Monsieur le ministre, à deux jours de l’élection présidentielle du 18 octobre, quel bilan le président Alpha Condé peut-il présenter après deux mandats au pouvoir ?
Après dix années d’exercice du pouvoir, le premier élément de satisfaction, c’est le constat que le président Alpha Condé ait pu sauvegarder les acquis démocratiques issus de l’alternance démocratique de 2010. Celle qui a mis fin à la transition militaire entre 2008- 2010. Cette alternance est intervenue après un demi-siècle partagé entre vingt six années de parti unique, vingt quatre années de présidence militaire et deux années de transition militaire.
Aujourd’hui, le pays vit à l’ère du pluralisme politique, avec une centaine de partis politiques enregistrés. Le pluralisme syndical et médiatique, l’opinion s’exprime dans sa diversité, avec des radios et télévisions privées qui exercent un droit de critique sans équivalent dans la région. Une assemblée nationale représentant la diversité du pays vote les lois. Aucun homme politique n’est privé de ses droits civiques, ne connaît la prison ou n’est contraint à l’exil pour ses idées. Les élections ont lieu depuis 2010 dans un cadre concurrentiel et pluriel. La démocratie est une idée neuve en Guinée.
Sur le plan économique, à l’actif du président, on peut mettre le rétablissement des grands équilibres macro-économiques qui a permis de renouer avec le FMI et la Banque mondiale avec l’accès en septembre 2012 à l’Initiative Pays pauvres très endettés (PPTE). En 2010 les indicateurs étaient au rouge, la Banque centrale ne disposait même pas de trois mois de réserve de change pour couvrir les importations. Plus de 21% de taux d’inflation, 14% de déficit budgétaire, un taux de croissance économique autour de 3%. Aujourd’hui, même en temps de ralentissement de l’activité économique dû au coronavirus, le pays connaît un taux de croissance économique de 6%, une inflation de moins de 10%, le déficit budgétaire ramené à 2% du Pib. Un soutien au monde agricole et aux collectivités locales qui bénéficient de 15% des recettes minières, soit 700 milliards de francs guinéens. 70 millions de dollars sont mobilisés pour l’inclusion économique et sociale et des fonds importants réunis pour l’autonomisation des jeunes et femmes. Un accord cadre pour les infrastructures routières et voieries de 20 milliards de dollars est en œuvre. En 2010, la capacité énergétique du pays était de 100 mgw, celle-ci a été multipliée par trois par la construction du barrage de Kaleta (240 mgw) Souapiti (450 mgw) et le lancement d’Amaria (300 mgw).
N’abondez-vous pas en optimisme démocratique excessif ? Le changement de Constitution en mars dernier, contesté par l’opposition politique – et une partie de la communauté internationale – en Guinée, vous semble-t-il relever d’un processus démocratique incontestable ?
Vous savez, le plus important c’est de rester dans le cadre de la loi. Avant cette nouvelle Constitution, le pays avait connu quatre lois fondamentales. La dernière, celle de 2010 a non seulement été adoptée en 2010 par une Assemblée nationale de transition composée de membres non élus, mais n’a pas été soumise au référendum. Il fallait « réparer » cette injustice et moderniser les institutions en apportant de nouveaux droits adaptés au monde moderne.
L’initiative référendaire fait partie des prérogatives constitutionnelles du président qui a d’abord consulté l’ensemble des forces vives, les partis politiques, corporations, la société civile, avant de soumettre le texte à la volonté populaire. Une partie de l’opposition s’y était opposée et a organisé des manifestations violentes de rue, alors qu’elle pouvait s’opposer au projet dans les urnes. Le projet a été adopté par référendum. Force revient donc à la loi.
La Guinée s’est dotée d’une nouvelle Constitution qui élargit les libertés, supprime la peine de mort et interdit les mutilations génitales féminines, instaure la parité hommes et femmes.
