Dans les colonnes d’Opinion Internationale, nous avons récemment dénoncé les magistrats politisés et le scandale d’une justice à l’arrêt durant le confinement. Sans parler de nombreuses alertes sur les reculs récents de l’Etat de droit.
Le Covid-19 n’a pas seulement été prétexte d’un état d’urgence sanitaire. L’état d’urgence, toujours en vigueur, est aussi politique et judiciaire, en particulier avec des détentions provisoires reconduites sans audience : l’ordonnance du 25 mars visant à adapter la procédure pénale à cette période de crise sanitaire prévoit notamment la prolongation « de plein droit » de ces détentions provisoires. Mesure attentatoire à l’Etat de droit et à nos droits élémentaires mais finalement validée par le Conseil d’Etat.
Et voilà que l’on nous annonce le projet de pérenniser les cours criminelles (appelées notamment à juger sans jury populaire) et d’en élargir l’expérimentation, réduisant, une fois encore, les prérogatives de l’avocat.
Certains fustigent la dictature des juges tout puissants, qui font de l’exception la règle au mépris de la loi. Les faits leur donnent, hélas, raison. Mais le pire, comme l’exprime ici magnifiquement Maître Jean-Marie Viala, dans un cri de colère argumenté et enflammé, est encore la béatitude générale, amplifiée par le Covid-19, qui permet à cette justice d’oublier que la Constitution la désigne comme une institution et non comme un pouvoir, alors qu’elle se comporte comme si elle était LE pouvoir. Mais après tout, faut-il blâmer les juges de prendre ce qu’on leur donne ?
Une justice toute (trop) puissance qui met en péril la démocratie et l’état de droit avec le consentement du pouvoir exécutif et l’aval béat du pouvoir législatif… Cet état de fait et de droit méritait le coup de gueule d’un avocat. Parole à la défense de l’Etat de droit : Jean-Marie Viala !
Raymond Taube, rédacteur en chef d’Opinion Internationale et fondateur de l’IDP – Institut de Droit Pratique.
Il paraît que pour certains, le confinement n’a pas été créateur d’idées, ni d’ailleurs créateur tout court.
Une sorte de léthargie adipeuse, et cotonneuse, est tombée sur beaucoup de gens, à quoi s’est rajoutée la peur, simple peur, dans une ambiance simple. Ou tout est donc devenu compliqué.
Nous, avocats, étions installés dans une grève, qui semblait ne jamais finir, et dont, pour une fois, magistrats et politiques, au sens le plus large, ont été obligés de prendre acte.
Pour la première fois, en effet, et depuis très longtemps (trop ?) un grand nombre d’avocats se sont mêlés à l’affaire. D’où, renvoi d’audience, instructions troublées, pas de convocations etc…une réflexion rapide, permettant de mettre tout cela sur le dos de cette grève, dont pourtant certains magistrats avaient parfaitement compris les raisons, voire y avaient adhéré.
Et voilà qu’arrive en continuation, le Covid-19 qui lui n’est ni de la faute des avocats, ni de celle des magistrats.
Mais cela est venu se rajouter aux nombreux problèmes qui avaient été la conséquence de la grève. On pourrait, si nous étions nous aussi des imbéciles, dans le sens étymologique de terme, se borner, comme certains autres l’ont été et le seront sans doute encore, à dire que ce n’est pas la grève, qui a créé ces dysfonctionnements, mais l’état, qui restant autiste, a provoqué ladite grève. Et c’est pourtant vrai, la grève n’était que la conséquence de l’autisme d’un état qui n’a su que regarder ailleurs, c’est-à-dire dans le seul sens où il voulait aller. Mais, assumons, la grève a créé tous ces dysfonctionnements.
Après tout, nous avons l’habitude de ne pas être aimés dans ce pays de France. Le covid arrivant, un déchainement de réactions tous azimuts s’est fait jour, parmi nous, et certains « commentateurs » militants, comme il en existe partout aujourd’hui et surtout dans les médias.
