L’avant-dernier mois de l’année traîne derrière lui la moins enviable des réputations. Cela commence par son nom, « novembre », le seul des douze du calendrier dont la première lettre soit un « n ». N comme « négatif ». Ou pire, « n » pour « néant ». C’est un peu ce qu’entendaient les Romains en le qualifiant de « nouveau » -hors du calendrier décadaire-, les Japonais se bornant à le disqualifier en « mois du givre ». Discrédit qui se confirma le temps passant par son déroulement immuable, son agenda morbide, la sensation de froid qu’il suscite en nous, cet alanguissement qui malgré nous, nous gagne : passée la Toussaint -la célébration de tous les saints de l’Eglise, avec nombre de ses martyrs poignardés, rôtis, éviscérés- lui succède le jour des morts, le 2 novembre : la « grande fête des cimetières », la courte visite à nos proches abandonnés 364 jours l’an et fêtés un seul… Saint Chrysanthème ! Puis vient le 11 novembre, et l’armistice de 1918. Rethondes dont chacun sait qu’elle ne fut qu’une clairière, une pause, un « arrêt sur images », davantage issue de l’épuisement des deux coalitions – grippe espagnole, soldats morts et mutilés par millions, victimes civiles, directes et collatérales du conflit, manque criant d’aliments sains et marché noir, production en berne, finances en rouge carmin, révolutions pour certains et monde désaxé pour tous – oui, davantage une trêve qu’une paix véritable, en un mot l’épisode le plus « trash » de la série 1870-1945. Pour dire les choses simplement, une période d’ « absolue folie », un suicide européen qui fit rouler à terre des générations entières, à en transformer le Rhin en fosse commune, la plus peuplée du monde. Et l’Europe en future clinique et future EPHAD qui s’ignore.
Comme si cela ne suffisait pas, le onzième mois constitue une cassure climatique : le froid s’installe, s’impose en écrasant le bel, le doux automne qui agonise. Proust l’avait relevé, après Ronsard et d’autres, tel le Basque Jean de Sponde. Septembre octobre demeurent deux mois charmants, avec leurs puissantes frondaisons surplombant des pelouses encore ensoleillées d’une lumière devenue discrète, les feuilles des bosquets arborant la couleur du tendre abricot, du jaune d’or ou des pois rouges, le vert un peu dur des conifères s’imposant quand s’envolent les feuilles recuites des marronniers, des hêtres, des platanes, dans un dernier tourbillon de danse… toutes les nuances de la légèreté, de la délicatesse.
Les feuilles ? Elles se ramassent à la pelle. Et nous avec. A la ramasse ! Novembre est un mois dur. Quelles causes ? La liste est longue et, pour couronner le tout, des convives non invités, les deux squatters mal rasés devenus stars de l’année : terroristes barbares et Covid arrivés d’ailleurs, ou de très près. Et comme ça ne suffit pas, on y ajoutera le plus mauvais goût : américaineries pour parking de supermarchés de banlieue, soldes clandestines sur trottoirs : « take and carry », Halloween à toutes heures, sorcières sorties du caniveau ou boudant le cours de SVT, potirons aux senteurs de gaz de schiste, masques transgenres, élections transatlantiques si peu fiables… mais encore, sortie des manteaux, imperméables d’espion –et sans même le fin sourire écossais de Sean Connery, immortel 007 – tout le monde en gris, en sombre, en noir … « Plus un sein, plus une fesse dehors », aurait gloussé Arletty. Et, au reste, trop occupés, nos braves concitoyens, à remplir frigos, attestations, fiches pour ceci cela, école lycée Trésor Public, bons de sortie signés par papa maman, et autres « zones à renseigner » sur écrans plats… Arrêtons là !
Novembre, c’est le mois de la mort. Sauf si …
Sauf si on rappelle deux trois chemins de résistance. Nous sommes en vingt. 2020 : années 20 ? Années folles ! Alors, la vie, vite, maintenant ! La paix loin de la guerre !…Danse et bains de mer. Relisons décidément Irène Némirovsky ! L’océan et Biarritz, années folles. Oui, soyons fous, et commençons par la fin.
