Emmanuel Macron (non revêtu d’un masque, comme dans les Hauts-de-France le 17 mai pour rendre hommage au colonel de Gaulle) sera à Londres demain pour raviver la flamme de l’Appel du général le 18 juin 1940.
Le chef de l’Etat y sera de son couplet gaulliste ou gaullien, comme tous ses prédécesseurs. Autour du 18 juin, toute la classe politique sera au diapason, chantant les louanges du libérateur de la France et père de la Vème République.
De Gaulle tient une place centrale dans la mythologie qu’Emmanuel Macron essaie de construire de lui-même au fil de ses discours : les références gaulliennes sont incessantes, l’évocation des heures sombres de la France d’où sont sorties les lumières de la résistance, du combat et de la liberté jalonnent les prises de parole du chef de l’Etat. Plus encore que la référence au général, c’est la comparaison du temps présent avec ces heures les plus tragiques de notre histoire qui anime Emmanuel Macron. Il est convaincu qu’il est porté par un destin, par le cours des choses, et que le moment que nous vivons est d’une intensité égale aux pires batailles que nous ayons connues. D’où la référence à l’état de guerre le 16 mars lorsque le chef de l’Etat a annoncé le confinement du pays face à la crise du coronavirus.
Emmanuel Macron est convaincu qu’il est l »homme providentiel comme le fut le général de Gaulle en 40.
On en pensera ce que l’on voudra mais nous nous contenterons de constater que la mégalomanie est consubstantielle à la fonction du président de la République sous la Vème République, cette monarchie républicaine qui fait du chef de l’Etat un despote au mieux éclairé.
Et puis surtout, de Gaulle, ce ne sont pas que des mots, que des paroles. De Gaulle, ce sont des actes, c’est l’action, c’est la conduite des hommes, ce sont des résultats. Mieux que d’autres, de Gaulle a donné corps à cette définition de la politique que nous affectionnons : « donner corps aux idées ». Or quelle est la grande bataille qu’a gagnée Macron à ce jour ?
Le rang de la France
« La France n’est réellement elle-même que si elle est au premier rang » : ces propos de Charles de Gaulle dans un entretien avec Paris Match le 29 avril 1965 disent la France selon de Gaulle. Une certaine idée de la France que l’on peine à retrouver aujourd’hui.
À moins qu’il s’agisse d’un mythe, celui de la grandeur de la France, d’une France rayonnante qui éclaire la planète de sa puissance et de son génie, une France dont on se demande si elle existe encore mais qu’il nous appartient d’entretenir coûte que coûte.
Le 14 février 2003, le discours de Dominique de Villepin, porteur du message chiraquien, devant le Conseil de sécurité de l’ONU, incarna ce gaullisme international : en opposant (sans effet sur le terrain) son véto aux États-Unis qui cherchaient l’aval onusien pour attaquer l’Irak, Jacques Chirac marcha dans les pas de son illustre prédécesseur. Depuis, le recul de l’atlantisme est le fait des États-Unis, en particulier depuis que Donald Trump en est le président.
L’intervention surprise de Nicolas Sarkozy dans la crise du Caucase entre la Géorgie et la Russie en août 2008, la conclusion de l’Accord de Paris sur le climat le 12 décembre 2015, en clôture de la COP21, sous les auspices de la France de François Hollande et de la diplomatie de Laurent Fabius, ou l’intervention au Mali en 2013 pour empêcher son basculement dans un régime djihadiste, ont-elles été parmi les derniers soubresauts de cette France – monde, écoutée et vantée sur les cinq continents ?
Des chants du cygne en forme d’apothéose d’une époque révolue ?
Au contraire de l’époque de Gaulle, la France de 2020 décline. À court terme, elle est plus sévèrement frappée que ses voisins par la récession post confinement (dont les effets sont encore à venir). À long terme, l’ancienne cinquième puissance économique du monde a déjà perdu deux places dans ce classement, devancée par l’Inde et le Royaume-Uni. Le quotidien Les Échos la voit toutefois rester au top 10 en 2050. En PIB par habitant, la France n’est plus que 21ème. La pertinence de ces critères purement économiques, comme celui de la croissance, est contestée par les altermondialistes et les partisans de la décroissance.
De Gaulle aujourd’hui
Mais que représente aujourd’hui le général de Gaulle pour la majorité des Français, et pas seulement les plus jeunes, nourris aux réseaux sociaux et confrontés à des périls économiques, environnementaux ou sanitaires qui n’existaient pas ou dont on n’avait pas conscience à l’heure du gaullisme triomphant ? On ne peut être nostalgique de ce que l’on ignore. Que reste-t-il de Charles de Gaulle et de l’héritage gaulliste en 2020 ?