On a seulement oublié une chose, à ce moment-là, c’est que les commentateurs pour, avaient déjà gagné, et que les contre, étaient tellement aussi autistes que l’état critiqué, que tout ce qu’ils pouvaient dire, n’était devenu que de la marchandise à polémique pour le plus grand plaisir des plateaux de télévision.
Les droits de l’hommistes s’en sont donnés à cœur joie, uniquement dans l’intérêt de ceux qu’ils jugeaient devoir représenter.
Les déclarés extrémistes, uniquement pour défendre leur parti extrémiste, bref, aucun n’a vu ou voulu voir, ou pu voir, ou pire encore n’a pas eu l’intelligence, la compétence, de comprendre ce qu’il se passe en ce moment, et depuis longtemps.
Je suis obligé d’écrire depuis longtemps, car je ne suis militant d’aucun parti, et en tous cas d’aucun parti pris. Je suis Avocat, donc amené à défendre des hommes et des femmes, ayant parfois été auteurs de crimes épouvantables, ou de délits crasseux. Mais aussi, ne jamais l’oublier des victimes dont les vies ont été soit écourtées, soit déchirées.
Et cela sans demander la couleur politique, ou religieuse, et sans qu’à aucun moment, s’agissant des auteurs, ils puissent penser que nous défendons leurs actes.
Nous défendons des femmes, ou des hommes. Et pas leurs actes. Ceci n’a rien à voir avec les droits de l’hommistes, qui excuses les actes de certains et condamnent d’autres, parfois pré-condamnent quand cela plait à leurs pratiquants et à leur dogme.
Nous défendons des êtres humains.
Et c’est un honneur pour nous. Un grand honneur.
Est-ce une des raisons pour laquelle nous ne sommes pas aimés, par le pouvoir, et par voie de conséquence par le système judiciaire ? Vous noterez que je ne dis pas, par les magistrats. Par crainte ? Par peur ? Non, simplement par respect pour des hommes et des femmes, qui ont le droit, je l’ai déjà écrit dans un de mes essais « La justice m’a tué… » de se tromper, même de devenir fou, d’être incompétents, tout comme nous les avocats, mais ceci ne doit pas faire condamner une institution, qui demeure primordiale pour notre démocratie.
Seulement voilà.
Les magistrats exécutent leur mission, oui je persiste à dire mission, dans un cadre légal.
Se pourrait-il alors que la crainte de certains, de voir la France devenir (ou consacrer un désir ancien), un gouvernement des juges soit envisageable ?
Mais alors, les magistrats, ne peuvent de leur propre fait, devenir ce gouvernement. Il faut que les pouvoirs leur soient donnés. Et après, que les incitions à exercer ce pouvoir leur soient transmises, ou conseillées.
Nous savons que le parquet reçoit ses instructions du pouvoir. Certains ne sont pas d’accord, moi je le suis. Pourquoi me direz-vous, alors qu’ils apparaissent de plus en plus omniprésents, hé bien parce que, à l’origine, je restais accroché à ma ferveur confiante envers les magistrats du siège, qui eux, et eux seuls, sont habilités à juger. Bref. À décider. À dire le droit.
Il serait très long ici, de faire part de l’erreur dans laquelle je me suis embourbé. Un procureur pouvant devenir juge, et vice versa. Je n’ai pas voulu croire à une sorte de corporatisme, qui ferait toujours consacrer les décisions prises par les collègues.
Mais ce combat contre moi-même fut dur, j’ai vécu cela lors de l’affaire dite « d’Outreau » et devant pratiquement toutes les chambres d’instructions. Au point qu’avec certains confrères, il nous arrivait de nous parier le champagne, si l’ordonnance d’un juge d’instruction était réformée devant la chambre de l’instruction.
Un jour nous avons cessé de parier. Nous avons préféré aller prendre un verre dans un café, entre nous.
Certains d’entre nous se sont rendus compte alors, soit que nous étions devenus fatalistes, soit que désormais on prenait acte.
