Le temps passe et la première vague du Covid s’échoue sur les plages. Le long du littoral comme ailleurs s’affiche désormais un relâchement bien visible : les masques s’estompent, les flacons de gel restent dans les sacs, sont oubliés dans les poches. Aux terrasses des cafés, voire à l’intérieur, les gens gomment les distances, s’embrassent, s’alcoolisent et goûtent le cocktail de la voisine. A l’évidence, on veut oublier l’affreuse chauve-souris et, même si on redoute la « seconde vague », on ne veut pas y penser. On verra à la Rentrée ! Passons sur cette illusion probable, et intéressons-nous à l’étonnant vocabulaire qui prévaut encore.
Le mot qui a régné durant ces mois étranges – mars-juin 2020- , ce leitmotiv devenu gargarisme pour nombre de politiques-médecins-administrateurs-gendarmes, est désormais entré dans le langage commun : le « confinement ». Ce terme, en lui-même, exprime une politique sur laquelle il n’y a plus rien à dire. Masques manquants, gel pas disponible, moyens insuffisants, urgences de virologie dégorgeant leurs patients héliportés vers d’autres lieux, médecins tombant à côté de leurs patients, débats entre Diafoirus et le père Ubu, moyens de transports publics à l’arrêt, vie économique sur « pause » et finances en libre plongée.
J’ai déjà eu l’occasion de l’écrire dans ces colonnes : le « confinement » appartient au vocabulaire de l’art vétérinaire rural. Lorsqu’un troupeau de moutons est atteint d’une affection risquant de se répandre chez la gent ovine, par exemple, on « confine » le troupeau loin des alpages, dans une aire qui lui est réservée. On observe puis traite l’épizootie, et s’il le faut, on abat les animaux atteints, confinés mais dont les miasmes se propagent, en un mot trop dangereux.
Confinement : ce néologisme en politique nous renvoie bien sûr vers Georges Orwell, quelque part entre « La Ferme des animaux » et « 1984 ». 1984, car on veut l’oublier, pour la première fois, la surveillance des Français a atteint un niveau jamais atteint : géolocalisation, drones de surveillance, interdiction de se déplacer sans laisser-passer ni justification précise, amendes généreusement distribuées, modification drastique des droits par ordonnances, fermeture des lieux publics. Juste un détail peu reluisant qui résume : se promener longtemps est rendu impossible, tous les cabinets de toilettes étant rendus inaccessibles. Vous souriez mais la liste n’est pas exhaustive. Libertés ? Demain nous disait-on, peut-être. Les avocats écoutés n’ont pas remarqué. Et le temps, des mois sont passés.
Pour autant, ce mot « confinement » demeure inexact. Pour nous en convaincre, nous pouvons prendre deux exemples. Tout d’abord, une référence pénitentiaire. Dans un projet des années 1830 (!), juste après l’indépendance belge, le Code pénal wallon prévoyait : « Tout condamné aux travaux forcés à perpétuité subira un confinement solitaire d’un mois à son entrée dans la maison de force. » Confinement ? En réalité une période d’observation, comme disent encore certains praticiens hospitaliers.
Les institutions de coercition savent parfaitement de quoi il retourne et les risques du confinement sont connus, et depuis longtemps :
Dans son « Traité des maladies et épidémies des armées » de 1875, Alphonse Laveran, futur prix Nobel de médecine, relevait que le défaut d’exercice, le « confinement dans une atmosphère limitée », sont des « causes d’affaiblissement de l’organisme », et par suite des causes prédisposantes de la tuberculose, par exemple.
Ce que nous avons vécu n’est pas le confinement mais, comme l’a très justement défini la sinologue Savy Svay, se fondant sur l’analyse, une « compression ».
La compression réside dans l’application sur un matériau, de forces vers l’intérieur (« pousser »), de façon à réduire sa taille. D’une tête de Jivaro, les Indiens font une chose de la taille d’une boule de pétanque.
Cette querelle des mots peut sembler superflue voire stupide. Les Français, qui ne veulent plus entendre parler du Covid, ne vont pas s’encombrer d’une querelle pour deux trois syllabes ! Ils auraient tort, car la question est sérieuse et grave : il en va de leur avenir. En d’autres termes, quelle a été et quelle sera la résistance des Français à leur réduction par compression ? Comme souvent, les artistes pressentent mieux la réalité des choses que d’autres. Dans sa chanson « Jivaro », Julien Clerc plaisantait à demi.
Jivaro, Jivaro
Vide vite mon cerveau
Je t’en prie Jivaro
Réduis ma tête à zéro
Que j’échappe enfin aux femmes
À l’alcool et aux tripots
Le ciné, la télé et même le LSD
N’arrivent plus, Jivaro, à me faire décoller
Je t’en prie Jivaro…
Nous étions en 1968 et les Français ont résisté à la « compression » d’une manière qu’il n’est pas utile de rappeler.
Nous ne sommes pas en 1968 mais un demi-siècle plus tard. Et le diagnostic est pire.
Une première manifestation politique de résistance à la compression vient d’avoir lieu. Lors du second tour des municipales de juin 2020, la participation électorale s’est révélée en chute libre. Ce refus de participation à des institutions coercitives mais non protectrices, en un mot, des institutions qui ont failli, est indéniable. A vingt pour cent de participation, quelle est la légitimité des élus ? Mais surtout, les 60% d’abstentionnistes, qui ont voté à leur manière, doivent être entendus. Le moins qu’on puisse en dire est que les politiques actuels n’ont rien compris à la tempête qui enfle… Répétons le nombre : 60 %. Dans bien des communes, davantage. Ici et là, 80 !
Une deuxième manifestation de résistance réside dans ce qu’il faut bien nommer le lynchage. Que Madame le docteur Agnès Buzyn, candidate du président de la République, ne soit pas même admise au Conseil de Paris devrait inciter celles et ceux qui ont encombré nos écrans de contre-vérités assénées, associant pouvoir politique et science, à retourner à un anonymat bien mérité. Cette élimination, ce « dégagisme » haineux envers certains devraient faire l’objet de sérieuses études.
Troisième donnée : le vote écologiste est un vote de défiance. La nature doit être préservée. On pourrait retrouver nombre de thèses des Verts chez les agrariens des années 1880, voire chez deux trois légitimistes de la Contre-Révolution.
Mais surtout, la « compression » entraîne de très sérieuses conséquences psychiques. On attend avec impatience les premiers rapports documentés publiés par des psychiatres sur ce qui a pu être observé et qu’on peut énoncer en termes simples : haine des autres, ou/et de soi, peur de sortir, désaffection des tâches quotidiennes, refus d’emprunter désormais les transports publics, désintérêt du travail ou à l’opposé – mais l’opposé ne naît-il pas du même mécanisme ? – sur-présence au travail (ce qui ne signifie pas une meilleure productivité), la liste est longue.
Nos compatriotes ont, par un mouvement naturel, tendance à jouer les autruches et remettre à demain l’examen de ce qu’ils ont subi. La fête maintenant ! surtout si la chauve-souris revient ! Mais être à l’air libre ne signifie pas que les têtes soient libres !
Nous ne sommes plus en 1968, et la révolte joyeuse n’est plus de mise. La compression n’est pas finie. La compression continue, ses effets demeurent. Et quand la décompression, massive, physique, se produira…
Jean-Philippe de Garate