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La Rédaction
Depuis maintenant deux semaines, l’Azerbaïdjan mène une guerre d’agression à l’encontre de mon pays, le Haut-Karabagh constitué en République d’Artsakh. Figés dans des conceptions héritées de l’URSS comme dans un légalisme sans rapport avec la réalité, la plupart des commentateurs et experts méconnaissant largement les tenants et les aboutissants de ce conflit ainsi que ses racines profondes, se réfugient dans une prudente neutralité qui constitue en quelque sorte une prime à l’agression. De cette méconnaissance découle une curieuse sémantique qui qualifie de « séparatistes » les autochtones arméniens qui ont toujours vécus sur ces terres ou de « zone de conflit » un pays peuplé d’habitants qui n’a absolument pas plus qu’un autre cette vocation à être attaqué et bombardé. On a même lu des articles s’offusquer que des bases militaires azerbaïdjanaises aient pu être la cible de mesures de rétorsion karabaghiotes au motif que ces bases n’étaient pas dans la « zone de conflit » comme si les Karabaghiotes devaient patiemment et passivement acquiescer à leur propre mise à mort.
Il convient donc peut-être de rappeler quelques faits et surtout quelques principes juridiques qui, au fond, ne concourent qu’à un seul et unique objectif, celui du droit à la vie, à la liberté et à la sûreté justement rappelé par l’article trois de la déclaration universelle des Droits de l’Homme.
Mon pays, le Haut-Karabagh n’est pas une « zone de guerre ». C’est un pays montagneux grand comme une fois et demi le Luxembourg, où vivent 150 000 habitants et qui, constituant le contrefort oriental du plateau arménien, a de tout temps été peuplé d’Arméniens. Comme toute la région du Sud-Caucase, le Karabagh faisait partie de l’Empire russe au début du 20ème siècle sans que celui-ci n’ait jamais pris la peine de définir des frontières nationales entre les Arméniens, les Azerbaïdjanais qu’on appelait alors les Tatars et les Géorgiens. Sans entrer dans les détails, ces trois entités nationales déclarèrent leur indépendance en 1918 à la faveur de la Révolution bolchevique russe et de la fin de la première guerre mondiale. En 1920, la Société des Nations s’apprêtait à admettre l’Arménie avec en son sein le Karabagh et à refuser la candidature de l’Azerbaïdjan au motif que ses frontières occidentales étaient mal définies. Quoi qu’il en soit, le retour de l’Armée rouge et la soviétisation des trois pays en 1920 laissèrent sans suite ces admissions.
C’est le parti communiste et Staline, alors commissaire aux nationalités, qui décrétèrent en juillet 1921 l’attachement administratif du Haut-Karabagh à la République Socialiste Soviétique d’Azerbaïdjan. Une commission est alors constituée d’Azerbaïdjanais et de Soviétiques pour délimiter des frontières ne correspondant à aucune réalité historique ou nationale mais qui détachent artificiellement la Région Autonome du Haut-Karabagh de la République Socialiste Soviétique d’Arménie voisine. Par ces frontières, Staline entendait séduire sur le dos de mon peuple, la Turquie kémaliste dans l’objectif de son éventuelle intégration à l’Empire soviétique. Quiconque veut se rendre compte de la continuité nationale et territoriale du Haut-Karabagh avec l’Arménie n’a qu’à prendre une carte topographique et suivre les courbes de niveau qui montrent le caractère parfaitement irréel de cette délimitation. Cet ukase n’a jamais été admis par les Karabaghiotes, et d’autant moins que leur attachement administratif à une entité étatique hostile s’est traduit par une politique de discrimination raciale à leur encontre et de sous-développement délibéré de leur pays de façon à provoquer leur exil. Ayant toujours contesté cette injustice, les Karabaghiotes demandèrent leur rattachement à l’Arménie par un vote de leur parlement régional en 1988. Ce vote fut invalidé par le Parti communiste d’URSS. Face aux pogroms anti-arméniens par lesquels l’Azerbaïdjan répondit à ces aspirations démocratiques (dans la ville de Soumgaït en 1988, à Kirovabad en 1990, dans la capitale Bakou en 1990), une guerre d’indépendance s’est alors enclenchée par laquelle le Haut-Karabagh a gagné sa liberté. Parallèlement, sur le plan du droit, la déclaration d’indépendance de l’Azerbaïdjan vis-à-vis de l’URSS (30 août 1991) libéra le Haut-Karabagh de toute obligation juridique vis-à-vis de cet Etat indépendant. C’est en pleine conformité avec le droit soviétique alors en vigueur que le Haut-Karabagh déclara donc son indépendance de l’URSS également (2 septembre 1991), et ipso facto de l’Azerbaïdjan auquel il avait été artificiellement attaché. Un référendum organisé au Haut-Karabagh, en décembre 1991 a confirmé sans ambiguïté la volonté de la population karabaghiote de se détacher de l’Azerbaïdjan. S’accrocher à l’idée que le Haut-Karabagh fait légalement partie de l’Azerbaïdjan revient donc à commettre une triple erreur : erreur morale tout d’abord au regard de l’injustice subie par une nation qui n’a jamais voulu ni accepté de faire partie de l’Azerbaïdjan ; erreur juridique puisque l’indépendance proclamée vis-à-vis de l’URSS est totalement conforme aux règles de droit ; erreur politique enfin puisque elle procède de l’idée que le Haut-Karabagh a fait partie de l’Azerbaïdjan indépendant ce qui n’a jamais été le cas, ni avant l’Union soviétique, ni après.