Au nom de quoi, une communauté internationale peut-elle s’opposer à une réforme constitutionnelle dans un Etat souverain, lorsqu’elle ferme les yeux sur les réformes de même nature dans d’autres pays. Cette diplomatie à géométrie variable, pose parfois des problèmes…
Comment l’opposant historique, le professeur Alpha Condé, qui pendant 45 ans a vilipendé les dirigeants autoritaires de l’époque, peut-il se présenter aujourd’hui pour un troisième mandat, sans même entendre la contestation du peuple Guinéen ?
Il faut être équilibré. La Guinée est une démocratie dans laquelle les opinions s’expriment dans leur diversité ; il y a des citoyens qui étaient hostiles au projet de Constitution et de nouveau mandat du président, d’autres favorables et le peuple a tranché en faveur du président. C’est le plus important. Le nouveau mandat n’est pas antinomique avec l’idéal d’une bonne gouvernance, c’est le peuple qui juge.
Craignez-vous à ce titre des violences pendant et après les élections ?
Si chacun respecte les règles du jeu, il ne peut y avoir de place pour la violence, celle-ci naît souvent de surenchère entretenue par des forces politiques qui se sentent battues d’avance. Après tout, dans chaque élection il y a forcément un vainqueur, c’est la règle du jeu. L’élection est organisée et supervisée par une Commission électorale nationale indépendante composée sur une base paritaire entre la majorité et l’opposition, les décisions sont collégiales.
Le fichier électoral contesté en mars dernier, semble aujourd’hui avoir été validé par la CEDEAO et d’autres instances internationales. Que cela vous inspire-t-il et comment expliquer pareil revirement ?
Il ne s’agit pas d’un revirement, mais de l’achèvement d’un travail. Avant le vote législatif et référendaire mars 2020, la Cedeao avait souhaité le gel d’un certain nombre de listes d’électeurs pour permettre à la Ceni de revoir le fichier après la révision exceptionnelle et un nouveau toilettage. Ensuite, la Cedeao est revenue pour réaliser le travail fait et a conclu à sa fiabilité. C’est logique.
Peut-on faire confiance à la Céni ?
Oui , parce qu’elle est paritaire, souveraine et a travaillé en toute transparence pour supprimer toutes les aspérités qui concernent le fichier électoral.
Certains observateurs craignent que les élections présidentielles du 18 octobre soient entachées de violence, pré et post électorales. Que leur répondez-vous ?
Le chantage à la violence ne peut être une stratégie électorale, lorsque l’élection est inclusive, en Guinée, aucun candidat n’a été écarté de la course à la présidence. Le principal leader de l’opposition avait préconisé le boycott du scrutin avant de déposer sa candidature, la veille de la clôture des candidatures. Aujourd’hui, le même affirme vouloir s’opposer à des résultats s’ils lui sont défavorables, c’est contradictoire.
Donnez-nous les grandes mesures emblématiques, suivies d’effets, des deux mandats passés d’Alpha Condé ?
La suppression de l’impôt de capitation, l’établissement de l’unicité de caisse qui permet de domicilier tous les comptes de l’Etat au Trésor public.
Comment qualifieriez-vous les relations de votre pays avec la France ? Le président Alpha Condé semble privilégier aujourd’hui un axe Russie-Chine-Turquie au détriment de la relation historique avec la France et d’autres partenaires occidentaux. Qu’en pensez-vous ?
Le président Alpha Condé est un souverainiste qui n’a pas de partenaire exclusif, il veut comme il le dit, entretenir des rapports majeurs avec les autres Etats du monde, défendre les intérêts de son pays. La France est un pays ami et partenaire.
Que pensez-vous de l’opposition dans son ensemble et des douze candidats, en particulier, celui qui s’affirme comme son leader, Cellou Dalein Diallo ?
Tous les candidats méritent le respect, c’est la base de la démocratie. Le principal leader de l’opposition, Cellou Dalein Diallo, représente un courant politique dans le pays. Dans l’Assemblée nationale sortante, il avait 37 députés sur 114, il faut en tenir compte.
Enfin, y-a-t-il une priorité de réforme tout particulièrement dirigée vers les jeunes et les femmes ?
Le thème de campagne du président Alpha Condé, c’est la Prospérité partagée. Il veut améliorer les conditions de vie de ses compatriotes, notamment les jeunes et les femmes.
Propos recueillis par Michel Taube
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