avec une incidence sociale dévastatrice.
Aucun pays africain ne sera épargné !
Les partenaires internationaux, associés aux nombreuses institutions engagées aux côtés de l’Afrique – FMI, BAD, Banque Mondiale, Union Européenne, Union Africaine, CEDEAO, G20, Nations Unies, CEMAC – ont rapidement annoncé des mesures d’un genre nouveau pour tenter de contribuer à soulager l’impact de ce tsunami sanitaire et planétaire sur le fragile tissus socio-économique africain.
La Guinée, quant à elle, est tout particulièrement armée pour partager son expertise avérée, avec d’autres nations confrontées à cette terrible pandémie. Mon pays a en effet beaucoup appris de la crise d’Ebola de 2013 à 2015, qu’il a su contenir et éradiquer.
Malgré des conclusions relativement optimistes de l’ANSS – Agence Nationale de Sécurité Sanitaire – quant au risque d’importation du virus en Guinée, les autorités sanitaires guinéennes, particulièrement réactives, ont décrété un niveau d’alerte maximal rapidement. Ainsi, dès début mars, dans les principaux points d’entrée du pays comme l’aéroport international, le port de Conakry et les ports miniers des préfectures de Boké et Boffa, des contrôles filtrants ont été déployés pour endiguer la propagation du virus.
Le pays peut également se féliciter d’un taux de suivi des contacts et une traçabilité des porteurs du virus de 88%. Plus de 250 personnes sont testées quotidiennement depuis début mars, avec un objectif de passer rapidement à plus de 1000 dépistages par jour.
Cette réactivité s’explique en bonne partie par l’expérience encore très récente de l’épidémie d’Ebola. Il faut noter que 24 heures seulement auront été nécessaires aux autorités guinéennes pour confirmer le premier cas de coronavirus dans le pays, jeudi 5 mars, et remonter l’itinéraire du malade afin d’isoler les possibles contaminés. Cette efficacité est le fruit des acquis résultant de la gestion du terrible fléau d’Ebola qui a frappé notre pays : plus de 3 600 personnes infectées et 2412 décès.
La république guinéenne se propose de partager et de mutualiser cette expertise avec ses pays frères africains.
L’épidémie d’Ebola nous avait contraint à une nécessité profonde de reformer notre système de santé. Pour endiguer cette maladie, nous avions déclaré l’état d’urgence sanitaire et créé une équipe nationale de coordination de la lutte contre Ebola. Cette équipe a développé une stratégie basée sur la détection des cas, leur prise en charge, la communication, la mobilisation sociale, la mise à l’isolement, la désinfection des domiciles et la recherche active des cas perdus de vue.
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Illustration de cette coordination, les équipes de l’aéroport de Conakry par exemple travaillent aujourd’hui en lien direct avec le centre de traitement des épidémies de Nongo, créé à l’époque pour accueillir les malades d’Ebola. L’Institut National de Santé Publique, l’Institut Pasteur sont autant de centres épidémiologiques, adossés à l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire mobilisés face au Covid-19.
La seule couverture santé généralisée de la population guinéenne n’est pourtant pas suffisante pour la protéger face à une épidémie de cette ampleur. La modernisation de notre système de santé publique, composante essentielle du contrat social, est cruciale. L’Etat guinéen, sur mon impulsion, va intensifier ses efforts pour renforcer son système de santé, déjà accessible à tous les guinéens. Dans ce sens j’ai décidé que les investissements soient plus particulièrement accrus dans le capital humain et dans l’acquisition de matériels médicaux de haute technologie, déjà mis en service ou en cours de déploiement.
Si la crise de Ebola en a accéléré le processus, la transformation du système de santé guinéen est inexorablement en marche depuis 2010, car la santé de mes compatriotes est une de mes préoccupations majeures. La tenue des Etats Généraux de la Santé de 2014-2015 a permis la définition d’un plan d’action et de recommandations pour faire du développement de la santé communautaire une priorité du gouvernement. Cette dernière a été inscrite dans la politique nationale de santé et dans le nouveau plan décennal de développement sanitaire 2015-2024. Ce plan vise à améliorer significativement l’accès et l’utilisation des services de santé, soutenu par une hausse des fonds publics alloués aux dépenses de santé. Ainsi, sur mes instructions, la part de la santé dans le budget public a atteint 4,11 % du PIB en 2015, contre 1,65% en 2009, et porté à 8% en 2019 par mon gouvernement.
