Le bel accent du Sud-Ouest à la tête de l’Etat. On n’avait pas goûté à cette petite musique depuis longtemps et c’est tant mieux car c’est cela la France, la diversité des accents autour de mêmes valeurs ! Bienvenue à Jean Castex dans l’arène politique nationale.
Edouard Philippe était trop populaire pour qu’Emmanuel Macron le conserve. Désormais son premier ministre ne lui fera pas d’ombre.
Ceci étant dit, avoir Jean Castex, un haut fonctionnaire de droite, pardon un gaulliste social, à Matignon, n’est-ce pas anachronique ? Pour le virage à gauche que l’on nous prédisait (à tort ?), c’est plutôt prendre le risque d’un grand écart, ou d’un nouvel emmêlement des pinceaux ministériels. Du en même temps macronien en vue…
Jean Castex, c’est encore un profil Science Po-ENA, archétype de cette haute administration que l’on accuse, parfois à raison, parfois à tort, de tant de maux, à commencer par une bureaucratie étouffante qui plombe le pays. La complexité des plans de déconfinement, c’est lui ! De mauvais augure pour les deux années à venir ?
Que va faire le nouveau chef du gouvernement, lui, le pur produit de la haute administration française ? Entreprendre la mère des réformes, c’est-à-dire la conversion de l’Etat mammouth en un Etat stratège ? Finalement, l’erreur originelle n’a-t-elle pas été de croire qu’Emmanuel Macron allait nous guérir de cette pathologie française, lui qui fit l’ENA, entra dans une banque d’affaires et perpétua les relations incestueuses en France entre l’État et l’économie, avec le goût immodéré au final pour une sur-administration (on l’a vu dans la crise du coronavirus) ? De façon parfaitement démagogique, Emmanuel Macron nous avait promis la fin de l’ENA au lendemain du grand Débat national consécutif à la crise des gilets jaunes, et la commission Thiriez qui s’en suivit ne permet pas de trancher véritablement le débat.
Emmanuel Macron, ce n’est pas (ce n’est pas encore ? Ce n’est plus ?) la France des start-ups et de l’initiative, mais bien celle de l’ENA et de la réglementation à outrance. Et ce n’est pas l’entrée de Jean Castex à Matignon qui nous fera changer d’avis.
Sauf si…
Sauf si le prochain gouvernement met les entreprises et l’innovation au cœur du dispositif de relance du pays.
Sauf si, comme l’a dit le premier ministre sur TF1, avec des mots forts, brefs et sans appel, la laïcité et l’autorité redeviennent des priorités d’action et non que des incantations oratoires.
Sur ces deux priorités absolues, nous avons suggéré quelques pistes dans notre gouvernement fictif présenté mercredi. Nous imaginions Jean Castex aux Grands Travaux. Le voici à des Grands Travaux encore plus herculéens.
La fonction forge le caractère… des plus faibles. Ou du moins n’affecte-t-elle pas les plus forts. Un énarque peut avoir de l’imagination ! Espérons que ce sera le cas avec Jean Castex.
Le nouveau premier ministre est aussi un élu local, réélu comme un maréchal dans la belle commune de Prades dont il est maire depuis 2008. Le chef de l’Etat, habitué des Pyrénées, et son nouveau premier collaborateur pourront gravir le Pic du Canigou voisin pour prendre de la hauteur et préparer la rentrée prochaine…
Emmanuel Macron a-t-il enfin compris que rendre l’action publique, largement défaillante pendant la crise du coronavirus, plus rapide et plus efficace, implique une relance puissante de la décentralisation ? Il faut savoir faire confiance, ce qui n’est pas vraiment dans la culture étatique de notre pays. L’élu local d’une commune rurale que constitue aussi le nouveau Premier ministre contrebalancera-t-il quelque peu son profil d’apparatchik ? Certes, il est presque impossible de mener à bien une mission de décentralisation sans parfaitement connaître les rouages de l’organisation administrative française.
Jean Castex est déjà en première ligne depuis sa nomination, surtout médiatiquement. Pourtant, on peut penser qu’il sera surtout le (premier) collaborateur du Président.
Le chef de l’Etat prend un risque majeur : ce nouveau Premier ministre ne pourra pas être le fusible d’un Président si impopulaire, à moins de deux ans des présidentielles, alors que le plus dur est devant nous sur le plan économique et social. Il reste deux ans à Emmanuel Macron pour éviter l’effondrement et entrevoir la sortie du tunnel. Et encore, puisque nous serons en pré campagne dès la rentrée 2020.
La nomination de Jean Castex à Matignon, c’est aussi Emmanuel Macron qui remonte sur son cheval, tel Napoléon, pour diriger ses troupes dans la bataille décisive. Austerlitz ou Waterloo ? Telle est la question.
Michel Taube