La chronique de Jean-Philippe de Garate
06H50 - mercredi 8 juillet 2020

Mort d’un avocat. Chronique de la nouvelle époque par Jean-Philippe de Garate

 

Comme d’habitude, on présente au public la face apparente des choses. Le nouveau garde des Sceaux serait cet avocat exceptionnel qui a obtenu plus de cent acquittements devant des Cours d’assises.

De ce fait, on peut déduire sans délai deux conséquences :

  1. Cet avocat est extraordinaire puisque, avant lui, aucun de ses confrères n’a obtenu un tel résultat. Jamais. Dans l’histoire de la justice française, il est le seul. Mais on oublie au passage le petit détail. La vérité existe, et il doit bien se trouver un ou deux coupables parmi ces cent vingt acquittés. La cour d’assises est souveraine, elle n’est pas divine. Que cela ne gêne personne, à commencer par le principal intéressé, résume.
  2. Cet avocat est parfaitement apte à convaincre nos contemporains, comme le président et, on le sait, son entourage immédiat. C’est, de mon humble point de vue, le pire compliment. Notre époque est si peu logique, si sensible aux « émotions » que nous avons atteint – qui ne le sait ? qui ne le sent ? – ce que sont les limites de la démocratie, le « pire régime… après les autres » disait Churchill. Sir Winston est mort mais sa formule est encore plus exacte aujourd’hui : la démocratie médiatique devient le pire des régimes. Aujourd’hui, « star », demain « lynchée ».

Avoir occupé les plateaux de télévision ou les scènes de théâtre constitue aujourd’hui, un attribut utile, nécessaire mais pas suffisant pour jouer le rôle qui est attendu d’un second rôle, après la gifle électorale laissant le président face à son bunker.

Car ce second rôle ne sera jamais celui dévolu aux maîtres de l’Etat, des finances et de la stratégie, dont il faut dire et répéter que les références profondes ne sont pas ancrées dans notre pays. J’ai écrit, et je le répète : Macron « lessivera » ce pays, et « on n’imagine pas le général de Gaulle » propulser sa campagne électorale de Las Vegas.

Loos-lès-Lille est loin, très loin de Las Vegas, voire de ENA-Strasbourg ou ENM-Bordeaux (qui va, enfin, devoir ouvrir ses portes de couvent au garde des Sceaux, ce qu’elle lui avait refusé jusqu’alors). C’est dans le parloir de cette maison d’arrêt de Loos que j’ai rencontré notre garde des Sceaux, alors avocat stagiaire. Il venait de prêter serment. J’arrivais d’une autre ville, mais nous nous retrouvâmes en une occasion, dans une affaire de stupéfiants. Puis le temps passa, et chacun suivit son chemin. Pas vraiment le même… Ouf !

Il n’est pas nécessaire d’être marabout à Barbès ou devin aux Saintes-Maries-de-la-mer pour savoir ce qui incite un avocat presque sexagénaire, devenu acteur, à « sortir par le haut » (avec guillemets) d’une profession envahissante, exténuante… merveilleuse… Jacques Vergès disait, lui, ne pas en imaginer une autre. Mais Vergès était d’un autre métal. Et il est mort avocat.

L’actuel garde des Sceaux a très bien expliqué dans ses ouvrages simples et francs le chemin qui, par rejet de l’injustice, puis mezzo vocce par appétence de l’ascension sociale, par ce qu’on sait du « monde » parisien, la séduction qu’il exerce sur des provinciaux parvenus, par plateaux de télévision interposés, la voie le menant où il se retrouve.

Mais le drame sera toujours le même en France. La justice n’a pas besoin de ministre ! De lui ou d’un autre ! Un chancelier indépendant peut-être ! La Justice se doit d’être rendue aux Français. Que nos compatriotes se la réapproprient ! Ce n’est pas un « leurre optique » de Macron II dont la France a besoin mais d’une refondation de la justice. Dans divers documents, il a été établi que la justice n’est pas réformable : le « sanglier du Nord » pourra exposer son habituelle mauvaise humeur, plus ou moins jouée, la réalité ne changera pas.

Que fera-t-il des prisons, de leur intendance, de la psychiatrie en prison, des vieux condamnés, des familles, des radicalisés, des indigènes, de l’aide juridictionnelle, de l’immobilier, des personnels, des directions, des financements, des auxiliaires ? Je lui donne six mois. Sans évoquer les implantations de tribunaux, de centres de tout genre, la protection des mineurs, les foyers en crise, les affaires civiles, les procédures, l’informatisation, les marchés publics, les notaires, les greffiers, les affaires criminelles, l’administration dite centrale, les chantiers, les réformes, les lobbies… et cette merveille : la justice administrative. Et j’en oublie !

Alors, finissons. Des gardes des Sceaux, la France n’en a pas manqué. Celui-ci passera, comme les autres. La seule chose qui doit nous intéresser, c’est de savoir dans quel état la justice sortira de ce ministère. Je suis désolé et triste de le dire et d’affirmer sans la moindre modestie que je le sais : ce sera pire.

La justice est une chose trop sérieuse pour être confiée à des hommes pleins de bonne intention, mais qui ignorent tout de son histoire, des arrières cours de ses administrations et services et surtout, surtout ! ne savent pas que le nombril de la justice n’est ni à Lille, ni à Paris, ni à Vegas ou Canada.

Le cœur de la justice est – que ça plaise ou pas – dans la légitimité… Il existe une clef d’ogive et une seule : il faut élire les magistrats. Quant aux avocats fatigués… leur jeu lassera vite les spectateurs.

 

Jean-Philippe de Garate