Vladimir Poutine, Donald Trump, Jair Bolsonaro, Viktor Orbán, Recep Tayyip Erdoğan, ou avant eux Matteo Salvini, ont en commun le fait d’avoir été élus démocratiquement et d’être étiquetés comme populistes, généralement de droite, même si Poutine et Erdoğan n’entrent pas exactement dans ce moule. Ils sont donc détestés des intelligentsias de la planète.
Indéniablement, les quelques noms susmentionnés ne suscitent pas un déluge d’admiration, même si diriger un pays exige d’abord des compétences. Mais sur ce terrain également, les populistes, dans l’acception péjorative et négative de ce terme, sont rarement à prendre comme modèle, d’autant moins qu’une fois leur échec patent et le carrosse redevenu citrouille, plane sur leur palais et leurs intentions la brume nauséabonde de la tentation autoritaire. Le locataire de la Maison-Blanche n’a-t-il pas laissé entendre que la résiliation de son bail par le peuple américain en novembre prochain pourrait être entachée d’irrégularité ? Que feraient d’ailleurs Marine Le Pen, mais aussi Jean-Luc Mélenchon, s’ils accédaient au pouvoir et que leur délirante politique économique conduise le pays à la ruine et au déclassement, et de nombreux Français à la paupérisation ? Que feraient-ils si un RIC (Référendum d’Initiative Citoyenne) révocatoire qu’ils appelaient de leurs vœux durant la crise des gilets jaunes, leur désignait la porte de sortie ?
La politique ne peut se résumer à l’efficacité et au pragmatisme, et faire fi de toute valeur, quand bien même l’universalisme n’a-t-il jamais été qu’un leurre – ou une proclamation, une déclaration –. Ce qui est gênant, c’est que trop d’élus sont plus focalisés sur la préparation de leur réélection que sur la direction de leur pays. La démocratie est, par essence, clientéliste, ce qui devrait conduire à s’interroger sur l’opportunité d’un mandat unique à la tête de l’État, comme le jugèrent notamment François Hollande. Donald Trump, qui dans certains domaines (en matière de politique économique et parfois à l’international) a été bien moins mauvais que son prédécesseur vénéré par notre intelligentsia, fait souvent penser à un gamin mégalo incontrôlable, qui outre sa réélection, rêve de recevoir lui aussi la sucette offerte à Barack Obama : le prix Nobel de la paix. Les Israéliens et les Émiriens peuvent évidemment s’en réjouir. Pour le moment, du moins.
On a coutume de dire que dans une démocratie, le peuple a les dirigeants qu’il mérite, ce qu’il faut nuancer lorsqu’il a le choix entre la peste et le choléra, ou lorsque les dés sont pipés, sans quoi l’Iran ou le Liban seraient des démocraties. Mais même avec une campagne électorale et un scrutin totalement équitables, le résultat y serait probablement identique, car les rats des villes ne votent pas comme les rats des champs : New York, Istanboul et Téhéran ne portent sans doute pas respectivement Trump, Erdoğan et Ali Khamenei dans leur cœur. Mais cela ne fait pas une majorité à l’échelle nationale.
N’est-il pas insultant de qualifier de voyous les incapables et les populistes démocratiquement élus ? Cela ne revient-il pas à confondre compétence et probité ? La personnalité de ces individus est parfois si sombre, si machiavélique que le terme « voyou » en deviendrait presque un compliment. Mais aussi et surtout, leur élection est le reflet du mauvais état de leur pays et de leur société. Un peuple qui a perdu la foi en l’avenir risque de se livrer aux extrêmes. L’Allemagne nazie qui adula Hitler fut celle de Goethe, de Beethoven, de Freud, de la République de Weimar. La démocratie, l’État de droit, la paix, la société sécularisée ou mieux, laïque, ne sont jamais acquis. Ils sont et seront toujours menacés et devront être défendus. Par nous, par le peuple, en dernier ressort.
Il ressort de plusieurs enquêtes que le peuple français est parmi les plus pessimistes de la planète. Un mauvais présage ? En comparaison avec d’autres dirigeants, Nicolas Sarkozy, François Hollande ou Emmanuel Macron ne sont ni des voyous ni des incapables. Ils ont, pour le moment, réussi à préserver la France de la ruine et du déshonneur auquel nous conduiraient inéluctablement les populistes extrémistes de droite et de gauche. Mais la déception conduit aussi à la perdition. Nous pensions avoir élu le Kennedy français en 2017. Finalement, nous ne savons pas qui nous avons élu. Quand on veut être partout en même temps, on risque de finir nulle part ou droit dans le mur…
Michel Taube