La rencontre, le 23 avril dernier, des chefs d’Etat et de gouvernements de la CEDEAO, au cours d’une session extraordinaire a aussi été très positive. Nous avons invité les états membres à apporter leur contribution au Fonds de solidarité de l’UA, tout en renforçant la coopération entre l’African CDC (structure santé de l’UA) et l’OOAS (Organisation ouest-africaine de la santé). La CEDEAO a proposé à ses partenaires de redoubler ses efforts de production de vaccins et de thérapies adéquates contre le virus, tout en développant notre capacité de recherche.
Au compte des principaux progrès réalisés et que j’ai voulu pour mon pays, on peut citer entre autres : la mise en place de dispositifs de surveillance, de diagnostic, de prise en charge avec la création de 38 centres de traitement épidémiologiques, 8 équipes régionales et 33 préfectorales d’alertes et de réponses, et de 33 centres d’opérations d’urgence. Dans le cadre de la lutte contre les maladies, notons la construction, réhabilitation, extension et équipements des infrastructures sanitaires à l’intérieur du pays et à Conakry en vue d’augmenter l’espace d’accueil et approcher les services des populations, tout en veillant à assurer une meilleure qualité de services et de soins. La diminution significative de la prévalence nationale du paludisme, passée de 44% en 2012 à 15% en 2016, la baisse de la mortalité maternelle, passée de 724 à 550 pour 100 000 naissances entre 2012 et 2016, sont autant d’indicateurs qui attestent de la pertinence de nos stratégies.
Quant au renforcement du système national de santé, on note l’audit institutionnel, organisationnel et fonctionnel du Ministère de la santé en 2016 qui s’est soldé par la révision du cadre institutionnel et organisationnel du département de la santé, avec notamment la création de nouvelles directions, de services d’appui et regroupement des programmes nationaux, la signature du « Contrat National Santé » entre le gouvernement et les partenaires du secteur pour l’alignement, l’informatisation du système national d’information sanitaire en 2016 et enfin le recrutement de près 5 000 nouveaux agents pour les établissements publics de santé de 2016 à 2019. Sur le plan économique, j’ai demandé au gouvernement de prendre des mesures fortes et audacieuses pour préserver notre écosystème socio-économique. Le Premier ministre, Ibrahima Kassory Fofana, a annoncé, le 7 avril dernier, les détails d’un »Plan de riposte économique » au Covid-19, rigoureux, qui se décline en 30 mesures-phares, pour les secteurs agricole, santé, social et secteur privé, et coûtera 290 millions de dollars.
Plus que jamais, les Guinéens doivent résolument faire bloc, rester unis, en cultivant notre sens légendaire de la solidarité, tout en misant sur nos valeurs traditionnelles, en s’engageant dans la gestion inclusive de cette crise planétaire sans précédent, qui s’impose à chacun de nous. Les nombreuses mesures et actions que j’ai instruites pour soulager l’incidence de la pandémie au niveau de tous les guinéens sans exception, avec une attention toute particulière pour les familles vulnérables, sont soutenues par une campagne de sensibilisation large et de proximité. C’est donc l’occasion d’oublier nos différences pour n’y voir qu’une magnifique synergie au service de la paix et de l’unité de notre pays, confronté à un de ses plus grands défis sanitaire, mais aussi d’ordre économique.
Avec l’adhésion de toutes les guinéennes et de tous les guinéens, sans considération d’opinion politique ou d’appartenance ethniques, la pandémie du Covid-19, ne détruira pas notre société et l’ambitieux plan de relance que j’ai initié, pourrait même nous permettre d’en sortir plus fort et unis que jamais.
De même, une Afrique solidaire permettra d’ériger plus facilement une véritable muraille contre les effets catastrophiques de cette terrible pandémie
Pour tenter d’enrayer cette spirale dévastatrice de richesses et d’emplois, les dirigeants des 54 pays du continent vont devoir concevoir et mettre en place une nouvelle gouvernance car plus rien ne pourra être comme avant. Il va falloir, au-delà de se réinventer, remettre en question de nombreux acquis. Les économies africaines, moins résilientes que celles des pays du Nord, sont fortement tributaires des échanges commerciaux. La multiplication des restrictions à l’exportation, notamment vers l’Europe et la Chine, exacerbe les tensions sur l’offre et fait augmenter les prix des fournitures médicales ou des denrées de première nécessité. Dans les 20 pays en développement les plus touchés par la pandémie, 5 partenaires commerciaux assurent l’importation de 80% des produits indispensables à la lutte contre le coronavirus. Selon la Banque Mondiale, les premières restrictions ont entraîné une hausse des prix de 20% sur les masques, voire 40% si l‘on ne trouve pas de solutions rapides. Les prix des denrées alimentaires connaissent la même inflation, menaçant de famine plus de 150 millions d’Africains, soit le double qu’en 2019.
