On ne respecte décidément plus rien ! Le président de la République ? Les gilets jaunes ont mis sa tête sur une pique. La police ? Les indigénistes les traitent de racistes, presque de négriers (un terme qu’il faudra sans doute retirer du dictionnaire). Les Blacks blocs veulent leur peau et pleurnichent sur la violence policière. Les profs, les pompiers, la République, les institutions… ? Rien de rien ! Il restait la justice. Non pas que les délinquants la respectaient. Dans ce monde, on ne respecte pas ce que l’on ne craint pas. Mais voilà que toute la France tombe à bras raccourcis sur les juges, accusés d’être responsables de la montée de la délinquance, en raison de l’impunité dont jouiraient les délinquants.
Sur les plateaux de télévision, la très corporatiste magistrature se défend : non, il n’y a pas plus de délinquance qu’avant, brandissant des statistiques savamment sélectionnées, qui excluent à peu près tout ce qui fait basculer une société dans une atmosphère d’insécurité et d’inquiétude. Les guets-apens à la police et aux pompiers, les territoires perdus de la République, abandonnés aux trafiquants de drogue et aux islamistes, les gens qui baissent les yeux devant les « gentils jeunes des cités victimes de discrimination » qui braillent dans les transports en commun sans porter de masque, les migrants, certains sous crack, qui rôdent autour de la place Stalingrad à Paris, et regardent les femmes comme autant de morceaux de viande, et parfois ne se contentent pas de les regarder, les violences en tous genres, à l’école ou dans la rue, assorties de menaces du pire, avec pour conséquence que plainte n’est pas déposée, et que quand bien même le serait-elle, son premier et souvent unique effet serait effectivement de valoir au plaignant de sévères représailles… Arrêtons-nous là. Les statistiques montrent que tout va bien, ou en tout cas pas aussi mal que le prétend la méchante droite paranoïaque, mise dans le même panier que l’extrême droite par la gauche bienpensante et sa presse (Libération s’était illustré en la matière).
Le fait, – que seul l’aveuglement volontaire et dogmatique conduit à nier -, est que la justice pénale ne fait plus peur aux délinquants, qu’elle n’assure plus sa fonction originelle de prévention et de dissuasion. Cette vérité provoque l’ire du garde des Sceaux, qui n’a pas encore compris qu’il n’était plus l’avocat des délinquants, criminels et islamistes, mais en quelque sorte le chef des procureurs, et à ce titre responsable, avec le ministre de l’Intérieur, de la sécurité des Français.
Certains estiment que le rôle de la justice n’est pas de prévenir la délinquance, de faire peur, mais de permettre la réinsertion des délinquants, qu’ils considèrent d’abord comme victimes de la société. Oui, la réinsertion est aussi une mission de la justice, même ce n’est pas sa vocation première, et force est de constater qu’elle a failli sur ce plan aussi. Sur quel plan n’a-t-elle pas failli ?
Puisque la justice répressive n’a pas de vocation dissuasive et donc préventive, autant la supprimer ! Autant supprimer les peines et offrir au « délinquant-victime » (de la société) un traitement purement social de leur légitime propension au défoulement. Le propos semble caricatural. Il n’est pourtant que l’extrapolation d’une logique permissive qui sévit encore au sein de la magistrature.
La France perd sur toute la ligne : sur le plan de la prévention – dissuasion et sur celui de la réinsertion, le premier conditionnant le succès du second. Les EPID (Etablissements pour l’insertion dans l’emploi), les établissements de rééducation fermés, les écoles de la deuxième chance, ces dispositifs hors justice qui portaient leurs fruits, sont délaissés par la puissance publique.
Sans doute la peur de la sanction ne dissuade-t-elle pas les plus grands criminels, les assassins, les terroristes… D’ailleurs la peine de mort n’a jamais empêché le moindre crime. Mais appliquer ce raisonnement à la petite délinquance relève du syllogisme primaire et dangereux pour notre sécurité, un droit fondamental.
Comme un seul homme, la justice se plaint du manque de moyens. L’argument n’est que partiellement pertinent. Depuis le début de l’année, la réforme de la justice, principalement motivée par des considérations budgétaires, a commencé à vider les salles d’audience. La justice est de plus en plus écrite, rendue sur dossier. Les audiences deviennent souvent facultatives. Les modes amiables de résolution des conflits, comme la médiation, tendent à devenir le préalable obligatoire au procès. Parallèlement, le projet de loi de finances prévoit la création de 384 emplois en 2020, dont 100 de magistrats et 284 de fonctionnaires et de juristes assistants. Le compte n’y ait pas, certes. Nul ne le contestera. Mais le défaut de moyens n’explique pas à lui seul la faillite de la justice pénale, à tous les échelons : dissuasion, punition, réparation, réinsertion.