Je ne suis pas fataliste, cela n’est pas dans mes gènes. Ainsi j’ai eu à plusieurs reprises des incidents, devant les juges d’instructions (présomption de culpabilité) devant la création du juge des libertés, qui ne fait que consacrer la demande du juge d’instruction qui l’a saisi, et ensuite devant la chambre de l’instruction, qui passe son temps à pré condamner des mis en examen, et qui nous interdit de le défendre au fond. Alors qu’elle ne fait qu’attaquer sur le fond.
Tout cela en appliquant la loi, du moins la leur. Ou plus exactement la manière dont ils la voient. Et l’avocat n’a rien à dire.
Ces multiples atteintes auraient dû alerter, beaucoup plus de personnes, et pas seulement des confrères, ou des juristes. Mais aussi, ceux qui ont en fait le vrai pouvoir, les politiques, et leurs FONCTIONNAIRES. Et pour finir, les citoyens.
Petit à petit été rognée, jour après jour, décision après décision, la protection à laquelle a droit la société, et surtout les gens qui la composent, à savoir celle du respect de leur droit le plus élémentaire, d’être considéré comme des êtres humains, libres, et égaux, en droit, et fraternels.
Dans le Code pénal, tout était prévu.
Détention doit être l’exception.
Présomption d’innocence.
Avocat obligatoire.
Je ne prendrais pour finir que ces trois principes érigés en force de loi.
Détention provisoire ?
Systématique, pour obtenir des aveux. Quand il n’y a pas de preuves.
Présomption d’innocence ?
Inexistante, au point que lorsqu’elle est évoquée devant une chambre d’instruction (cour d’appel) il n’y est même pas répondu. Donc présomption de culpabilité.
C’est au point qu’il a été inventé, un juge des libertés, qui n’est saisi que par le juge d’instruction, quand celui-ci veut mettre en détention. Et qui donc, parfois à trois heures du matin, tant il y a de demandes, se conforme à la demande de son collègue. Comment pourrait-il en être autrement, puisqu’il n’a pas le dossier, et que le procureur, présent à ce psychodrame, exige la détention, sans avoir le dossier lui non plus.
Et tout cela basé sur l’intime conviction, qui n’a pas sa place ici, puisqu’il ne s’agit pas de condamner, comme elle ne devrait pas avoir de place devant les tribunaux, pour condamner, en l’absence de preuve.
Et savez-vous ? Sur chaque ordonnance de mise en détention, pour satisfaire au
fait que cela doit être exceptionnel, il est mentionné que c’est à titre exceptionnel que le mis en examen est mis en détention…
Cette exception peut durer trois ans, si le juge a pris la précaution de mettre en examen dans une procédure criminelle, qui permet de longues détentions.
Et tant pis, si à la fin de l’instruction l’affaire est correctionnalisée. Trop tard. Sauf que, si cela avait été le cas depuis le début, le mis en examen aurait été libéré, au bout de deux ans maximum de sa détention exceptionnelle….
L’avocat présent, y compris lors de la garde à vue. Il n’a que le droit de se taire, sauf si, grande gueule, il l’ouvre, ou si, et cela arrive, le policier est compréhensif.
Devant le juge d’instruction, il ne parle que si le magistrat lui demande s’il a quelque chose à dire. Et seulement à ce moment-là. Gare à lui s’il intervient pendant l’interrogatoire ! et dieux merci, des magistrats instructeurs, sont aussi à l’écoute. Mais combien de fois ai-je entendu de la part de jeunes confrères, « vous vous pouvez le faire, pas nous ».
Arrêtons là, pour en arriver aux conséquences de ces nombreuses alertes pas assez prises à bras le corps et au sérieux.
On vient de créer les cours criminelles, tout d’abord en expérimentation dans certains départements, et maintenant de plus en plus élargies.
Tout ceci passe apparemment très au-dessus des citoyens et particulièrement en ce moment, de leurs préoccupations.
