Edito
08H00 - lundi 7 septembre 2020

Ce que révèle la guéguerre Darmanin vs Dupond-Moretti. L’édito de Michel Taube

 

Ensauvagement ou non ? Insécurité réelle ou fantasmée ? Darmanin ou Dupond Moretti ? Devant la polémique naissante au sein du gouvernement, le Premier ministre Jean Castex, a sifflé la fin de la partie… temporairement : seuls comptent les actes ! Sauf que, comme en foot, l’arbitre peine parfois à se faire respecter par des stars à l’égo surdimensionné ou à l’ambition démesurée.

Surtout que cette querelle de mots cache mal une guerre bien plus sérieuse : leurs conceptions respectives de la politique pénale s’opposent.

Serions-nous sur un terrain de sport que le vrai arbitre serait à l’Élysée. Et en l’espèce, la position jupitérienne semble être plus proche de celle du garde de Sceaux, le ministre de l’Intérieur apparaissant assez isolé au sein du gouvernement et de la majorité parlementaire, ce qui ne l’a pas empêché de réitérer sa position avec fermeté et détermination.

Gérald Darmanin est présenté comme le nouveau Sarkozy. Une formule marketing ? L’intéressé pourrait s’y reconnaître. De même, Éric Dupond-Moretti se doit de rester lui-même : grande gueule moralisatrice et adepte de l’excuse sociale. Presque un Depardieu de gauche qui finit par habiter son personnage au point de se confondre avec lui.

Et lorsque Dupont-Moretti joue les gros bras (et non pas seulement les grandes gueules), il se trompe : le ministre de la justice annonce que les insultes contre les maires seront désormais qualifiées d’outrage mais l’article 433-5 du Code pénal le prévoit déjà avec 6 mois de prison et 7500 euros d’amende pour les faits commis à l’encontre d’une personne dépositaire de l’autorité publique, donc les maires notamment. Et c’est le parquet qui n’a même pas poursuivi les violences en réunion commises à l’encontre de dizaines voire de centaines de maires maltraités ?

On nous dit que les luttes d’égo et d’influence entre le ministre de l’Intérieur et celui de la Justice sont monnaie courante, qu’elles sont de bonne guerre et qu’il ne faut pas y attacher grande importance. Mais ici, le choix, très récent, de ces deux hommes par Emmanuel Macron est symptomatique de ce « en même temps » qu’il a théorisé durant sa campagne de 2017, pour en faire ensuite un mode de gouvernance. Les injonctions paradoxales érigées en doctrine politique et en mode de gouvernance.

Darmanin et Dupond-Moretti, c’est l’eau et le feu. Tout les oppose. Leur différence ne se résume pas à l’usage du mot « ensauvagement ». Le premier, effectivement sur la ligne de son mentor Nicolas Sarkozy, mais aussi de l’actuel Premier ministre, veut rétablir l’autorité de l’État. Le second considère, comme naguère Lionel Jospin auquel cette analyse coûta peut-être le pouvoir, que l’insécurité n’est qu’un sentiment et même un fantasme alimenté par la droite et l’extrême droite, mises dans un même sac. C’est une opposition idéologique, une incompatibilité politique. Mais c’est aussi, et surtout, du « en même temps » marconien, car le chef de l’État, déjà reparti en campagne, savait parfaitement que le torchon brulerait entre ces deux personnages.

Quel est le dessein présidentiel ? Emmanuel Macron ne prend-il pas le risque d’être accusé d’incohérence systémique ? L’opposition ne manquera pas de l’accuser de chercher à faire diversion à l’aube d’une crise économique qui commence à peine à faire ressentir ses effets sociaux. Mais sur un sujet aussi clivant que l’insécurité, être à la fois de droite par le truchement du ministre de l’Intérieur, et de gauche par celui du ministre de la Justice, peut participer au siphonnage des électeurs de ses concurrents. Tel Machiavel, Emmanuel Macron déplacera le curseur d’un bord à l’autre au gré des sondages et de l’évolution de la situation sécuritaire. En 2022, il sera en même temps le candidat de la sécurité et de l’ordre (Darmanin) et celui des libertés et de l’équité (Dupond-Moretti). Il sera en même temps de droite et de gauche, pour être, in fine, le candidat de tous les républicains, face à tous les populistes. Macron, c’est l’union nationale sans le dire, et dans ce jeu de posture, le duo Darmanin / Dupond-Moretti a toute son utilité.

La limite de l’exercice est que l’insécurité n’est pas qu’un sentiment, nombre de ses manifestations échappant aux statistiques. Les Français, en particulier les citadins, ne sont ni dupes ni aveugles. Aujourd’hui encore, une partie de la classe politique allant de Dupond-Moretti à l’extrême gauche traite de populiste fasciste celui qui demande plus de sécurité publique et de sévérité judiciaire, notamment dans l’accomplissement effectif des peines. La confiscation des questions de sécurité, mais aussi d’immigration ou d’islam politique par le Rassemblement national serait dramatique. Emmanuel Macron, en laissant agir son ministre de la Justice, n’œuvre-t-il pas en ce sens ?

Le gouvernement Castex est autant au service de la réélection d’Emmanuel Macron que de la relance de l’économie après la première vague du Covid-19. Qu’il en résulte un machiavélisation du « en même temps » sur les questions pénales n’a rien de surprenant. Avec toujours le risque de se brûler ou de se noyer lorsque l’on se prend pour un alchimiste croyant pouvoir mélanger l’eau et le feu.

 

Michel Taube

 

 

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