Les éditoriaux de Michel Taube, parfois sur la vie politique, parfois sur les enjeux de société, en France ou dans le monde, constituent le regard d’un éditeur indépendant de tout parti et de toute chapelle, solidement arrimé à ses convictions libérales, sociales, humanistes et pluralistes, et plus encore aux valeurs de la République française (liberté, égalité, fraternité… et laïcité) et de l’Union européenne (unis dans la diversité). Nous sommes convaincu que l’Etat, c’est nous, nous les Français, nous chacun des citoyens. Que les élus et les fonctionnaires sont les employés et les serviteurs des citoyens, comme aime à nous le rappeler Ghislaine Alajouanine, pionnière de la télémédecine en France. Que la France, grâce aux Français, a des atouts, une histoire, une culture et des talents qui lui permettent de s’ouvrir sur le monde, d’entrer de plain-pied dans la modernité, de voir loin et grand, notamment grâce à ses outre-mer, aux Français de l’étranger et à la francophonie. Et qu’enfin, en France comme en Europe, les institutions doivent être profondément rénovées. Nos éditos naviguent entre critique, parfois colère, et des propositions, une vision ?, pour tenter de bâtir aujourd’hui le monde d’après. Il n’est pas toujours aisé d’être un bâtisseur, mais c’est un devoir de tenter de l’être ! Michel Taube
Tel le célébrissime Phoenix qui ne cesse de renaître de ses cendres, Emmanuel Macron, voué aux gémonies (certes, avec son gouvernement, son administration et son Conseil scientifique) pour sa gestion de la crise du Covid-19, n’a pas dit son dernier mot. On le disait déjà au bord du renoncement au plus fort de l’insurrection jaune/rouge, du découragement après la crise sociale née de la réforme des retraites (peut-être enterrée).
Voici qu’une dizaine de députés de LREM, conduits par le député du Val-d’Oise Aurélien Taché, Matthieu Orphelin, Cédric Villani et quelques autres, désertent le navire macronien, qui navigue en eaux trop droitière à leur goût. Il y a quelques jours, on craignait en haut lieu que le mouvement fasse tache d’huile, mais finalement, la fronde des nostalgiques de la gauche triomphante ne bousculera pas la majorité présidentielle dont bénéficie Emmanuel Macron à l’Assemblée nationale.
Dix députés seulement quittent le navire parlementaire de la majorité présidentielle pour créer le groupe « Ecologie, démocratie, solidarité ». C’est peu au vu du délabrement interne de LREM. C’est une victoire politique incontestable pour Emmanuel Macron et Stanislas Guérini, le patron du parti.
Avec ce neuvième groupe – un record au Palais Bourbon –, LREM perd sept de ses membres ou apparentés, chutant à 288, juste sous le seuil de la majorité absolue (289 sièges) qu’il détenait jusqu’alors à lui seul. Un symbole fort même si le groupe majoritaire peut s’appuyer sur les 46 MoDem et la dizaine d’élus Agir. Et qu’il pourrait retrouver la majorité absolue très bientôt à la faveur du remplacement de députés devenus maires.
Certes, LREM y perd sa majorité absolue mais découvrons-nous aujourd’hui les frondeurs de la macronie qui ont miné le quinquennat Hollande ? Les frondeurs de l’ancienne majorité de François Hollande ne sont jamais allés jusqu’à renverser le gouvernement. Mais ils ont été le ver qui a fini par pourrir le fruit socialiste. Ou plutôt qui a accéléré son pourrissement entamé il y a bien longtemps. Le paysage politique d’aujourd’hui n’est pas comparable à celui de la chute de la maison rose.
Le nouveau joker de la majorité présidentielle, en cas de besoin, serait-il François Bayrou, qui se voit sans doute déjà à Matignon ? Sans son Modem, la majorité apparaît en danger. Mais l’est-elle vraiment ? Nul ne sait à ce jour ce qu’il restera du groupe LREM après les échéances de 2022. Si Emmanuel Macron ne rempilait pas pour un second mandat, le mouvement pourrait même ne pas lui survivre. Le groupe LREM est surtout un bataillon de novices et beaucoup d’inconnus qui ne doivent leur existence politique qu’à Emmanuel Macron, et il serait surprenant qu’Aurélien Taché et ses acolytes, tout comme le Modem, votent avec les socialistes et la droite républicaine pour faire chuter le gouvernement et provoquer des législatives dont ils risquent de sortir laminés.
