Les « bed-in » de John Lennon et Yoko Ono en 1969 ou quand le lit devint le lieu privilégié de la protestation politique.
1969 : Alors que les Beatles demeurent relativement à l’écart de la chose politique en tant que groupe, John Lennon, très inspiré par sa compagne Yoko-Ono, va s’engager dans un combat certes pacifique, mais très médiatisé, contre l’engagement militaire américain dans ce conflit, jusqu’à irriter au plus haut point les autorités américaines qui envisageront de l’expulser, après que le couple se soit installé à New York en 1971.
L’année d’avant, Mick Jagger, co-leader des Rolling Stones, avait participé à la Vietnam Solidarity Campaign et chanté « Street Fighting Man », en écho aux révoltes urbaines. Les Beatles chantaient « Revolution », mais les paroles de John Lennon marquaient déjà son hésitation devant le phénomène révolutionnaire. Son engagement politique serait donc pacifique et aurait pour cadre la guerre de Vietnam.
Ainsi, en ce printemps 1969, le co-leader du groupe le plus célèbre, le plus écouté et le plus influent du monde, dégaine deux armes non violentes pour mener son combat : la musique, ce qui n’a rien d’étonnant, et le lit, ce qui qui est plus surprenant.
En mars, à l’occasion de leur mariage hyper médiatisé, le coupe Lennon-Ono convoque la presse à l’hôtel Hilton d’Amsterdam, où il passera sa lune de miel. Tous les jours, du 25 au 31 mars, les journalistes occupent leur chambre de 9h à 21h, John Lennon et sa femme répondant aux questions et dissertant sur les méfaits de la guerre dans le lit de leur suite présidentielle. Ce show inédit, appelé « bed-in », fit le tour du monde, car comme Lennon l’avait dit lui-même trois ans plus tôt, les Beatles étaient « plus populaires que Jésus », propos alors interprété comme un blasphème (tiens, tiens !) par une certaine frange de la population américaine. Il fallut donc amplifier l’événement, et porter le fer en territoire « ennemi », les États-Unis.
Mais au prétexte d’une condamnation pour possession de cannabis l’année précédente, John Lennon n’obtint pas de visa, si bien que le second bed-in fut organisé à l’hôtel Queen Elisabeth de Montréal à la du mois de mai 1969. Rebelote durant une semaine : nombreux journalistes dans la suite nuptiale, avec les jeunes mariés au lit, ou sur leur lit, mais toujours en pyjama, qui dialoguent, expliquent et militent.
Pour pimenter le message, Lennon invite Timothy Leary, apôtre de la contreculture américaine et du LSD, et d’autres people, comme Petula Clark. Il compose la chanson Give Peace a Chance, et convie les journalistes à la chanter avec lui, dans sa chambre.
Le musée Grévin de Montréal immortalisa, lui aussi, cette manière si originale de faire de la politique.
Au printemps 1969, le lit est devenu un haut lieu inattendu de la protestation politique et de la création artistique, puisque, outre « Give Peace a Chance », John Lennon y composera d’autres chansons qui figureront sur un album solo, ou sur Abbey Road, point d’orgue de l’œuvre des Beatles.
Aujourd’hui, ces bed-in peuvent sembler naïfs et puérils. Mais leur impact sur l’opinion ne fut pas négligeable, précisément du fait de leur nature pacifique et pédagogique. Anoblis par le Reine d’Angleterre, incarnation de la musique populaire, puis de la musique classique du XXème siècle, les Beatles, alors à l’apogée de leur art, furent désormais écoutés non seulement par les jeunes, mais aussi par leurs parents.
C’est pourquoi les bed-in de John Lennon, sans avoir à eux seuls mis fin au conflit, contribuèrent à installer dans les esprits des jeunes et des moins jeunes l’idée que la guerre du Vietnam était une injustifiable boucherie. Elle ne prit fin qu’en 1975, par la défaite et la débandade de l’armée américaine. Mais elle commenca à vaciller dans un lit d’hôtel d’Amsterdam, puis de Montréal, six ans auparavant.
Raymond Taube