De Gaulle, c’est surtout l’incarnation de la France libre durant la Seconde Guerre mondiale et le fondateur de la Vème République. La grande Histoire préférera sans doute oublier sa sortie peu glorieuse à la suite d’un référendum perdu et peu avant, un mai 1968 où la rue considéra de Gaulle comme elle le fera certainement d’Emmanuel Macron dans un demi-siècle et dont elle retiendra peut-être le plus fort de la crise des gilets jaunes. C’est peut-être le seul moment (et pas le meilleur) de l’Histoire où Emmanuel Macron peut se comparer à Charles de Gaulle ! France libre et Vème République donc pour le Général. La France puissante et moderne fut plutôt celle de son successeur Georges Pompidou.
De Gaulle est encore une icône sacrée. On n’ose le critiquer sans récolter l’indignation de ses rares contemporains et courtisans.
Pourtant, l’homme du Paris libéré avait presque oublié de remercier l’armée américaine dans les pas de laquelle il était arrivé à Paris, et fait croire aux Français qu’ils avaient gagné la guerre, presque tout seuls. Une véritable mystification historique dont les Français se sont volontiers accommodés ! Sans l’Amérique, nous aurions été sous le joug nazi ou stalinien.
En politique, seul l’événement révèle l’homme, le « grand homme ». Au début de la guerre, de Gaulle sut choisir le bon camp. Même s’il aimait la France plus qu’il n’aimait les Français (des « veaux », selon des propos que lui prête son fils Philippe, prêts à se laisser conduire à l’abattoir), il considéra que la France ne pouvait être celle de la collaboration et de la dictature. À la fin de la guerre et dans l’immédiat après-guerre, il sut faire face au libérateur américain pour que la France ne devienne pas une colonie de l’Oncle Sam, comme l’Allemagne, qui s’en est toutefois très bien sortie.
Le de Gaulle de la Vème République est également respecté et envié. Il donna à la France des institutions stables qui résistèrent tant bien que mal à plusieurs crises. Mais pas mieux, finalement, que celles des autres pays démocratiques. La Vème République eut (et a toujours) le mérite de ne pas provoquer une valse quasi continue des majorités et des gouvernements, comme sous la IIIème et la IVème République. Et dire qu’aujourd’hui, certains réclament le retour au scrutin proportionnel intégral, qui transformerait le régime parlementaire en foire d’empoigne.
De Gaulle n’avait pas que des qualités, mais il savait porter le costume institutionnel pour incarner une Constitution qu’il avait lui-même façonnée. Le 28 octobre 1962, la France choisit par référendum d’élire le président de la République au suffrage universel direct. Depuis, la France vit dans une dichotomie unique au monde : elle est juridiquement parlementaire et politiquement présidentielle, plus encore depuis que le septennat devint quinquennat en 2000, sous le « règne » du fervent gaulliste Jacques Chirac.
Sur le plan institutionnel, la Vème République tient bon, alors que notre Constitution est un tissu de contradictions qui devraient rendre le pays ingouvernable. Mais l’élection présidentielle est chérie par les Français. Elle est à la politique ce que la coupe du monde est au football. Le duel du second tour peut aussi être comparé à une finale de championnat de boxe poids lourds.
L’hyperpersonnalisation de la politique, qui fait passer au second plan le programme du candidat, est aussi un héritage du Général de Gaulle. Le grand inconvénient de ce système est qu’il s’accompagne du culte de l’homme providentiel et, pour poursuivre la métaphore, qu’il transforme le président en rock star, une posture fort bien incarnée par Nicolas Sarkozy et, au début de son mandat jusqu’à la mi-2018, Emmanuel Macron. Mais on n’attend de l’élu ni qu’il sache asséner des coups, ni qu’il sache chanter le rock’n’roll.
Aujourd’hui, la Vème République révèle ses failles, ses incongruités. La principale est ce monstre à deux têtes qu’a imaginé de Gaulle avec l’équipe de Michel Debré à la tête de l’exécutif. S’il y a un surhomme entre le président de la République et le premier ministre, c’est ce dernier qui devrait en récolter les honneurs et les lauriers, mais c’est le premier vers lequel tout le monde se tourne. La France en a terriblement souffert pendant la crise du coronavirus !
Emmanuel Macron n’est pas Charles de Gaulle et on ne voit pas qui, dans le personnel politique actuel, pourrait être de sa trempe, peut-être parce que l’Histoire ne lui en n’a pas encore donné l’opportunité. La France est en guerre, disait l’actuel chef de l’État à propos du Covid-19. La première bataille se solda par plus de 30.000 morts (les décès à domicile ne sont pas officiellement comptabilisés) et la plus grande récession que la France n’ait jamais connue. Plutôt une débâcle pour le général Macron, même s’il est loin d’en être le seul responsable.
Que reste-t-il du gaullisme, en définitive ? Emmanuel Macron voudrait l’incarner. Mais n’est pas de Gaulle qui veut…
Michel Taube