Les urnes ont parlé au Monténégro ce 30 août dernier. Et le moins que l’on puisse dire est que le verdict est historique pour ce pays dirigé depuis trois décennies par le même homme, Milo Djukanovic, et son parti, le DPS. En effet, les électeurs ne lui ont cette fois pas donné la majorité parlementaire. Nous aurons donc un nouveau gouvernement et de nouveaux visages pour prendre la succession du DPS.
Il est désormais acquis, suite à la signature d’un accord de coalition ce 8 septembre, que la formation d’un gouvernement dont l’entrée en fonction pourrait être envisagée fin octobre incombera au triumvirat constitué de Zdravko Krivokapic, Aleksa Bebic et Dritan Abazovic, tous trois sortis renforcés des urnes et en capacité mathématique, certes faible, de former une majorité gouvernementale.
En faisant le choix de la stratégie du « divide et impera » chère à Nicolas Machiavel déclinée par les communicants engagés par lui, le roi Milo, autrefois connu pour son pragmatisme et sa capacité à rassembler, a cette fois échoué sur toute la ligne. Car au-delà d’une vraisemblable lassitude de la population de voir encore une fois la même figure tutélaire mené une campagne pour des élections parlementaires depuis son bureau présidentiel, la grande erreur a été de suivre les théories et d’adopter la rhétorique ethno-nationaliste tentant de dépeindre tout qui ne voterait pas DPS comme un ennemi de la « nation ».
Le Monténégro a toujours été une terre d’accueil pour nombres de minorités dans une tradition de coexistence pacifique séculaire, le respect mutuel étant toujours placé au cœur même des valeurs essentielles de ce pays. Avec la promulgation de cette loi sur les libertés religieuses, le pouvoir a rompu avec cette tradition, en venant pertinemment provoqué une partie importante de sa population, celle attachée à l’Eglise orthodoxe serbe (mais aussi au passage en sucitant des inquiétudes chez les catholiques et musulmans du pays). Ce faisant, il a coalisé contre lui, comme un seul homme, une population jusqu’ici peu intéressée à la chose politique. Un Professeur d’Université, Zdravko Krivokapic, se voyait alors propulsé dans l’arène politique, malgré lui en quelque sorte. Devenu candidat de la liste « Alliance Pour l’avenir », il récolte 32,7% des voix exprimées par 75% du corps électoral. «La Paix est notre Nation», emmenée par Aleksa Becic, termine en troisième position avec 12,5% des voix, la première position étant toujours occupée par le DPS. Quant à la liste de Dritan Abazovic, elle obtient suffisamment de sièges pour permettre un changement de majorité, une première.
Rideau pour l’Imperator Maximus, place au Triumvirat. Alea jacta est.
Il s’agit maintenant pour chacun de se montrer responsable et d’inscrire le Monténégro dans la famille des démocraties, de se comporter comme un membre de l’OTAN et un candidat sérieux à l’adhésion européenne. Les récentes déclarations du trio confirmées dans le contenu de leur accord de coalition confirment que ces deux axes continueront de constituer les piliers de la politique étrangère de leur gouvernement, lequel veillera par ailleurs à se montrer plus constructif dans ses relations avec le voisin serbe ou le frère slave russe, plus vigilant par rapport aux partenaires chinois.
Alors, au-delà des simplifications d’être pro-ceci ou pro-cela lancés comme autant de menaces sur la souveraineté nationale et d’invectives, il s’agira, pour les impétrants en politique, de se montrer fondamentalement pro-monténégrin, d’œuvrer dans l’intérêt général, de mettre fin à la corruption, de défendre et promouvoir les libertés fondamentales, de permettre une presse libre et critique, de réformer le pays, son économie, d’attirer des investisseurs étrangers, d’améliorer son système éducatif, de promouvoir les échanges internationaux, de ramener les touristes dans ce pays aux nombreux atouts.
Le message des électeurs est clair : le changement, c’est maintenant. Ils veulent une autre gouvernance, une bonne gouvernance. En réalité, leur attente est de dire adieu à la corruption généralisée, à une économie aux mains de quelques amis, aux médias partiaux. En réalité, cette élection est un plébiscite pour un Monténégro souverain, indépendant, démocratique et pour la poursuite des réformes nécessaires à l’intégration européenne et transatlantique. Le trio envisage de constituer un gouvernement technique pour répondre à ces défis.
La France a un rôle à jouer. Nous sommes persuadés que son aide sera appréciée. Elle doit faire plus que par le passé pour accompagner l’alternance souhaitée par les électeurs. Elle peut participer au développement d’un meilleur système éducatif, favoriser des échanges universitaires, encourager des investissements et tant d’autres choses. Et ses touristes seront toujours les bienvenus dans ce si beau Monténégro.
Vladimir Krulj
Fellow at Institute of Economic Affairs, London, Bruxelles – Belgique