Bayrou, donc : la nouvelle béquille arithmétique d’une majorité présidentielle conduite par Édouard Philippe, un dissident des Républicains, qu’on dit sur un siège éjectable, mais dont on ne sait s’il sera banni par son ancien parti pour sa traitrise, ou si au contraire, il en sera le nouveau porte drapeau. François Bayrou est-il à droite ou à gauche d’Emmanuel Macron ? Dans son roman « Soumission », Michel Houellebecq l’imaginait Premier ministre d’un président islamiste. C’est méchant. Mais Bayrou, issu d’une famille politique de centre droit, avait soutenu Ségolène Royal contre Nicolas Sarkozy. Certains appellent cela des fidélités multiples, élastiques ou successives.
Comme toujours sous la Vème République, tout dépend d’un homme et non d’un collectif.
L’avenir du LREM dépend uniquement de celui d’Emmanuel Macron, du moins jusqu’à 2022. D’autant que dans l’entourage proche du président, on entend par-ci, par là, une petite musique dont le refrain pourrait être « on s’en fout de LREM ».
Plus que de son parti, l’avenir d’Emmanuel Macron dépend plus que jamais d’une petite bestiole dénommée coronavirus. La première bataille de la « guerre » contre ladite bestiole est grosso modo perdue, malgré les médailles que l’exécutif se décerne pour avoir évité la saturation des services d’urgence. C’est bien là la seule réussite de cette campagne guerrière. Mais bon… 30.000 morts, si on s’arrête là, cela lui sera pardonné, car le chef de l’Etat a fait avec les moyens du bord (l’administration, il aurait mieux valu qu’il l’allège et la renouvelle fortement dès sa prise de fonctions, comme on fait aux États-Unis). Et le meurtrier est le virus, pas le président ! Les mensonges sur le masque, on peut d’autant plus facilement les pardonner que les Français sont plutôt réticents à le mettre, ce fumeux masque, maintenant qu’on le trouve facilement. Les tests, c’est un peu pareil : on a râlé, mais pas grand monde n’est chaud pour se faire tester…
L’avenir d’Emmanuel Macron et donc de sa majorité dépend, comme d’habitude, de la situation économique. Théoriquement, le pouvoir aurait intérêt à se saborder maintenant pour préserver ses chances pour 2022, car le niveau de la récession annoncée et le différentiel avec nos voisins sont tels que les carottes macroniennes seront bientôt aussi cuites que celles servies aux patients des hôpitaux : faillites en masse, chômage à gogo, crise économique, financière, sociale, gilets jaunes (ils sont d’ailleurs de retour), insurrection, violence, crise politique (les petites souris macroniennes pourraient alors être bien plus nombreux à quitter le navire)…
De tout temps, bien avant l’invention du capitalisme, l’argent a été le nerf de la guerre, et vivre au-dessus de ses moyens a conduit au désastre, même pour un État, si puissant soit-il. Le théorème du « too big to fall » (trop gros pour tomber) relève du vœu pieux.
Si Emmanuel Macron parvient à éviter le désastre qui s’annonce, si les milliards déversés sur la France, notamment par le prochain plan de relance de 500 milliards d’euros annoncés hier soir par Angela Merkel et Emmanuel Macron, sont des cadeaux que personne ne paiera, si le déclassement de la France ne se produit pas, si des millions de chômeurs, bientôt en fin de droit, ne viendront pas anéantir tous les efforts menés pour l’emploi, si, si, si et si… alors Emmanuel Macron sera bien ce Phoenix qui renaît de ses cendres, et la macronie sera installé pour longtemps dans le paysage politique.
Avec des si, il n’y pas que Paris que l’on mettrait en bouteille.
Face aux enjeux économiques et sociaux de la crise du Covid-19, du déconfinement et de la relance, la fronde d’une poignée de députés est une péripétie.
Michel Taube