Edito paru le 15 juin 2020 à 7h52. Mise à jour le 19 juin 2020 à 8h.
Emmanuel Macron ne démissionnera donc pas. Non seulement, il se maintiendra mais, dans sa quatrième intervention solennelle depuis le début de la crise du coronavirus, vue en direct par 24 millions de téléspectateurs et d’auditeurs (dix millions de moins que lors de sa précédente sortie TV mais encore plus que la finale de la Coupe du monde de football 2018), le chef de l’Etat a clairement indiqué le cap vers lequel il souhaite conduire la France et les Français : la fin de son quinquennat et même, comme il l’avait déjà suggéré avec insistance lors des vœux du 31 décembre 2019, une décennie Macron.
Faisant fi des critiques assassines qui se multiplient, le président de la République a félicité le premier ministre et le gouvernement, les soignants et les Français aussi, qui auraient permis, selon lui, de pas trop mal traverser cette pandémie : en tirant le bilan de cette première phase de la crise sanitaire qui s’achève, le « nous » a souvent pris le dessus sur le « je », comme pour diluer la responsabilité du choc sanitaire et social subi par le pays en trois mois. Le président est resté droit dans ses bottes : « Nous pouvons être fiers de ce qui a été fait et de notre pays. » Pas sûr que les Français l’entendent de cette oreille au vu des 40.000 morts (fin avril, le syndicat des médecins généralistes évaluait déjà à 9000 le nombre de décès à domicile, s’ajoutant aux chiffres communiqués quotidiennement) et des 11 % de récession pour 2020. Pire que nos pays voisins.
Pour le reste, bicéphalisme de l’exécutif oblige, nous avons eu droit à des généralités, parfois géniales, souvent contredites par les décisions ou les imprécisions d’un gouvernement qui ne peut que pâtir de ces décalages incessants et épuisants entre la parole présidentielle et le temps de l’action.
Ainsi le déconfinement total (restaurants et visites d’Ehpad dès le 15 juin, écoles dès le 22 juin), on y est enfin. Sauf pour Mayotte et la Guyane. Mais le manque de précisions et les retards dans la méthode inquiètent déjà.
Quant à l’accès de haine anti-police et anti-française entendu jusqu’à la place de la République, Emmanuel Macron a eu les mots justes : contre le communautarisme, « la réécriture haineuse ou fausse du passé » orchestrée par « les séparatistes », « la République n’effacera aucune trace ni aucun nom de son Histoire. La République ne déboulonnera pas de statue. Nous devons plutôt lucidement regarder ensemble toute notre Histoire, toutes nos mémoires, notre rapport à l’Afrique en particulier, pour bâtir un présent et un avenir possible, d’une rive l’autre de la Méditerranée avec une volonté de vérité et en aucun cas de revisiter ou de nier ce que nous sommes. »
Et d’ajouter que policiers et gendarmes « méritent le soutien de la puissance publique et la reconnaissance de la Nation. » Pour le reste, la solution contre le racisme, c’est l’égalité des chances. Pas l’équation mortifère victimisation – culpabilisation.
Mais les mots ne font pas l’action et l’action dément souvent les mots. Au fond, Emmanuel Macron a une pensée performative. Il se dit qu’en disant « fermez la porte », ce sont ses mots qui la ferment. Mais non, il faut une main, un corps, une énergie pour que la parole divine s’accomplisse. Souvent un collectif plus qu’un homme providentiel. Bref un président DRH plus qu’un sur-homme. Et à ce niveau-là, trop souvent, les actes ne suivent pas les mots voire disent le contraire de la parole présidentielle ! On l’a vu dans la façon dont le ministre de l’intérieur a réagi à la pression de la rue ces quinze derniers jours. Ce n’était pas le même discours que dimanche soir avec le chef de l’Etat.
Vers une réforme de l’Etat ?
Reste le plus important : la question de l’Etat. Pas un mot évidemment sur le remaniement gouvernemental en préparation. Mais nous avons eu droit à la vague esquisse d’une initiative que le président annoncera en juillet.
Certes, nous eûmes droit à une forte envolée pour une nouvelle phase de décentralisation des pouvoirs et des initiatives. Mais Emmanuel Macron n’avait-il pas déjà joué la danse du ventre devant des milliers d’élus locaux en 2019 lors du Grand Débat national consécutif à la crise des gilets jaunes ? Et cette valse n’avait abouti qu’à un vague projet de décentralisation à peine porté par le premier ministre et le chef de l’Etat…
Mais Emmanuel Macron en a dit tout de même beaucoup dimanche sur ses intentions et sa détermination. L’hôte de l’Elysée compte « dessiner un nouveau chemin » qui ira bien au-delà des deux ans qui restent à son quinquennat. Il compte bien tenter de proposer d’ici un mois les contours de ce qui s’apparente déjà à un pacte d’union nationale qui reposerait d’une part sur un nouveau gouvernement et d’autre part sur une initiative forte susceptible « de rassembler le plus grand nombre » et pour laquelle il nous dit consulter intensément. Les Présidents des deux chambres parlementaires et du Conseil économique, social et environnemental ont déjà été saisis pour « proposer quelques priorités susceptibles de rassembler le plus grand nombre ». Un référendum en vue ? Une révision de la Constitution comme nous le prônons depuis des mois ?
La gauche et les syndicats n’ont sans doute retenu de l’allocution présidentielle que « travailler plus et produire plus », comme si taxer les « riches », notamment en réintroduisant l’ISF, allait permettre de payer les milliards injectés à crédit dans l’économie pour sauver les emplois que la CGT s’acharne à détruire, avec son intransigeance dogmatique.
En attendant, Emmanuel Macron conclut son allocution avec un « Je m’adresserai à vous en juillet pour préciser ce nouveau chemin, lancer les premières actions. Et cela ne s’arrêtera pas. » Les déçus de Macron en ont donc été pour leur compte. Le chef de l’Etat compte bien transformer cette rupture imposée par la crise du coronavirus en un nouveau départ, pour la France certes, mais pour son destin présidentiel aussi.
Deux questions se posent : le président du Sénat, un des leaders de la droite républicaine, doit déjà se demander si, en répondant à cette main tendue, il ne tombera pas dans le piège de la stratégie de rassemblement et de dépassement des clivages politiciens qui a fait la force et la raison d’être du macronisme ? De quoi enfermer pour six à vingt-quatre mois les Républicains dans une opposition molle qui les empêcherait d’offrir une alternative au président sortant.
Et surtout, les Français voudront-ils vraiment donner une seconde chance à Emmanuel Macron ? Espérons que la question ne se tranchera pas dans la rue.
Michel Taube