Osons un mea culpa. Nous avons cru longtemps à l’intégration. Nous nous sommes trompés. Le modèle d’intégration français a échoué en ce qu’il a permis, au nom des différences culturelles, de laisser monter l’islamisme dans la communauté musulmane et convertie en France. Un modèle d’assimilation, ferme sur les principes et les valeurs de la France, surtout sur le principe de laïcité, aurait été beaucoup plus efficace pour aider les éducateurs, les enseignants, les parents à « imposer » (car c’est non négociable), pardon à transmettre les valeurs de la République aux jeunes générations.
En considérant depuis plusieurs décennies que l’intégration peut faire l’économie de l’assimilation, la gauche porte une immense responsabilité dans les dérives communautaristes, séparatistes et indigénistes auxquelles nous sommes aujourd’hui confrontés. Et il faut bien admettre que la droite s’est davantage illustrée par le discours que par les actes, même si la plupart des lois visant à protéger la République contre l’obscurantisme islamique, car c’est bien de lui, et seulement de lui, dont il s’agit, ont été votées sous une présidence de droite. Mais une seule d’entre elles est efficiente : la loi votée en 2004 à l’initiative de Jacques Chirac, prohibant les signes religieux ostensibles à l’école. On ne remerciera jamais assez le président Chirac d’avoir eu ce courage politique. À l’inverse, la loi interdisant le voile intégral dans la rue, camouflée par le concept de dissimulation du visage dans l’espace public, ne fut jamais appliquée.
François Hollande et son Premier ministre Manuel Valls font exception à la règle. Leur engagement au bénéfice de la laïcité fut sans faille, mais entravé par une partie de leur majorité, qui finit par les évincer, le parti socialiste ayant été représenté par Benoît Hamon à la présidentielle de 2017, avec le résultat que l’on sait. Il n’y avait rien de choquant à retirer la nationalité française aux doubles nationaux devenus ennemis de la France, comme le voulait François Hollande. La bien-pensance l’en a empêché.
La gauche, la droite en définitive, l’intelligentsia parisienne, le monde des arts et des spectacles, les médias, le monde associatif auquel appartenait votre serviteur, nous nous sommes tous trompés, comme le reconnaît aujourd’hui Julien Dray, cofondateur de SOS Racisme. Nos parcours, nos traditions républicaines, notre conception ouverte et souple de la laïcité, notre générosité à l’égard des arrivants sur le sol français, nous ont conduits à considérer qu’il n’y avait pas de culture française, mais des cultures en France, comme l’a dit le candidat Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle de 2017.
On dit que le président amorcerait un virage régalien. Aurait-il enfin compris que seule l’assimilation permet à un étranger de devenir Français et fier de l’être, que devenir Français ne signifie pas devenir chrétien et renier ses origines, mais républicain et laïc. Au-delà de la République, nos valeurs sont communes aux démocraties sécularisées et sont notamment inscrites dans la Convention européenne des droits de l’Homme. Ainsi, on peut immigrer en France, s’y installer durablement, continuer à aimer son pays d’origine, pratiquer la religion de son choix, parler la langue de ses origines (d’ailleurs, souvent, les immigrés qui excellent dans la pratique de leur langue d’origine sont excellents en français), à la seule condition d’accepter la primauté de la loi laïque, traduction juridique de grands principes et valeurs intangibles avec lesquels aucun compromis ne peut être accepté.
L’assimilation est la condition de base, le contrat fondateur de l’appartenance à une communauté nationale qui s’appelle France. Et donc elle est le premier pilier, l’arme de base de la lutte contre le séparatisme. Y aura-t-il un mot sur l’assimilation dans la loi contre le séparatisme ?
Certes, une disposition devrait conditionner l’attribution de subventions à la signature d’une charte de la laïcité, ce qui laisse entendre qu’une association non subventionnée pourrait s’affranchir de ladite laïcité. En revanche, un tel engagement devrait être exigé de tout nouvel arrivant sur le territoire français, qui serait ainsi parfaitement informé que sa violation serait sanctionnée par son expulsion.
L’intégration sans assimilation est un leurre. S’arc-bouter sur cette doctrine est aujourd’hui une supercherie. Elle conduit au communautarisme, lui-même antichambre du séparatisme, de l’islamisme, parfois du djihadisme.
L’intégration sans assimilation, c’est aussi la dictature des minorités. Une en particulier, devenue majorité dans de nombreuses zones urbaines.
Ceux qui, comme Éric Zemmour, stigmatisent l’islam parce qu’il serait une doctrine politique et seulement accessoirement une religion se trompent. Toute religion, en particulier les trois grandes religions monothéistes, est éminemment politique. Les « Tables de la loi » sur lesquelles furent, selon la mythologie, gravés les « Dix commandements » ne sont-elles pas un manifeste politique et juridique, une sorte de préambule à la Constitution qui régira d’abord le judaïsme, puis le christianisme et enfin l’islam ? Et l’islam n’était-il pas en voie de sécularisation factuelle, indépendamment des instances religieuses, avant la reprise en main par les fréristes et autres salafistes ? Aujourd’hui, ces idéologues, en France comme dans le monde arabo-musulman, sont engagés dans un combat théocratique, digne de l’inquisition.
Notre lâcheté collective nous a conduits à abandonner les Musulmans de France, avec pour effet qu’ils sont de plus en plus nombreux, et même majoritaires chez les jeunes, à succomber aux sirènes du fondamentalisme, du moins à l’idée qu’ils sont ostracisés et victimes « d’islamophobie », ce qui constitue le premier pas vers le séparatisme voulu par les idéologues de l’islamisme radical. Abandon des Musulmans de France, qui pourraient être les fers de lance d’un nouvel islam des lumières, abandon des Français qui assistent, impuissants, à la dilution des valeurs pour lesquelles leurs ancêtres se sont battus dans un multiculturalisme dévoyé, au point de dégénérer en soumission, parfois en complicité, comme à l’extrême gauche, écologistes inclus.
Monsieur le Président, si votre loi sur le séparatisme se contente de traiter la partie immergée de l’iceberg, comme on peut hélas le craindre, elle ne traduira qu’un nouveau renoncement à combattre l’intégrisme islamique. Un autre élément confirme ce renoncement : le refus obstiné et nuisible des statistiques ethniques, comme si elles devaient conduire à mentionner ses origines sur des documents d’identités ou documents administratifs. La véritable raison de cette obstination est de dissimuler aux Français la réalité chiffrée de la diversité et du multiculturalisme, comme si la France en avait honte et que ses dirigeants avaient peur d’une vérité pourtant éclatante. Les musulmans sont aussi des électeurs, que les partis ne veulent pas laisser à Jean-Luc Mélenchon. Le clientélisme est indissociable des joutes électorales. Si on laisse la majorité des musulmans sombrer dans l’obscurantisme ou le séparatisme, les compromissions clientélistes ne pourront que s’accroître, au risque de porter à la République et à la laïcité des coups qui pourraient être mortels.
Michel Taube