La mesure la plus délirante qu’ait prise notre gouvernement à chaque confinement, épisodes 1 et 2 -en attendant le troisième déjà programmé par Mickey Picsou pour février – un gouvernement qui, pourtant, se sera surpassé en blablateries quotidiennes, mesures et contre-mesures, ordres contre-ordres, démissions, contradictions, vulgarités et indécences, sang-froid à la Véran Olivier pour ne pas dire plus… ce sont les dispositions frappant les plages des Landes. Et Biarritz… Avec devant nous, le beau visage d’Irène Némirovsky.
Les Landes : comme il n’est pas encore interdit dans ce pays de parler de ce qu’on connaît -et de la boucler comme gagneraient à le faire nombre « d’experts » et de « politiques » – il ne semble pas inutile d’évoquer le sujet. Et arrêter de surfer sur les « éléments de langage ». Gardons nos planches pour l’océan ! Les plages qui s’étendent de l’estuaire de la Gironde au Pays Basque sont longues. Sans les mesurer tel l’arpenteur, on peut estimer cette ligne droite courant de la pointe de Grave à Biarritz, à une longueur d’un peu moins de trois cents kilomètres. Des étendues immenses et larges, très larges, balayées par un vent océanique puissant et des marées peu susceptibles de se faire oublier. De l’air, de l’air, beaucoup d’air, encore de l’air, et de l’eau salée ! Avec une concentration de la population devant avoisiner le millionième des tours de la Défense et des RER A B aux heures de pointe. Sur le sujet, le débat serait rapide, on en conviendra. Si débat sérieux il y avait…
Alors ? Tours la Défense emplies de cadres et RER autorisés… et plages des Landes interdites ! A moi Descartes !
Aura-t-on une explication ? De l’ordre de celle de nos édiles qui font abattre des arbres au nom de l’écologie ? Réclamons le Guinness, allez ! Prix Nobel avec palmes ! Vite ! Que l’Académie se réunisse en urgence et installe solidement l’adjectif « macronien » entre « macrocéphale » et « rien » !
D’autant qu’il suffit de regarder une carte de France : le littoral atlantique est le moins touché par la chauve-souris… enfin, personne ne parle plus d’elle, on sait bien que la farce de son union, façon Hannibal Lecter, avec le pangolin est finie, le zoo est fermé… pas les numéros de clowns.
La carte ci-dessous comptabilise les décès des hommes et femmes depuis le premier mars 2020 jusqu’au 3 novembre 2020. C’est simple à lire, en tirant une verticale de Rouen à Toulouse : L’Ouest est préservé, l’Est subit.
Certains esprits, non alourdis de diplômes et de certitudes formatées, ont fait valoir que la faible concentration urbaine, le maintien de larges zones, de très larges zones, où l’on « plume » – on dort – l’hiver, parce qu’il n’y a pas d’activité – cas du grand Sud-Ouest, hormis Toulouse et, à moindre titre, Bordeaux – mais surtout, la présence d’immenses zones – landes forestières et océan agité- permettent à chaque homme de respecter sans même s’en soucier « la distanciation sociale », les gestes sans autre barrière que le vent, des kilomètres …
L’armagnac supplée le gel hydroalcoolique, et les bains de mer pour les surfeurs, les baigneurs qui se glissent entre deux gendarmes emmitouflés, s’avèrent de puissants supports pour l’homme vivant. Il faut nager ! il faut vivre ! Pas seulement survivre !
Irène Némirovky, fauchée dans l’éclat de sa beauté, en a donné l’exemple. Et il faut l’asséner comme un théorème : si demain tout s’effondre, nous n’aurons pas capitulé devant les intellectuels de bureaux, devant l’Etat français. Oui, comme Madame Némirovsky, prix Renaudot à titre posthume, nous aurons privilégier la vie, la nage, la danse !
Demeurera l’exemple d’un autre ami de l’eau et de la vie. Dans son roman, Mont Oriol, cette fois au cœur de ce Massif Central qui souffre tant et aspire l’air enserré entre deux montagnes, le Dieppois Maupassant avait fait surgir l’eau des pierres, des rochers qu’on déplace !
Il faut rouvrir les plages, les lieux de danse en plein air, mais surtout…. les librairies !
Avec pour fronton, en réponse à ceux qui ne veulent voir que l’effort mécanique contre la pandémie, ces croque-morts qui jouent aux baby-sitters, cette réplique de Churchill :
« Vous me demandez de réduire le budget des bibliothèques pour favoriser et financer l’effort de guerre ? Mais pour quoi nous battons-nous ? »
Jean-Philippe de Garate