L’auteur de ces lignes ne mâche pas ses mots pour critiquer la politique sanitaire du président de la République, de ses gouvernements successifs et surtout de l’administration sanitaire. Mais les perquisitions intervenues dans les bureaux et aux domiciles d’Olivier Véran, Édouard Philippe, Agnès Buzyn et Sibeth Ndiaye, ainsi que dans ceux du directeur général de la Santé Jérôme Salomon et la directrice générale de Santé Publique France, Geneviève Chêne, sonnent comme une déclaration de guerre de la justice au pouvoir politique.
Deux initiatives sont à l’origine de ces perquisitions : une information judiciaire ouverte le 7 juillet pour « abstention de combattre un sinistre », instruite par la commission d’instruction de la Cour de justice de la République (CJR), seule habilitée à juger les membres du gouvernement, et plusieurs plaintes déposées entre les mains du procureur de la République de Paris, à l’encontre de hauts fonctionnaires en charge de la gestion de la crise sanitaire.
Nous expliquions, dans un article du 2 avril dernier, pourquoi ces plaintes ont peu de chances d’aboutir à une condamnation des personnes mises en cause, l’une des raisons étant que la CJR est composée majoritairement de parlementaires (douze, avec une surreprésentation de LREM et LR) et seulement trois magistrats de la Cour de cassation. Quand bien même la couleur politique des juges issus du parlement évoluerait-elle, il est probable que la classe politique fera comprendre aux magistrats qu’ils n’ont pas l’exclusivité du corporatisme !
Certains griefs des plaignants, notamment le collectif de médecins C19, sont plus politiques que juridiques, comme l’incohérence des mesures gouvernementales ou l’absence de mise en pratique des recommandations de l’OMS, dont ils oublient qu’elle avait, elle aussi, contesté l’utilité du port généralisé du masque, message que voulait entendre les États, commanditaires et financeurs de l’organisation onusienne, face à une pénurie de masques quasi planétaire. Même Jean Castex est également l’objet de plaintes devant la CJR, au motif qu’il « naviguerait à vue », argument absurde et même ridicule sur le plan juridique.
Quant aux plaintes pour mise en danger de la vie d’autrui ou pour homicide involontaire, elles ne pourraient aboutir que s’il était prouvé qu’informé par le Conseil scientifique (et lui, il n’aurait pas menti ?) de l’absolue nécessité de se protéger les voies respiratoires dans les lieux clos, les responsables publics avaient sciemment élaboré la stratégie du mensonge d’État, exposant des millions de personnes au risque de contamination, notamment dans les transports en commun, mais aussi sur leur lieu de travail.
De toutes les démarches judiciaires engagées à l’occasion de la crise du Covid, c’est peut-être celle des soignants qui a le plus de chance de prospérer, même s’ils pouvaient avoir conscience que face à une pénurie d’équipements qui toucha même des pays aussi riches et prévoyants que la Suisse (où la même polémique a fait rage), le système D et les moyens du bord permettaient de se protéger tant bien que mal. Ce fut parfois fait, avec des sacs poubelles en guise de blouse, un ersatz certes peu glorieux pour la 6ème puissance économique du monde, et son système de santé prétendument exemplaire.
Ces éléments d’analyse conduisent à penser que diligenter des perquisitions aussi théâtralisées et intervenant surtout à un tournant politique crucial dans la gestion de la crise du coronavirus apparaît plus comme un coup politique de la justice qu’un acte de procédure pénal anodin.
Rappelons que la Commission d’instruction, qui a diligenté les perquisitions, n’est composée que de trois magistrats de la Cour de cassation, et non de parlementaires. Les avocats des plaignants ont voulu voir dans la célérité de la CJR la preuve de son indépendance. Les parlementaires qui jugeront les ministres à l’issue de l’instruction, et qui les exonéreront vraisemblablement de toute responsabilité pénale, ne peuvent que s’en féliciter. Cela ne signifie toutefois pas que le gouvernement, voire le président de la République, sortiront politiquement indemnes de ces procès, en particulier s’ils mettent en lumière l’incurie des pouvoirs publics. C’est l’électeur qui en jugera, et non la justice, dont l’inhabituelle célérité n’avait pas été sans effet sur l’issue de la présidentielle de 2017.
Michel Taube
Inscrivez-vous dès maintenant au prochain Live Opinion Internationale jeudi 12 novembre 2020 de 19h à 20h30 sur Zoom. Programme et inscription ici.