En 2016, la Commission européenne prenait la courageuse décision de condamner Apple à rembourser à l’Irlande, malgré elle, 13 milliards d’euros d’avantages fiscaux. L’Irlande, bien que membre de l’Union européenne, s’était érigée en paradis fiscal pour les GAFA, permettant à ces géants du numérique de réaliser en Europe des profits considérables et pourtant défiscalisés.
Quatre ans plus tard, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) décide d’annuler cette décision, condamnant l’Europe à être le continent soumis de la planète, celui auquel il est fait interdiction de se défendre contre toutes les agressions.
Pour ces juges, qui oublient manifestement que le droit est une science politique au bénéfice de la société, et non une abstraction juridique, la Commission n’a su démontrer « l’existence d’un avantage économique sélectif ». À moins que la haute juridiction ait cédé au lobbying d’Apple et surtout des autorités irlandaises. Car après tout, ce n’est pas le géant américain qui doit être blâmé au premier chef. On peut disserter à l’infini sur l’immoralité de l’optimisation fiscale. Mais le smicard qui coche une case plutôt qu’une autre sur un formulaire fiscal pour payer 50 euros d’impôt en moins ne fait intellectuellement pas autre chose que de l’optimisation fiscale. Sauf que là, la case vaut 13 milliards, au détriment du contribuable européen, et non seulement irlandais, puisque les bénéfices réalisés par Apple en Europe sont consolidés en Irlande.
Pourquoi l’Union européenne n’ose-t-elle pas se doter des mêmes outils que les États-Unis, sans même évoquer la Chine, qui oppose son protectionnisme à l’ouverture quasi totale qui lui est offerte ? Pourquoi tant de faiblesse qui donne raison aux eurosceptiques, aux ennemis de la construction européenne, aux populistes, à Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, à Éric Zemmour aussi, qui fustige la dictature des juges français comme européens ?
L’Irlande n’aurait pas rejoint le Royaume-Uni sur le chemin du Brexit si la CJUE avait confirmé la sanction de la Commission de Bruxelles. Ou alors, c’est vraiment à désespérer de l’UE et à souhaiter sa disparition.
Pour être efficace, l’UE doit réviser son mode de prise de décision. Certaines d’entre elles devraient être prises à la majorité, éventuellement qualifiée. Au sein de l’Union, la zone euro devrait pouvoir aller plus loin dans l’intégration économique et fiscale. Il eut fallu que si un pays comme l’Irlande décide seul d’offrir à des entreprises européennes comme étrangères des exonérations ou des avantages fiscaux, que l’impôt soit prélevé directement au bénéfice de l’Union, et versé dans les caisses de la Banque centrale européenne, ce qui reviendrait à créer une vraie taxe, au-delà de la taxe GAFA, à l’échelle européenne. Alors, et alors seulement, un Donald Trump ne pourrait pas punir un Etat isolé comme la France pour avoir osé imposer une fiscalité juste et équitable à une entreprise américaine.
L’arrêt de la CJUE est une honte pour l’Europe, que la cause en soit les textes européens ou leur interprétation par les juges. Soit les chefs d’États et de gouvernements de l’Union en prennent conscience, soit ils seront les fossoyeurs du grand projet européen, au bénéfice d’une pseudo Europe des nations que nous promettent les populistes. Une Europe des nationalistes et des égoïsmes en réalité.
Raymond Taube
Fondateur de l’IDP – Institut de Droit Pratique