« La justice, c’est une chose trop grave pour la confier à des magistrats. » Cette maxime d’un lecteur attentif d’Opinion Internationale, habitué de la police judiciaire et prononcée il y a peu devant un parterre de grands magistrats et de policiers de haut rang, est évidemment inspirée de la célèbre phrase de Clémenceau.
Un ministre est rarement un expert du domaine qui lui est confié. Emmanuel Macron a certes nommé un juriste au ministère de la Justice, mais avec un profil très particulier : Éric Dupont-Moretti, qui de la justice connaît surtout la Cour d’assises, n’aura pas le temps d’entreprendre de grandes réformes. Tout ministre qu’il est, il est et restera avocat et exercera à nouveau ce métier quand il quittera la place Vendôme. Il soigne déjà sa future clientèle. L’insécurité ? Un fantasme nourri par la droite et l’extrême droite, se plaît-il à scander.
La première, et peut-être la seule réforme qu’Eric Dupond-Moretti espère faire adopter est celle de l’Ecole nationale de la magistrature (ENM). Peine perdue, plus encore que la réforme de l’ENA, quand on connaît le corporatisme qui soude une profession, les magistrats, qui oublient parfois que la Constitution désigne la justice comme une « institution » et non un « pouvoir ».
Pour se donner un espoir et abonder dans la provocation, notre nouveau Garde des Sceaux nomme un avocat à la tête de l’ENM, ce qui pourrait être le premier et dernier acte de sa réforme.
Lors du remaniement de juillet, Emmanuel Macron avait une opportunité de faire montre d’audace pour répondre à l’impérieuse nécessité de rétablir la crédibilité de la justice pénale. Il aurait pu nommer un grand policier à la Justice, quand bien-même les magistrats n’auraient pas davantage apprécié ce choix que celui de Dupond-Moretti. Mais les magistrats devront comprendre tôt ou tard qu’ils sont payés pour dire le droit et non pour le faire. Et encore moins pour faire de la politique dans les prétoires ou juger en fonction de leurs sentiments ou de leurs idées (ou de leur idéologie !). La République des juges, comme celles des médecins, des conseillers ou des administratifs, ce n’est pas ce dont la France et les Français ont besoin.
Avec cette maladie de voter des lois prévoyant des peines de plus en plus lourdes tout en s’assurant qu’elles ne seront pas exécutées, c’est bien plus que les statistiques de la délinquance qui s’affolent. C’est l’État de droit qui se disloque, car le droit pénal perd sa fonction originelle de prévention et de dissuasion. Dupond-Moretti ne fait qu’entériner le démantèlement de la chaîne pénale engagé par ses prédécesseurs.
À l’inverse, les policiers savent parfaitement que de très courtes peines systématiquement exécutées sont dissuasives si elles cumulent discipline carcérale rigoureuse (aujourd’hui, ce sont souvent les détenus qui font la loi) et actions de réinsertion, comme dans les pays nordiques. On pourrait peut-être même se passer de bâtir de nouvelles prisons ! Les policiers « pratiquent » les délinquants sur le terrain, au quotidien. Contrairement aux juges et aux avocats qui ne les voient que dans le contexte judiciaire théâtralisé, où chacun interprète un rôle de composition, ils connaissent leur état d’esprit, leurs motivations, leurs craintes. Ils savent pourquoi ils se moquent aujourd’hui de la justice pénale.
Pour faire le show, plus que pour entreprendre une réforme d’envergure à l’approche de la présidentielle, Emmanuel Macron s’est donc entiché d’Éric Dupond-Moretti. Mais en 2022, le président fraichement élu (sauf bien sûr si c’est un écolo gaucho, ou un gaucho écolo) devrait tenter ce pari.
Car l’idée d’un policier place Vendôme repose sur une idée autrement plus audacieuse et pourtant si pertinente au regard des réalités de terrain de la justice : pourquoi les juges ne seraient-ils pas aussi recrutés, non parmi les seuls avocats mais aussi parmi les policiers, surtout ceux qui ont rempli des missions de police judiciaire ? Une justice qui connaît mieux les justiciables qui ont maille à partir avec la justice, telle est une des clés d’une profonde rénovation de l’institution judiciaire.
En attendant, pour la place Vendôme, un Frédéric Péchenard, ancien Directeur général de la Police nationale et membre de LR, aurait le profil idéal pour ce poste. Ou une femme comme Martine Monteil ou Hélène Dupif.
Michel Taube