Ce sont encore une fois les pays les plus pauvres qui en paieront le plus lourd tribut. Dans ce contexte, j’ai décidé, aux côtés de mes pairs Africains, de soutenir la production locale de produits agricoles de première nécessité indispensables à l’alimentation de nos populations, tout en réduisant la facture d’importation de ces biens. Le courage de nos valeureux cultivateurs et la qualité de nos terres, pourraient même permettre à la Guinée d’aider les pays frère de la sous-région qui pourraient être en crise alimentaire. Le devoir de solidarité nous oblige tous.
Ce qui me conduit à l’analyse de la question de la dette publique. Son annulation est plébiscitée et je suis un fervent supporteur de la restructuration rapide, à des conditions acceptables, de la dette internationale. Malgré un allègement de la dette des pays pauvres très endettés (PPTE) entre 2000 et 2010, grâce à l’effort de la communauté internationale passant alors de 80% du PIB à 30% pour ces pays, force est de constaté que celle-ci a largement évoluée à la hausse pour atteindre 56% du PIB aujourd’hui. Je rappelle au passage que la Guinée a été éligible à l’initiative PPTE en septembre 2012, grâce à la pertinence des réformes engagées et à l’amélioration du cadre de gouvernance. La décision du G20 de suspendre pour un an le service du remboursement la dette pour une quarantaine de pays africains est un signal jugé positif mais qui peut et qui devrait pouvoir être largement dépassée, pour limiter les conséquences dévastatrices de la pandémie sur les économies africaines.
Mais au final que représente la dette du continent africain, évaluée à moins de 400 milliards $, face aux 7000 milliards $ de fonds cumulés, mobilisés dans l’urgence par l’union européenne et le G7, pour faire face à l’incidence du Covid-19, sans compter d’autre mécanismes et instruments qui sont en train d’être déployés pour préserver les économies occidentales. La dette africaine représente à peine un peu plus de 5% de ces fonds. Or dans un monde globalisé, il est évident que la situation de chaque pays et encore plus de chaque continent, est déterminante pour assurer l’amélioration et la viabilité de l’environnement socio-économique international. Une sortie heureuse de cette crise pour l’Afrique sera à l’évidence bénéfique pour le monde entier.
C’est le combat de l’humanité entière, confrontée au plus grand défi sanitaire, social et économique jamais vécu. La solidarité au-delà d’une exigence humanitaire est une nécessité de bon sens.
La charge de la dette sur l’Afrique sonne déjà le glas d’une prochaine crise sans précédent pour le continent. Il est impératif et urgent que nos partenaires partagent nos inquiétudes et nous aident à épargner nos peuples d’une perspective aussi dramatique. La gravité de cette crise sans précédent et l’interdépendance mondiale qui prévaut dans notre monde actuel, oblige à une véritable solidarité collective, pour éviter un effondrement de nos systèmes et de nos valeurs.
Nous sommes tous ensemble, collectivement unis et responsables, face à une guerre implacable contre un ennemi invisible, pervers et qui s’infiltre dans nos sociétés en dévastant ses fondamentaux les plus robustes. Le Covid-19 doit être éradiqué au plus vite de notre monde où il n’a pas sa place. La présence du virus dans un seul pays représente une menace de fait pour l’humanité entière, d’où la nécessité d’une action concertée et solidaire. L’annulation de la dette doit être envisagée par tous nos partenaires et alliés comme un instrument efficace et nécessaire de sortie de crise pour le continent africain mais aussi de consolidation de l’ordre économique mondiale.
J’appelle enfin l’ensemble des peuples Africains à participer, sous l’impulsion de leurs dirigeants, à cet indispensable effort continental pour envisager, une mutualisation efficace des mesures et des actions, respectueuses du contexte spécifique de chaque pays, en perspective d’un après Covid-19 concerté.
Ainsi, le continent et ses dirigeants libérés de l’emprise éprouvante du Covid-19, reprendront leur destin en main, pour consolider la souveraineté de nos Etats et la grandeur de l’Afrique, berceau de l’Humanité.
S.E. Monsieur Alpha Condé
Président de la République de Guinée