Selon le Secours populaire, la France n’a pas connu pareille précarité depuis la Seconde Guerre mondiale. Dans son quatorzième baromètre annuel de la pauvreté, il indique que durant le confinement, de mi mars à mi juin, 1.270.000 personnes l’ont sollicité, une première pour 45 % d’entre elles. À titre de comparaison, 3,3 millions de personnes avaient demandé une aide au Secours populaire durant toute l’année 2019.
Ces chiffres annoncent une explosion de la précarité qui risque de mettre plus que jamais la question sociale au cœur du débat sur notre avenir commun.
Certes, le bilan économique et social de la première vague de Covid-19 ne peut encore être établi. La sollicitation intensive d’associations caritatives pendant le confinement s’explique notamment par la fermeture de nombreux services publics durant ces mois si particuliers de mars à mai 2020. Merci l’Etat ! Mais la vraie facture sociale de la crise, c’est maintenant seulement qu’elle commence à être présentée aux Français.
Pauvreté, misère, mais aussi délinquance progressent à vue d’œil, notamment dans les centres-villes, n’en déplaise au garde des Sceaux.
Avant que le coronavirus ne vienne prospérer sous nos latitudes, on s’inquiétait que le confinement de plusieurs villes chinoises puisse impacter de quelques dixièmes de pour cent notre croissance économique repartie à la hausse, malgré les mouvements sociaux aussi récurrents et radicaux que les gilets jaunes ou la fronde contre la réforme des retraites.
Un virus et un confinement plus tard, on se retrouve en récession et même en dépression économique sévère, et l’on s’attend à ce que 800.000 chômeurs et peut-être bien plus viennent grossir les rangs des inscrits à Pôle Emploi. Les plans sociaux dans les grands groupes et les fermetures d’usine déjà devenues denrée rare dans une France largement désindustrialisée attirent l’attention des médias et commentateurs. Mais c’est surtout la faillite de dizaines de milliers de PME et de TPE qui pourrait plonger la France dans un marasme sans précédent.
Le mouvement est déjà amorcé, risquant de précipiter le décrochage durable d’une France à l’économie affaiblie, à la société fracturée, où se confrontent les égoïsmes, les corporatismes, les ethnies ou ethnicismes, les religions, les idéologies (plus que les idées), les intérêts… Misère, délinquance, déliquescence de l’autorité de l’État mais aussi jalousie, ressentiment et haine minent une France aussi dépressive que son économie.
Les Français étaient déjà l’un des peuples les plus pessimistes de la planète avant le déferlement de la Covid.
Plus sévèrement touchée par la première vague pandémique que la plupart des autres pays du monde, handicapée par une administration obèse, par une lourdeur de gouvernance et un mandarinat insupportables voire des règlements de comptes au sein du corps médical, la France a pourtant été sauvée du désastre social par l’ouverture des vannes budgétaires, avec la bénédiction de la Banque centrale européenne dirigée par Christine Lagarde. C’était à n’en point douter la bonne option, même s’il faudra longtemps en payer le prix, sous forme d’intérêts d’une dette de plus en plus abyssale (le principal ne devrait quant à lui jamais être payé). L’alternative eut été de laisser le marché faire son œuvre destructrice. Trois, quatre, cinq millions de chômeurs… ? Même les conséquences sanitaires auraient été pires qu’une vague de Covid sans confinement ! Et la France n’aurait alors pas échappé au chaos, à la crise politique, laquelle peut déboucher sur une insurrection dont un pays ne sort généralement pas renforcé et plus démocratique.
Comme Marseille il y a quelques jours, Paris et d’autres villes risquent de basculer prochainement dans un nouveau confinement partiel. Si les bars et restaurants ferment durablement, quand bien même cela se justifierait-il sur le plan sanitaire (le sujet est très polémique), ce serait non seulement un désastre pour des milliers de TPE et PME condamnées à disparaître, mais un pilier de la vie sociale qui s’effondrerait, plongeant ces villes dans une tristesse lugubre.
Et si, comme le subodorent de nombreux commentateurs, cette mesure n’était que le prélude au confinement partiel ou total, nous aurions peut-être les millions de chômeurs en plus de la dette. La dernière prestation du Premier ministre à l’Assemblée nationale n’est pas de nature à rassurer les Français. La sérénité et la constance ne semblent pas être les premières vertus du gouvernement Castex. Et Emmanuel Macron semble être passé à autre chose, aussi absent sur la Covid que sur le récent attentat islamique.
Pourtant, la France a toujours des atouts, non seulement pour s’en sortir, mais aussi pour tirer les leçons de ses échecs, et adapter son économie à ce monde d’après, qui ne semble pas être celui de l’après virus, mais au contraire, celui d’un virus durablement installé et avec lequel nous n’aurons d’autre choix que de vivre.
C’est la règle darwinienne qui s’applique en ces temps troublés : celui qui survivra n’est pas nécessairement le plus fort, mais celui qui saura s’adapter à son environnement en mutation. Lutter contre la pauvreté, la précarité, la misère, la délinquance voire l’effondrement qui peut en résulter, c’est évidemment respecter les gestes barrières comme porter le masque. Mais c’est aussi faire du télétravail et inventer une nouvelle organisation du travail, qui ne peut se baser sur le seul volontariat. C’est aussi favoriser toutes les innovations pour que la France puisse être leader au lieu de courir après les trains qu’elle a déjà ratés, en particulier lorsque ces innovations sont en phase avec les contraintes épidémiologiques à long terme.
Mais surtout, refonder la gouvernance sanitaire en faisant de la prévention le pilier de notre santé publique, libéraliser l’économie en mettant les chefs d’entreprise (et non la finance) au cœur du système, libérer les énergies créatrices (de la culture et des arts au monde associatif) et alléger les normes multiples et l’Etat, décentraliser le pays, toutes ces mesures, voilà le plan de relance sociétal qu’appelle la situation de crise systémique que nous vivons.
La relance économique, oui, mais la relance sociétale surtout !
Michel Taube