Dans l’intérêt des petits commerçants auxquels nous sommes tant attachés, nous ne mènerons pas le combat contre Amazon. Du moins pas de la sorte.
La Confédération des commerçants de France (CDF) a lancé une grande pétition nationale qui déjà récolté plus de 60.000 signataires : « Oui aux commerces de proximité, Non aux nouveaux entrepôts Amazon ». Son objet est de convaincre le gouvernement d’imposer un moratoire sur les projets de création d’entrepôts et de mégacentres de tri du e-commerce.
L’appel de la CDF n’est pas dénué de légitimité. On peut en effet comprendre la détresse des petits commerçants déjà lourdement impactés par les crises sociales successives, les mouvements de grève corporatistes, et bien entendu le confinement, réponse presque désespérée d’une société désarmée face à un virus nouveau qu’elle n’attendait pas.
Pourtant, nous ne signerons pas cet appel, non pas parce qu’il n’a quasiment aucune chance d’aboutir, en ce que les pouvoirs publics ne vont pas s’opposer à l’implantation d’entrepôts par Amazon, mais parce que nous sommes convaincu que les commerçants (et surtout leurs représentants) se trompent de cible faute d’épouser les changements irrémédiables de notre société et de nos modes de consommation.
Certes, le e-commerce détruit des emplois, comme la machine à oblitérer les tickets de métro a fait disparaître le poinçonneur des Lilas si magnifiquement chanté par Serge Gainsbourg au début de sa carrière. Les poinçonneurs furent remplacés par travailleurs qui construisent, installent et entretiennent lesdites machines, devenues lecteurs de Pass Navigo, qui à leur tour seront supplantés par d’autres technologies ou simplement par nos smartphones, sésames de toutes nos activités. Les progrès de l’intelligence artificielle et de la robotique pourraient être si fulgurants dans les prochaines années que l’on peut craindre une relative inutilité de l’homme en tant que force de production, les nouveaux métiers ne parvenant point à absorber les masses de travailleurs ayant perdu leur emploi avec la disparition de leur métier.
Mais ce nouveau monde est déjà là et il nous appartient non de s’y opposer mais de le bâtir avec les règles et les logiques qu’il nous impose.
Amazon joue actuellement le rôle d’épouvantail et de bouc-émissaire de nos propres faiblesses. La décision du tribunal judiciaire de Nanterre, confirmée par la Cour d’appel de Versailles, de restreindre son activité aux commandes de produits alimentaires et médicaux durant le confinement, en est une autre illustration. Or les grandes surfaces françaises n’ont jamais été empêchées de vendre tous types de produits.
Certes, Amazon, comme beaucoup de GAFAMs, ont des pratiques fiscales et sociales qu’il faut rectifier, modifier, mais c’est seulement au niveau européen que ce bras de fer pourra être gagné.
Vivez le monde d’après…
Je m’inscris le 8 juin au Live Opinion Internationale – spéciale Journée de l’océan
|
Notre indépendance, c’est vous ! Parrainez, exprimez-vous, faites un don défiscalisé |
Les petits commerces devraient plonger dans la e-économie pour exister dans le monde d’après
Contrairement aux craintes de certains commerçants espérant arrêter un tsunami avec une bâche de plastique (tendu par les pouvoirs publics), le petit commerce ne disparaîtra vraisemblablement jamais, car tel est notre plaisir insatiable de consommer, mais aussi de flâner, de regarder, de découvrir, de toucher, de comparer, de discuter, peut-être de négocier, d’être conseillé…
Plus que les petits commerçants, les premières victimes du e-commerce sont les hypermarchés et les centres commerciaux. D’ailleurs, les Carrefour, Auchan et autres E. Leclerc portent une responsabilité autrement plus lourde qu’Amazon dans la disparition de commerçants, au point qu’il en résulta une désertification de nombreux centres-villes. À l’inverse du e-commerce qui est un vrai bouleversement sociétal s’appuyant sur une technologie nouvelle, la logique de l’hypermarché ne fut jamais que celle du profit. Le petit commerce est à l’hypermarché ce que le disque vinyle est au CD. Le e-commerce est un peu l’équivalent du streaming. Le CD disparaitra, comme peut-être les hypermarchés, mais le vinyle demeure, tout comme demeureront les commerces de proximité. Mais il fera mieux que le vinyle. Il triomphera s’il propose aussi le e-commerce.
