Le gouvernement français et les cerveaux de Bercy cogitent à plein régime sur les prochains plans de relance de notre économie après la pandémie.
Lors du confinement, de nombreux consommateurs se sont tournés, faute de mieux, vers le E-commerce et se sont fait livrer leurs courses alimentaires, leurs repas, leurs vêtements, leurs ordinateurs, en fait tout ce dont ils pouvaient avoir besoin et qu’ils trouvaient auparavant essentiellement chez les commerçants de leur quartier. Cette pandémie n’a bien sûr pas créé de nouveaux circuits de distribution, elle a surtout accéléré une tendance qui pré-existait à la crise, le Jour d’Avant. Elle a certes permis aux commerçants de moderniser leur outil de travail, d’améliorer le service rendu aux clients, de repenser leur offre, mais dans des termes de concurrence souvent inégaux et à l’avantage des grandes plateformes.
Force est de constater qu’il est bien plus simple de rester dans son canapé, à télé-travailler, et à commander, pour le même prix, son poisson, ses fruits et ses légumes plutôt que d’aller avec son panier faire le marché. Pourtant, si cette tendance s’installe durablement, c’est toute la vie de nos quartiers qui va être chamboulée. Face à cette concurrence des plateformes internet, les commerçants de proximité vont vite disparaître. Est-il souhaitable de laisser mourir ces commerces ? Peut-on imaginer nos centres-villes sans commerce, sans vie commerçante ? Quel sera l’impact sur l’emploi, sur la valeur des biens immobiliers, mais aussi sur la sécurité des personnes et des biens, sur la vie sociale ? Préfère-t-on vraiment des villes sans boucherie, sans vendeurs de primeurs, sans vendeurs de pulls, sans vendeurs de jouets, sans vie commerçante ? Y gagnera-t-on ? Est-ce le modèle de ville que nous choisissons ?
Le commerçant de proximité procure, par son activité, par son existence au sein du quartier, autre chose que le bien qu’il vend, que ce bien soit vendu via une liaison internet, par téléphone ou au comptoir. Il participe du lien social entre les habitants de son quartier. L’E-commerçant de son côté ne participe en rien à ce liant. Il livre ou fait livrer puis disparaît du quartier. Il supprime également des emplois de quartier, des loyers aux propriétaires des pieds d’immeubles. En économie, on parle d’externalité. Le commerçant fournit une externalité positive : sans contrepartie financière, il procure un avantage, une utilité supplémentaire, immatérielle à ses clients, à ses clients potentiels, aux autres commerçants du quartier, à ses voisins. L’E-commerçant fournit quant à lui une externalité négative, une nuisance économique, un dommage social, sans compensation.
On ne peut bien évidemment pas interdire l’E-commerce. Au contraire, il est utile et participe de la saine concurrence ; il permet aux consommateurs de trouver le juste prix et de gagner en pouvoir d’achat. Mais il faut cependant qu’il compense cette externalité négative, ces dommages collatéraux qu’il engendre, tout comme il faut gratifier le commerçant de proximité pour l’externalité positive, pour le service gratuit, les synergies qu’il procure.
C’est bien sûr à l’Etat de réguler cette évolution. Et quel est le meilleur outil dont l’Etat dispose pour gérer la situation et rétablir une bonne concurrence, tout en tenant compte des avantages et dommages collatéraux, des externalités ? La TVA bien sûr. Il convient à présent, encore plus à la lumière de cette crise, d’augmenter la TVA sur les biens vendus par les plateformes internet. Il faut que cette hausse soit significative : je propose 30% de TVA quand la TVA sur les biens achetés chez le commerçant de proximité restera à 20%. Je ne parle pas bien sûr du restaurateur ou du vendeur de primeurs qui développe son activité avec un service de livraison à domicile via internet, mais des ventes faites sur les grandes plateformes anglo-saxonnes, chinoises, européennes ou françaises, ces plateformes qui ont de grands entrepôts, mais aucun magasin de proximité.
Cette TVA différenciée n’est pas la taxe GAFAM, cette usine à gaz imaginée par Bercy et toujours pas appliquée ou applicable. D’autant que les Américains viennent d’annoncer qu’ils se retirent temporairement des discussions internationales sur la taxation des géants du numérique. De toute façon, la taxe GAFAM ne concerne pas le commerce en ligne, et sa contribution est bien plus faible. Avec cette TVA, la France agit dans le cadre de sa souveraineté, qui a-t-il de plus souverain que de décider de son impôt ? Et les éventuelles critiques des Etats-Unis, souvent justifiées sur la taxe GAFAM, seront là infondées. L’Etat pourra supprimer la taxe GAFAM, ce qui entraînera la suppression des surtaxes sur les vins français aux Etats-Unis, à un moment où nos viticulteurs ont eux aussi besoin qu’on les aide.
Je propose également que cette différence de TVA soit attribuée non pas aux caisses de l’Etat mais aux villes. Une telle différence rééquilibrera la concurrence au profit des commerçants de proximité et donnera, en même temps, des moyens supplémentaires aux villes pour développer la vie des quartiers, investir dans le vivre ensemble. Le maire est au plus près des habitants, c’est donc lui qui pourra le mieux gérer cette manne nouvelle, éviter des fermetures de commerces, éviter aussi le mono-commerce, préempter des murs ou des fonds de commerce, revitaliser les centres-villes, et retendre ainsi les liens sociaux, refaire société en somme.
Patrick Pilcer
Conseil et Expert sur les Marchés Financiers