Nous y revoilà et Emmanuel Maron l’a annoncé hier soir devant 23 millions de Français inquiets : le couvre-feu de 21h à 6h du matin, c’est un confinement nocturne qui s’attaque à la vie festive, même s’il n’empêchera pas les réunions privées et les fêtards de dormir sur le lieu de leur « forfait ». Et s’ils passaient outre, seraient-ils sanctionnés ? Pas partout en tout cas. Il suffit d’emprunter le métro parisien pour constater que dans le nord-est de la capitale et en banlieues adjacentes, c’est parmi les jeunes issus des « quartiers » que se comptent le plus de réfractaires au port du masque, parfois avec fierté et provocation, si bien que personne n’ose piper mot, pas même la police ou les agents de la RATP, qui brillent par leur absence. Personne n’ira faire appliquer le couvre-feu là où la police tremble devant des sauvageons qui y ont pris le pouvoir, un terme finalement bien modéré pour désigner des délinquants, fussent-ils mineurs, et parfois des criminels.
Résultat d’ailleurs : la Seine-Saint-Denis enregistre déjà les taux les plus élevés d’admission en réanimation Covid.
Après les bars déjà fermés dans les zones les plus infestées par le coronavirus, de nombreux restaurants, théâtres ou cinémas ne survivront pas au couvre-feu nocturne, malgré les aides publiques. Morts pour la France donc ! Mais la guerre, puisque c’est ainsi que le chef de l’État (et chef des armées) avait présenté notre confrontation avec le virus en début d’épidémie, sera-t-elle pour autant gagnée ? Ces restaurateurs ne sont-ils pas la première vague de fantassins envoyés sur la ligne de front, les premiers sacrifiés en attendant un confinement généralisé lorsque les services de réanimation seront saturés et que les malades du Covid (et les autres) ne seront plus pris en charge ?
Aurait-on pu faire autrement ? Certainement. C’est aussi ce qui se dit en Allemagne, en Irlande, en Espagne, au Portugal, en Belgique ou même aux Pays-Bas, pays dont on louait encore hier la stoïcité face au virus et son refus d’imposer des mesures contraignantes à la population. Dans ces pays et dans d’autres hors d’Europe, le couvre-feu est une des réponses, certes très partielle, à la résurgence de la pandémie, du moins dans les zones les plus impactées. Outre-Rhin, avec quatre fois moins de nouveaux contaminés par jour, cinq fois plus de lits de réanimation disponibles et un traçage des cas contacts autrement plus efficace qu’en France, on a dû se résoudre au couvre-feu, pour le moment localisé (notamment Berlin et Francfort). Ils sont donc fous, ces Allemands ?
Il est bien évident que toute corporation subissant des restrictions, que ce soit pour cause de crise sanitaire ou pour tout autre motif, crie au loup et à l’injustice, en particulier dans le pays le plus corporatiste de la planète. Il est également vrai que de nombreux restaurateurs, et pas seulement une poignée de brebis galeuses, n’ont pas respecté les règles de distanciation physique, de port du masque pour les serveurs et les clients se déplaçant dans l’établissement, sans parler du récent cahier de contacts. Mais ces règles n’ont souvent pas été respectées (et ne le sont toujours pas) dans bien des selfs du personnel, notamment d’établissements publics, et même d’hôpitaux.
Si la crise de l’autorité n’était pas si profonde, si l’État était encore capable de faire appliquer ses lois, en l’occurrence un strict protocole sanitaire, alors on aurait peut-être pu éviter de sacrifier la vie nocturne et de nombreuses entreprises qui en dépendent.
Oui, on aurait pu faire autrement. Tester, alerter, protéger. Voilà le nouveau triptyque annoncé par le Président de la République. Nouveau ? C’est en gros celui préconisé par l’OMS depuis le début de la pandémie. Sauf que la France a échoué plus que d’autres dans sa mise en place. Mise en place tardive des cahiers de contact dans les restaurants, application StopCovid inefficiente (mais pourquoi s’entêter à ne pas se baser sur ce qui est désormais intégré à tous les smartphones ?)
Le bon sens, plusieurs fois évoqué par Emmanuel Macron, eut même commandé l’isolement préventif des personnes à risque. Protéger avant même de tester ou d’alerter, en somme. Certes, cela n’aurait pas manqué de provoquer d’autres révoltes : « vous en avez après les vieux (pardon, les seniors), les gros (pardon, les personnes en surpoids), les asthmatiques, les hypertendus… ! »).
La France n’a jamais brillé par son sens de la prévention, alors que le candidat à la présidence Emmanuel Macron voulait en faire son axe sanitaire prioritaire. À un certain degré, ce défaut de prévention peut engager la responsabilité pénale des gouvernants. À la suite des plaintes déposées contre plusieurs membres du gouvernement, des perquisitions ont été effectuées ce matin même aux domiciles d’Édouard Philippe, Olivier Véran, Agnès Buzyn, Sibeth Ndiaye, ainsi qu’à celui de Jérôme Salomon, le moment choisi par le magistrat instructeur n’étant peut-être par un pur hasard. S’il est peu probable que la Cour de justice de la République les condamne à l’issue de la procédure, envoyer les soignants au front sans équipement et raconter au Français qu’ils pouvaient s’entasser dans les métros et bus sans protéger leurs voies respiratoires, même avec les moyens du bord, est a minima l’inverse de la prévention !
Emmanuel Macron nous a indiqué qu’il nous faudra vivre avec le virus au moins jusqu’à l’été prochain. Mais il est vraisemblable que la campagne des présidentielles 2022 se déroule sous l’emprise du Covid. De la gestion de la crise par Emmanuel Macron et son gouvernement peut en dépendre l’issue, comme le mois prochain aux États-Unis. À moins que les juges aient déjà fait leur choix !
Michel Taube
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