Le record historique sous la Vème République du taux d’abstention à une élection, un comble pour le scrutin préféré des Français, est avant tout une claque pour toutes celles et ceux qui, politiques, « experts », journalistes, ont défendu le maintien des élections municipales malgré la crise du coronavirus. L’insincérité nationale de cette élection, comme nous l’avons écrit à plusieurs reprises, fait des Maires élus hier soir, surtout ceux qui l’ont été dans un mouchoir de poche, des Maires mal élus. Et pour six ans. Ce second tour des municipales, c’était comme jouer la seconde mi-temps d’un match trois semaines après la première. La dynamique était rompue, si tant est qu’elle ait existé. Comble de l’aveuglement politicien général, aucun élu, aucun militant qui fêtait la victoire hier soir, de Paris à Lyon, de Bordeaux à Strasbourg, ne portait de masques. Nous pouvons craindre que des clusters de contamination surgissent de l’issue du scrutin municipal.
Les grands vainqueurs médiatiques de cette soirée électorale, ce sont les Verts : Lyon, Strasbourg, Bordeaux, Besançon, Annecy, Tours, Poitiers, et bien sûr Grenoble se réveillent en vert. Nous y reviendrons…
Car ces municipales sont aussi un miroir d’une France qui politiquement se cherche un nouvel avenir. On pensait que les étoiles d’hier, PS et LR, allaient se refaire grâce à leurs sortants. LR, avec Toulouse et Nice comme principales victoires dans les grandes villes, devient de plus en plus le parti des villes moyennes et des territoires ruraux. LR revendiquait hier soir « plus de la moitié des villes » de France, notamment Saint-Etienne, Mulhouse, Colmar, Limoges, Albi, Aix-en-Provence.
Le PS, qui gagne, conserve ou reconquiert notamment Paris, Nantes, Rennes, Lille, Villeurbanne, Dijon, Avignon, Le Mans, Bourges, Chambéry, ou encore Rouen, Bourges, Nancy, Brest et Montpellier, a l’avantage, lui, d’être dans le courant ascendant d’une écologie politique très marquée à gauche, mais il risque fort de n’en être qu’une force d’appui au niveau national.
On se disait que la pérennité de LREM passait par des alliances, tantôt à droite, tantôt à gauche, mais LREM a fait plus office de repoussoir que de fédérateur. LREM aura été faiseur de perdants et non faiseur de rois ! Quand le parti présidentiel a joué perso, il a fait perdre sa famille sociologique comme à Paris où Agnès Buzyn s’effondre mais permet à une impopulaire Anne Hidalgo une réélection dans un fauteuil, frôlant même une majorité absolue avec une abstention record. Rachida Dati redonne des couleurs à la droite et peut se prendre à espérer un destin national.
Seul rescapé de la macronie : le premier ministre Edouard Philippe remonte à Paris en position de force face à un chef de l’Etat affaibli. Edouard Philippe est favori pour être reconduit à Matignon, à moins qu’il n’ait n’autres plans en tête, comme nous le suggérons dans ce second édito.
Les ténors du populisme, ils s’y attendaient, Rassemblement national et Insoumis, n’ont rien tiré de ces municipales. L’extrême droite maintient ses positions et enregistre quelques rares progrès comme la conquête de Perpignan, avec plus de cent mille habitants et Louis Alliot à sa tête. Mais aussi quelques belles déculottées comme la perte de Mantes-la-Ville dans les Yvelines.
Marine Le Pen regarde ailleurs. Elle attend son heure.
Jean-Luc Mélenchon, qui a eu raison hier soir de parler de grève civique au regard du taux d’abstention, a déjà manqué la sienne. On le reverra en septembre dans les manifs antisystème, toujours prompt à courir après tout ce qui bouge dans la sphère contestatrice. Il a fait son temps, et il est bien le seul à ne pas s’en apercevoir.
Le vert, couleur d’avenir ?
Les Verts font donc plus que confirmer leur bon score des Européennes. Le résultat est même spectaculaire.
Alors que Yannick Jadot s’efforce (ou s’efforçait selon les jours) de dégauchir les verts, pour qu’ils ressemblent à leurs homologues allemands, l’analyse des alliances électorales de second tour montre que c’est la tendance pastèque (vert dehors et rouge dedans) qui l’a emporté durant ces municipales, parfois (comme à Strasbourg) au prix d’un clientélisme honteux, allant jusqu’à racoler en exhibant la photo d’une candidate voilée.
Leur ancrage à gauche leur permet d’espérer devenir le nouveau grand parti de gauche, avec un PS qui lui mangerait dans la main quelques miettes du festin électoral. La nouvelle gauche plurielle sera donc comme une grande pastèque : vert à l’extérieur, rouge à l’intérieur.
Mais l’apparence de victoire est trompeuse. En regardant de plus près, on se rend compte que ce sont de grandes villes ou des capitales de métropoles régionales à fort pouvoir d’achat qui ont fait le choix de l’écologie aux municipales. Une vraie victoire pour EELV mais le chemin de la présidentielle sera encore long car ce ne sont pas les grandes villes qui font les majorités présidentielles et législatives.
Le monde à l’envers : le PS et LFI accepteront-ils d’être les forces d’appoint des Verts ? Pour gagner le premier tour des présidentielles, le positionnement d’extrême gauche semble plus efficient, comme l’ont démontré ces élections municipales. Mais au second tour, il sera plus difficile de vendre aux Français un package comportant non seulement des pistes cyclables et des éoliennes, mais aussi des idées néo marxistes et des renoncements à la laïcité, d’autant plus que tous les partis sont déjà engagés dans la course à la verdure triomphante.
La France profonde, si tant est qu’elle existe, n’est pas allée voter dimanche. Elle a boudé les municipales. Se réveillera-t-elle d’ici 2022 ? Ces municipales ont si peu intéressé les Français qu’il est presque impossible d’en tirer des enseignements pour l’avenir. Sauf un peut-être. Outre Macron et Le Pen, le futur candidat écologiste pourrait bien être un troisième prétendant sérieux au second tour de la prochaine présidentielle.
Michel Taube