D’ailleurs, les centres-villes renaissent et l’opération « Cœur de ville » du gouvernement contribue à redynamiser les petits commerces dans 222 territoires urbains de France. De même, le projet de Francis Palombi et de la même Confédération des commerçants de France (CDF) de créer des Sociétés Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC) va dans le sens d’une stratégie efficace : réunir les forces vives de nos territoires pour relancer les centres-villes et leurs poumons économiques que sont les commerçants.
Certes, il est sans doute problématique qu’Amazon domine le e-commerce comme Google les moteurs de recherche, Microsoft les systèmes d’exploitation, Apple la téléphonie, Facebook les réseaux sociaux, et que leurs seuls concurrents sérieux soient asiatiques. Certes, quelques plateformes françaises, comme Cdiscount, tirent leur épingle du jeu, mais aucune ne fait le poids face aux géants américains et chinois. Pourtant, quand bien même Amazon imposerait-il ses conditions aux entreprises, petits commerces compris, dont il assure la visibilité et la distribution, il leur offre aussi des débouchés auxquels ils ne pourraient escompter autrement.
Mais surtout, n’importe qui peut faire du e-commerce sans passer par Amazon ni par un quelconque intermédiaire. Les modules clés en main sont très accessibles, voire gratuits, permettant à de petits producteurs, commerçants ou artisans de proposer leurs produits dans le monde entier à partir d’un simple site internet au coût dérisoire.
Au lieu de se plaindre de l’expansion d’Amazon, les commerçants gagneraient à se doter tous d’un site internet, intégrant le e-commerce si cela fait sens. Ils peuvent aussi se fédérer, par exemple au niveau de leur branche professionnelle, voire même localement, pour bénéficier de prix d’achat plus intéressants et être plus compétitifs. Il existe même des plateformes où les particuliers s’inscrivent en vue d’achats groupés, au meilleur prix.
Bien sûr, certains produits, comme l’électronique grand public ou l’électroménager seront presque toujours moins chers en ligne, mais quel que soit le produit, les atouts du commerce de proximité que nous avons évoqués plus haut sont irremplaçables.
Prenons un exemple : l’amateur de café, qui ne se contente pas des productions industrielles disponibles en supermarché, et dont le budget lui permet de consommer du meilleur café, se rendra de préférence dans sa brûlerie de quartier. S’il n’en trouve pas à proximité, il ira sur internet, où il aura le choix de commander dans une brûlerie proposant le e-commerce, chez un torréfacteur ou sur un site spécialisé commercialisant diverses marques.
Le e-commerce fera des victimes et Amazon est peut-être un tueur au sang-froid. C’est ce que pense révéler le livre « Le monde selon Amazon » de Benoît Berthelot au Cherche-Midi. Peut-être point aussi. Mais ce n’est pas en exhortant les pouvoirs publics de s’opposer à son développement, en s’en remettant encore et toujours à l’État protecteur que les commerçants survivront dans le monde d’après, de plus en plus numérique.
Les règles du jeu devraient être les mêmes pour tous. Elles ne le sont pas pour les petits commerces en comparaison de toutes les grandes entreprises, pas que les GAFAMs.
Les PME et TPE ont bien d’autres combat à mener, à commencer par l’allégement des obligations règlementaires étouffantes et pénalisantes : respecter un droit du travail de plus en plus complexes et des normes aussi contraignantes que le RGPD (protection des données à caractère personnel) est bien plus aisé pour une grande structure dotée d’un service juridique et d’une direction de ressource humaines que pour un commerçant. A contraintes égales, allant d’ailleurs crescendo, les moyens d’y répondre ne sont pas comparables, pénalisant les petites structures.
Se tromper de combat est la meilleure manière d’être certain de le perdre.