C’était un homme. Pas un robot, un doberman ni un vampire transylvanien. Il était Asiatique et son nom était Kang-Kek-Ieu, mais il demeurera connu sous celui de Douch. Né en 1942 dans un village de l’Indochine française, il vient de mourir à Phnom-Penh le 2 septembre 2020. Issu, on le sait, de paysans d’origine chinoise, enfant souvent malade, il décrocha -ce qui n’était pas simple- son bac puis exerça comme professeur de mathématiques dans un collège de sa région natale. Le plus dérangeant dans l’histoire –qu’on retrouve dans la biographie de nombre de tortionnaires- réside dans le portrait d’un homme « toujours prêt à venir en aide » aux plus nécessiteux. Par une logique imparable, passant de la défense des pauvres collégiens au marxisme, il prit le maquis dès 1967. D’une santé ne se prêtant pas à la vie au grand air, il sera arrêté très vite et condamné à vingt ans de réclusion pour « atteinte à la sûreté de l’État ».
Il se passe alors un événement dans sa vie dont la signification profonde va lui échapper. Le roi Norodom Sihanouk intervient en sa faveur, et grâce à cette intervention, Douch est élargi.
Le drame demeure qu’il ne peut pas comprendre le sens empathique, humain, de l’intervention du monarque. Plus tard, bien plus tard, des psychiatres résumeront ce trait de sa personnalité : « Douch souffrirait d’alexithymie, cette incapacité à ressentir et exprimer ses émotions et surtout, comprendre celles des autres. Certains praticiens ont relevé que cette pathologie se retrouve d’ailleurs chez nombre de bourreaux » : ainsi avait-elle été diagnostiquée chez le docteur en droit Otto Ohlendorf, ami d’Himmler et chef de l’Einsatzgruppe D, responsable de 90.000 juifs exécutés en Ukraine.
Douch, le détenu libéré, devient membre de… la chiourme, et dirige peu après un « camp de rééducation » khmer-rouge dans la jungle : M-13. Selon Wikipédia, il y aurait « détenu l’anthropologue François Bizot, qui relate dans son livre -Le Portail- les dialogues entre l’auteur et Douch, éclairant le parcours idéologique du bourreau, qui n’aurait été qu’un jeune fonctionnaire -angoissé de bien remplir ses missions (sic). Il raconte comment Douch aurait tout fait pour « lui laisser la vie sauve, alors qu’aucun des autres détenus de ce camp n’aurait survécu. » (sic)
Ces propos ne nous convainquent pas. Pourquoi un seul survivant, et précisément un Français si compréhensif ? Un intellectuel pour témoigner en Occident de l’humanité d’un tortionnaire… Et les autres, ses compatriotes, pourquoi n’ont-ils pas survécu ? Ce qui demeurera, et s’affirmera jusqu’à la fin, c’est le goût désormais ancré, morbide, absolu, de Douch : l’horreur de la période Pol Pot (1975-79), avec ce préposé qui dirigera Tuol-Sleng, connue sous le nom de S-21. Un ancien lycée en plein centre de la capitale cambodgienne, mué en centre de torture. Ce ne sont pas seulement des opposants mais des femmes, des enfants, y compris en bas âge, qui connaissent l’Enfer de Dante.
D’origine chinoise, Douch se serait senti menacé par la « pureté ethnique » voulue par les Khmers rouges – ces nazis qui s’ignorent. Et il redoublera de zèle, dépassant même Mengele en faisant scier des bambins. Lors de l’entrée des Vietnamiens en 1978, il « se charge » des derniers prisonniers, dont aucun n’a été retrouvé. Vingt ans plus tard, il se convertira en 1996 au protestantisme des évangélistes. Evitons les commentaires, le cœur nous monte aux lèvres.
L’objectif de cette Chronique pourrait être de dénoncer le fait que Hun Sen, l’actuel premier ministre du Cambodge, nouveau dictateur patenté, est un ancien khmer rouge… Imaginez un ancien nazi à la tête de l’Allemagne aujourd’hui…
Non, notre dessein n’est pas, en pointant le cas Douch, d’ajouter à l’horreur paléolithique, ni à la liste de tant de malades, avec un de ces sous-directeurs se lovant avec délice dans son centre de tortures. C’est de nous interroger sur le parcours assez répétitif de certains communistes asiatiques souvent passés par Paris, et plus particulièrement la Sorbonne, pendant leurs années de formation intellectuelle. Notamment, un certain Saloth-Sar, dit Pol Pot, suivant l’école de radioélectricité du quatorzième arrondissement et le PCF, ou Chou-en-Laï, résidant à Paris et Montargis de 1922 à 1924, tant et tant d’autres s’étant imprégnés, ici, de la Terreur. La Terreur française.
Jean-Philippe de Garate