Lorsqu’un délinquant est jugé en comparution immédiate, ce n’est pas le manque de moyens qui explique la mansuétude des juges. Sauf si le juge tient compte du manque de places en prison, même après la libération d’environ 13.000 détenus durant le confinement. Ce ne serait plus le Code pénal, mais le taux d’occupation des prisons qui conditionnerait la peine.
De toute manière, jusqu’à un an de prison « ferme », la peine n’est pas exécutée (encore un effet de la réforme Belloubet). Quant aux peines plus sévères, elles ne le sont souvent pas davantage, soit du fait de la surpopulation carcérale, soit parce que le juge de l’application des peines va se démener pour éviter la prison au délinquant, a fortiori s’il présente des « garanties de représentation » (une adresse et un travail). Une petite promesse d’embauche complaisante, dont la vérification de véracité se bornera, dans l’hypothèse la plus optimiste, à un coup de fil au prétendu employeur, et le tour est joué.
La non-exécution des peines doit satisfaire ceux qui prétendent que le délinquant-victime qui entre en prison en ressort criminel ou djihadiste, ce qui, hélas, est loin d’être faux. Mais pourquoi ? Parce qu’à la suite d’une accumulation de faits allant crescendo dans leur gravité, le délinquant, peut-être déjà devenu criminel, finit par se retrouver en prison pour plusieurs mois, voire plusieurs années, que rien n’est entrepris pour sa réinsertion, et qu’il est livré en pâture à la pègre chevronnée ou aux prédicateurs du radicalisme islamique.
Maitre Éric Dupond-Moretti, qui nie l’ensauvagement de la société, préconise que celui qui dégrade la façade d’une mairie soit condamné à la nettoyer sur-le-champ. Ces « travaux d’intérêt général » sont rarement effectués et quand bien même le seraient-ils, leur vertu dissuasive reste à prouver. Retenons toutefois l’idée de notre ministre-avocat, si elle ne reste pas qu’une idée. Mais en cas de récidive, de multi-récidive, en particulier pour des faits plus graves que les graffitis sur une mairie, tels que les atteintes aux personnes, que faut-il préconiser ? Dupond-Moretti a en horreur les peines plancher, qui ne l’ont en vérité jamais été, le juge ayant conservé la liberté de transformer l’exception en règle pour éviter la prison au condamné. Si les juges sont laxistes, sauf lorsqu’ils n’ont pas envie de l’être, c’est aussi parce la loi le leur permet.
Il faut inverser la logique carcérale : en particulier en cas de récidive, de courtes peines de prison ferme, inférieures à deux mois, sont de nature à rétablir la vertu dissuasive de la justice pénale, sans laisser aux prédicateurs du crime et du djihad le temps de faire leur œuvre. Et tant pis si le délinquant perd son emploi. Pour les plus longues peines, pourquoi ne pas proposer au détenu, comme cela se fait dans certains États américains, de signer un contrat permettant une forte réduction de sa peine en échange d’une discipline de fer et d’un travail ardu, mais consenti ? On peut également développer l’assignation à résidence totale (pas un mètre en dehors du domicile, sous peine d’incarcération).
Dernier point : le juge n’agit pas seul. Si l’autorité judiciaire est indépendante, le parquet, c’est-à-dire l’exécutif, donne le LA. Ainsi, face aux violences démultipliées contre les élus locaux, ce qui est le plus choquant, c’est que le parquet ne se soit pas saisi immédiatement à chaque infraction ou délit constaté.
La faute aux juges, en définitive ? Ils occupent l’espace que leur laisse la loi et la Constitution. La dérive d’une République des juges s’étend au-delà du droit pénal : un tribunal administratif fait-il du droit ou de la politique, lorsqu’il estime qu’imposer le masque partout dans l’espace public est une atteinte à la liberté individuelle ? Quelle liberté ? Celle de contaminer les autres ? Cumuler toute puissance et irresponsabilité, puisque les juges n’ont quasiment pas de comptes à rendre, est pas essence malsain.
Michel Taube