La chronique d'Anne Bassi
07H00 - jeudi 8 octobre 2020

Les rencontres littéraires d’Anne Bassi… Avec Emmanuelle de Boysson, auteure de « Je ne vis que pour toi » (Calmann-Lévy)

 

Retrouvez Anne Bassi dans le prochain Live Opinion Internationale jeudi 12 novembre 2020 de 19h à 20h30 sur Zoom.
Programme et inscription ici.

 

 

Valentine, jeune femme rêveuse, un brin naïve, fascinée par le milieu littéraire aspire à écrire. Elle vit en Bretagne jusqu’à sa rencontre avec Antoine, son futur mari, qui l’emmène à Paris et lui ouvre la porte des salons de l’époque. En ce début du XXe siècle, certaines figures féminines font scandale par leur liberté d’expression, de mœurs ou encore leurs amours saphiques revendiquées. D’abord choquée, Valentine est irrésistiblement attirée par l’une d’entre elle, l’Américaine Natalie Clifford-Barney, femme de lettres au caractère bien trempé. Malgré les préjugés de l’époque, la passion va emporter Valentine. Son amante est aussi un Pygmalion qui la pousse à écrire et à s’exprimer. Hélas pour Valentine, Natalie refuse de se laisser emprisonner dans une relation unique, souffle le chaud et le froid, et prend ses distances. De cette passion clandestine, Valentine sortira meurtrie, mais grandie.

Un livre bouleversant où l’on croise Marcel Proust, Colette, Liane de Pougy, Renée Vivien et surtout Nathalie Clifford-Barney. Ces femmes sont toutes fascinantes par leur charisme, leur talent et leur esprit de liberté. Emmanuelle de Boysson a réussi à faire revivre tous ces personnages avec beaucoup de poésie. Le lecteur est tenu en haleine du début à la fin du livre.

Anne Bassi rencontre Emmanuelle de Boysson dont nous avions déjà parlé dans une précédente chronique. Entretien.

 

 

Anne Bassi : Pourquoi avoir choisi la figure de Nathalie Clifford-Barney ?  

Emmanuelle de Boysson :  A l’origine, j’ai rencontré Caroline Lépée, éditrice chez Calmann-Lévy, grâce à l’auteur, Julien Sandrel, rencontré au salon, L’Ile aux Livres, de l’île de Ré. Nous avons parlé de la possibilité d’un essai à l’occasion du centenaire de la mort de Marcel Proust en 2022. Je lui ai proposé d’écrire un livre sur les salons à l’époque de Proust. Au cours de mes recherches, j’ai retrouvé les femmes que l’écrivain a fréquentées et me suis orientée vers les salons. Parmi eux, celui de Natalie Barney m’a semblé fascinant. Pensez donc : il a duré 60 ans. Celle que Rémy de Gourmont appelait l’Amazone a reçu tous les artistes et les écrivains de son temps : de Rodin, Rilke, Pierre Louÿs, Isadora Duncan, Cocteau et Morand à Scott et Zelda Fitzgerald, Truman Capote ou Sagan ! La vie de Natalie Barney m’a subjuguée par sa constellation d’amis, son désir de promouvoir la littérature des femmes et de donner une visibilité aux lesbiennes. Je me suis mise à lire « Chère Natalie Barney » de Jean Chalon, les écrits de Natalie, et sa correspondance avec Liane de Pougy, récemment publiée chez Gallimard. Natalie Clifford-Barney a vécu jusqu’en 1972, ce qui n’est pas si loin de nous. J’ai rencontré Jean Chalon qui la voyait rue Jacob tous les mercredis pendant 9 ans ! Il m’a même offert le peignoir chinois de Natalie, celui qu’elle portait le soir où Marcel Proust est venu chez elle ! Peu à peu, elle est devenue le personnage principal de mon roman ! 

 

 « Avec le personnage de Natalie, j’ai voulu donner de la visibilité aux femmes de cette époque » 

 

Quel regard portez-vous sur la société littéraire de cette époque ?  

Les femmes tenaient des salons et ont contribué à faire connaître les artistes de leur temps. C’était un monde raffiné où l’amitié, la galanterie, l’humour et une certaine modestie permettaient de se faire accepter. Relisez à ce sujet « La Recherche » de Proust : on y voit de tout, des Verdurin, des Guermantes et ce cher Robert de Montesquiou dont je parle dans mon roman, parmi tant d’autres. Ces gens ne travaillaient pas et se consacraient à l’art. Les salons de Proust étaient des lieux de divertissement, avant tout. Les femmes de l’époque, surtout dans la société aristocratique, étaient mal mariées, elles avaient des amants mais surtout des maîtresses : en effet, les femmes se réconfortaient et s’entraidaient alors que les hommes s’avéraient souvent violents (souvenez-vous ce que j’ai écrit sur Elisabeth de Gramont). Elles se réunissaient : les fêtes de Natalie Barney étaient très gaies ! Natalie voulait créer une académie de femmes (c’est vrai qu’elle défendait les lesbiennes, pour elle, les hommes étaient des ennemis !). Mais les plus douées, comme Colette, la poétesse Renée Vivien ou la peintre Romaine Brooks se sont imposées et resteront dans la postérité. Ce qui compte, c’est le talent ! 

 

Avez-vous déjà écrit des livres où vous mélangez fiction et réalité ?   

Tout à fait. Dans ma trilogie, Le temps des femmes,je raconte la vie de trois artistes de fiction. Une romancière dans Le salon d’Emilie, une comédienne dans La revanche de Blanche, et une peintre dansOubliez Marquise. Bizarrement, je m’aperçois que mes romans et mes essais portent souvent sur les femmes, leur psychologie, leur difficulté à s’émanciper. Depuis Le Secret de ma mère, Les Grandes bourgeoises, Les Nouvelles provinciales, jusqu’aux Années solex, je cherche sans doute à comprendre le mystère des femmes, pas seulement leur quête de liberté, mais leur besoin de secret, leurs failles, leurs blessures. Comme Zweig, j’aime les personnages fragiles, sur le fil. Dans Je ne vis que pour toi, j’ai aimé créer Valentine : elle est naïve, elle croit en l’amour et tout bascule, elle est la proie d’une passion destructrice… J’ai aimé sonder la jalousie, le drame du triangle amoureux, tout ce qui est romanesque ! Je vis avec mes personnages ! Mon évasion, mon besoin vital ! Et j’invente… par exemple, des lettres, des dialogues, des visites dans les bordels du vieux Paris… Je m’amuse, je prends des risques (celui de révéler des choses de ma vie à travers mes personnages, de choquer) mais je reste vigilante : je corrige beaucoup mon texte ! J’ai adoré les conseils de mes éditrices : Lisa Liautaud et Cécile Rivière. Et je les remercie pour tout ! 

Propos recueillis par Anne Bassi

 

Biographie

Emmanuelle de Boysson, journaliste indépendante, est l’auteure d’une vingtaine de livres à succès, cofondatrice du Prix la Closerie des Lilas et membre de plusieurs jurys littéraires. 

Très récemment, sous l’impulsion de la Fondation Daniel Lagolnitzer et de l’Association Le Pari(s) littéraire, Tristane Banon, Alessandra Fra et Emmanuelle de Boysson ont décidé de créer en hommage à Marcel Proust la première édition du Prix Le Temps Retrouvé, qui sera remis au Ritz le 14 décembre prochain. Marcel Proust en effet aimait recevoir au Ritz. Ce prix aura vocation à récompenser un roman aux qualités littéraires indiscutables.

 

 

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Présidente de Sachinka, chroniqueuse littéraire

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