Par ailleurs, le régime azerbaïdjanais a déclaré – et à de multiples reprises – être l’ennemi « des Arméniens du monde entier ». Ce ne sont pas que des mots. Depuis trois décennies, c’est une véritable éducation à la haine que le pouvoir de Bakou distille dans la tête des enfants à l’école et des citoyens de ce pays. En 2004, lors d’exercices conjoints de l’OTAN à Budapest, un officier azerbaïdjanais ainsi endoctriné a décapité à la hache un collègue arménien durant son sommeil. Cet officier emprisonné par la Hongrie puis extradé en Azerbaïdjan a été décoré, promu militairement et récompensé financièrement par le président azerbaidjanais Ilham Aliev lui-même. Ce même président qui au début de la récente agression a évoqué les habitants du Karabagh en déclarant « nous allons chasser ces chiens et les noyer dans leur sang ».
Dans ces conditions, l’Etat azerbaïdjanais a définitivement perdu le droit moral de considérer les habitants de l’Artsakh comme ses citoyens. Le droit international prévoit en effet ce qu’on appelle une sécession-remède en cas de violations graves des droits fondamentaux d’une population par un Etat censé l’administrer. La sécession-remède constitue le cœur de l’argumentation qui a par exemple conduit la communauté internationale à reconnaître l’indépendance du Kosovo. Aujourd’hui, l’Azerbaïdjan bombarde de manière indiscriminée les populations civiles d’Artsakh, assassine des civils lors d’incursions militaires comme dans la ville de Hadrout il y a quelques jours où une femme et son fils handicapé ont été tués par un commando professionnel, et emploie des djihadistes sanguinaires dont on sait parfaitement le sort qu’ils réserveront aux Arméniens chrétiens s’ils parvenaient à leurs fins.
Vu les exactions commises par le régime Bakou, la communauté internationale serait donc parfaitement fondée à reconnaître de jure l’indépendance de facto de la République d’Artsakh. Elle y est non seulement fondée mais elle y même tenue : depuis 2005, l’ONU a entériné le concept de « responsabilité de protéger » dès lors qu’un Etat est manifestement défaillant à protéger sa population, par exemple de crimes de génocide, de crimes contre l’humanité, de nettoyage ethnique ou de crimes de guerre. Cette responsabilité de protéger a constitué le fondement des interventions occidentales en Lybie et en Syrie. Elle devrait constituer le même fondement pour la mise en place de toute une série de sanctions contre l’Azerbaïdjan et d’une reconnaissance de la République d’Artsakh, reconnaissance qui vaudrait protection et qui semble aujourd’hui le seul moyen de réfréner la rage éradicatrice du régime de Bakou.
On le voit, le droit international ne consiste pas en l’application impavide et servile de règles abstraites, surtout quand ces règles sont manifestement obsolètes ou inadaptées. Nous ne devons pas faire de ce droit une religion et de ses textes des Tables de Loi bibliques. Le droit international est une invention humaine qui – comme les sciences et techniques – doit servir l’homme en fournissant le cadre civilisationnel des relations sociales ou internationales. Dans le conflit qui oppose l’Azerbaïdjan et le Haut-Karabagh, mettre sur un pied d’égalité « l’intégrité territoriale » et le « droit des peuples à l’autodétermination » sans prendre en compte la réalité de ce qui est en jeu engendre un conflit des plus meurtriers. C’est une vision mortifère et d’ailleurs faussée du droit international et de la philosophie politique qui le sous-tend. En un mot le droit doit servir l’homme et protéger la vie ; non pas le contraire.
Hovhannès Guevorkian
Représentant du Haut-Karabagh en France
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