Sauf que, c’est un ajout supplémentaire, à ce qui fait de plus en plus peur.
Explications : ces cours vont remplacer les cours d’assises. Pour pratiquement les mêmes affaires. Les gros crimes restants, dans un premier temps en tous cas, de la compétence de la cour d’assises.
Déjà à ce niveau, peut-on se poser la question, « ce sont donc des magistrats, qui ont déjà jugé que les mis en examen étaient déjà coupables, ou moins coupables, pour être renvoyés devant l’une ou l’autre cour ? »
Bon, je reconnais que le propos est un peu spécieux, mais bon.
La cour d’assises elle, est composée de citoyens, lesquels seront les seuls à juger à la fin, de la culpabilité ou de l’absence de culpabilité, des mis en examen.
Pour cela, l’intégralité de l’affaire aura été relatée durant l’audience, sans que les citoyens aient le dossier. Le président et ses assesseurs refaisant l’instruction pendant l’audience, qui parfois peut durer plusieurs jours. L’avocat général plaide (plaidoiries nommées réquisition), et n’intervient durant l’audience que sur demande du président, tout comme les avocats.
Après quoi, les jurés se retirent pour délibérer, sans que les magistrats puissent faire pression, ou intervenir dans leur décision. Et toujours sans dossier.
Bien sûr, il est arrivé que certains présidents, aient eu des attitudes partisanes, aussi bien durant le déroulement de leur instruction, que pendant le délibéré.
Mais, ceci était rare, et faisait même annuler le procès, lorsque c’était prouvé. Les citoyens étaient des témoins vigilants.
Avec les cours criminelles, tout cela est fini. Plus de personnalités civiles, que des magistrats, qui jugent sur dossier, pendant l’audience, et après, en délibéré.
Bien sûr, l’avocat est présent. Pendant l’audience. Mais cet avocat aimerait être certain que ce n’est pas pour sauver les apparences….
Avec les cours d’assises, nous avions la possibilité de la magie de l’audience.
Avec les cours criminelles, aucune magie. Tout est dans le dossier. Point final. Espérons qu’il n’arrivera pas comme nous le connaissons en matière correctionnelle, des condamnations de couverture de détention provisoire, en cas de doute du tribunal.
Seule fois ou peut être le doute profite au mis en examen, mais n’exagérons rien, pas jusqu’à le relaxer.
Et puis, à cause, et peut être pour certains, grâce, au covid voilà que désormais on pourra prolonger les détentions provisoires de plein droit, sans présence d’avocat, et même sans présentation devant un juge.
L’avocat, cette robe malade de la société nouvelle. De ce monde nouveau.
Il faudrait tant de pages, et de pages encore, pour dire tout ce qu’il y a à dire. Mais il y a une chose à presque hurler désormais.
Récemment une sorte d’engagement a été signée entre les plus hautes instances de la magistrature au travail, et l’ordre des avocats.
Il ressort de ce courrier, « que les missions de nos professions qui ne sont jamais à l’arrêt, sont aussi dénuées de sens les unes sans les autres, que les unes contre les autres. »
Ceci est bien la raison pour laquelle, j’ai bien précisé que mon propos n’était pas contre des hommes.
Mais je ne puis accepter que petit à petit, encoche après encoche, un pouvoir permette, voir favorise l’évacuation des avocats, estimés comme des empêcheurs de tourner en rond, des témoins énervants, afin de faire comme il veut et quand il veut.
L’institution judiciaire est la colonne vertébrale de la Démocratie.
Les avocats sont les remparts de la démocratie. Que cela plaise, ou non. Les magistrats n’ont pas le monopole de la vérité. Les avocats non plus. Notre seule vraie compétence, aux magistrats comme à nous, c’est de participer à l’ŒUVRE DE JUSTICE.
Et non d’être manipulable par aucune force. D’où qu’elle vienne, et qu’ensemble, si cela existait, nous la combattions.
Jean-Marie Viala