Annuler des projections de films, détruire des monuments, effacer des fresques, bref réécrire l’histoire, c’est annoncer qu’on est prêt à une guerre civile avec comme enjeu la République et ses valeurs. Voir la statue vandalisée du grand Churchill, le principal artisan européen de la libération de l’Europe du joug nazi, entendre des organisations françaises demander de débaptiser et de détruire les statues de Colbert parce qu’il a été il y a trois cent cinquante ans un des artisans de la conquête des colonies, c’est prendre un chemin qui choque profondément la grande majorité des Français. Lorsque la lutte antiraciste devient trahison de l’histoire, une politique rétroviseur, l’avenir s’annonce encore plus violent que ne l’est le présent.
Oui, Colbert était colonialiste ! Il était même antisémite. Lorsque le CsdRAN (Conseil soi-disant « représentatif » des associations noires de France), dénonce le Code noir pour dire que la France est raciste, il oublie notamment l’article 1 de l’acte fondateur de la politique colonisatrice de la France au XVIIème siècle :
« Voulons que l’édit du feu Roi de Glorieuse Mémoire […] soit exécuté dans nos îles ; ce faisant, enjoignons à tous nos officiers de chasser de nosdites îles tous les juifs qui y ont établi leur résidence, auxquels, comme aux ennemis déclarés du nom chrétien, nous commandons d’en sortir dans trois mois[…], à peine de confiscation de corps et de biens. »
L’acte même de fondation de l’esclavage en France commença donc par exclure les juifs. C’est pourquoi nous avons écrit en son temps : « nous sommes tous des juifs noirs ».
Mais viendrait-il à l’idée de la communauté juive de demander que Saint-Louis, Colbert, Voltaire et d’autres antisémites notoires soient effacés de la mémoire collective de la France et que leur héritage soit balayé de l’histoire ?
Il en est de même avec la mémoire douloureuse de l’esclavage. De grands partisans de la colonisation française furent de grands hommes d’Etat. Colbert en fut un. Il y en eut un autre, illustre Français, grand partisan pourtant du dessein à l’époque partagé par l’immense majorité des Français d’aller éduquer les « peuplades » conquises dans les colonies… Jules Ferry.
Le père de l’école publique, obligatoire et gratuite risque fort bientôt d’être attaqué, et avec lui l’une des figures emblématiques de la laïcité.
En convoquant un passé très ancien, la dynamique vengeresse et de haine créée par le collectif Adama Traoré, l’extrême-gauche et quelques groupuscules islamistes, porte en elle, non pas seulement des attaques mémorielles contre l’histoire de France, mais bien le rejet des valeurs de notre République : l’Etat à travers Colbert, la laïcité et l’école pour tous à travers Ferry. Les valeurs qu’on nous oppose ? La haine de la France, la délinquance érigée en palmarès social, l’oisiveté plutôt que le travail.
De même, la censure et l’auto-censure du film « Autant en emporte le vent » est d’une lâcheté et un « crime » contre la liberté d’expression qui ne grandit pas la Warner Company, propriétaire des droits de ce grand classique du cinéma. L’annulation d’une projection au Grand Rex à Paris est un signe inquiétant d’une américanisation du débat français (mais y a-t-il encore débat ?).
Cette fresque historique et romantique dresse effectivement un portrait cinglant d’une Amérique esclavagiste d’un autre temps. Mais voir le film ne signifie pas adhérer au système d’oppression dont il dresse la saga de son effondrement. D’ailleurs, l’une des raisons du succès de ce grand film tient certainement à ce moment fondateur de l’Amérique moderne, celui où le nord prit le dessus sur le Sud esclavagiste avec la guerre de Sécession qui conduisit à l’abolition de l’esclavage.
Comme le soulignait un ami que nous dirons bien placé à un poste d’observation clé du système, qui souhaite s’appeler Jules Colbert, les quelques politiques qui soutiennent ces « jeunes » qui sont contre le racisme et ne connaissent pas l’histoire de « leur » pays, feraient mieux de se transformer en professeurs des écoles pour expliquer comment nos valeurs républicaines d’aujourd’hui ont été gagnées à la sueur et au sang par ces grands hommes aujourd’hui honnis. Ils pourraient leur expliquer qu’il y a trois siècles, ou un siècle, c’était un autre temps avec d’autres pensées, d’autres valeurs. Et que c’est grâce à eux aussi (nous parlons de ces grands hommes et non de ces jeunes) que nous sommes devenus une des nations les plus tolérantes par cette ouverture de culture, de pensées et d’immigration. En un mot : « ouvrez vos livres d’histoire » !
Le pire est que, en convoquant une histoire révisionniste, les porte-paroles de la cause antiraciste contre les noirs ne se préoccupent nullement des mesures qu’il faudrait prendre pour lutter concrètement contre les discriminations. Or la réponse ne peut être que sociale et économique et nullement identitaire. Bougez-vous et on vous aidera à bouger ! Certes, l’ascenseur social français est en panne à cause d’un modèle social et économique de notre pays non pas raciste mais jacobin et élitiste. Plutôt qu’une guerre identitaire, c’est un combat économique, éducatif et social qu’il faudrait mener, avec et pour les jeunes des banlieues délaissées de la République qui veulent sortir de leur misère sociale.
Mais telle n’est pas la revendication du collectif Traoré dont l’intérêt est de laisser ses ouailles dans l’ignorance de leur histoire pour mieux leur vendre une vision eschatologique et révisionniste.
Michel Taube