Personne ne connaît son nom. Il succèdera à Macron. Et… le savez-vous ? on ne peut exclure que ce dernier soit reconduit à l’Elysée, « faute de mieux ». Ou plutôt, par fatigue des électeurs.
Fatigue peut ne pas signifier désintérêt mais réaction du cerf lors de l’halali. On ne se bat plus, parce qu’aucune échappatoire n’est possible. Après avoir donné de furieux coups de bois, le gibier arrête tout mouvement, regarde la meute suspendue à des quartiers entiers déjà arrachés de son corps, et se couche, résigné, fatigué, impatient désormais d’abandonner ce pour quoi il s’était tant battu.
Les candidats pour 2022 ne manquent pas mais à l’évidence, « ne se voient pas » : soit, pour une large majorité, ils n’ont aucun charisme, et en guise de sex-appeal telle teinture ringarde, outre quelques idées partielles mais pas d’horizon, soit ils ignorent les deux principes clandestins mais bien réels de la cinquième république :
La « monarchie républicaine » -expression forgée par Maurice Duverger (1971) en pleine période pompidolienne- la monarchie qui, en France, n’est pas vraiment morte dans le cœur de ces républicains singuliers que sont les Français, cette monarchie entraîne une conséquence que six décennies et huit septennats quinquennats confortent. Le roi cesse d’être roi par une unique circonstance, une seule occurrence : la mort.
La démonstration en est évidente pour Georges Pompidou, tombé en 1974, mais également pour deux hommes qui, une fois quitté le triste palais de la rue du faubourg Saint Honoré, s’en sont allés rejoindre les ombres, frappés l’un et l’autre d’affections mortelles : François Mitterrand (1981-95) et Jacques Chirac (1995-2007). Le délai fut court pour le premier (1996), un peu plus long pour le second (2019), mais ce n’est pas les insulter que de relever qu’ils étaient des ombres dès franchi le porche de la demeure présidentielle.
Giulio Andreotti (1919-2013), surnommé « l’inoxydable », prétendait que le pouvoir « use ceux qui ne s’en servent pas », mais le premier des principes monarchiques -de la cinquième république-, c’est la proximité permanente du pouvoir et de la mort. Pour une raison tellement évidente : qu’est-ce que le pouvoir ? C’est celui exercé sur autrui et la mort infligée. Sous une forme ou une autre. La résultante, la sanction de ce principe, c’est que soi-même, par le jeu naturel de la victime et du bourreau, se trouve condamné dès l’entrée à l’Elysée, à n’en sortir que pour rejoindre le Styx. Il y a dans cette monarchie républicaine un pacte essentiel avec l’au-delà. Tout le monde l’avait compris avec de Gaulle. Que ce soit moins évident avec nos plus récents élus ne retire rien à la validité de la chose.
La deuxième donnée – qui résulte directement du premier précepte de la « sortie horizontale » – c’est qu’on ne revient jamais.
Valéry Giscard d’Estaing fut ce président jeune (1974-81) qui, comme Fabius et autres, imaginèrent que la jeunesse, voire une certaine tournure, suffisent pour constituer une valeur politique en soi. C’est exactement le contraire que leur jeunesse éphémère a révélé. Comme la mode, ils ont été vite démodés. Et révélé de ce fait la vacuité de leur message. Combien de Farouk, de Bao-Daï, dont les souriantes et juvéniles apparitions semblaient pouvoir enlever tout un peuple, ont infligé une déception à la hauteur de l’espoir insensé placé en eux ? Giscard est l’expression-type de ce syndrome qu’on pourrait nommer le « syndrome Giscard ». On se rappelle le jeu cruel de Mitterrand laissant accroire que « le revenant » -devenu sagement « immortel » – pourrait occuper le Matignon de la cohabitation, cette idée n’ayant en vérité jamais effleurée l’esprit du Charentais.
Jusqu’à ce nom « relevé » par Giscard de l’amiral d’Estaing démontre cette lutte contre le temps. On pourrait s’approprier un nom et en quelque sorte, remonter le temps, réécrire une généalogie. Mais le temps demeure le seul maître. Un maître implacable, auquel l’Histoire – cette discipline salubre, ce Kärcher indispensable – rend un hommage pour le coup mérité. Et donc, on ne rejoue pas la même pièce, jamais, on ne retourne jamais à l’Elysée parce que -François de Grossouvre, conseiller de Mitterrand qui s’y donna la mort (1994), l’avait parfaitement compris -, on est politiquement éteint dès qu’on en en sort.
De ces deux principes – on ne sort pas vivant de l’Elysée et donc on n’y retourne pas – se dégagent plusieurs enseignements :
Hollande François, toujours hors-sol, peut dire ce qu’il veut de Macron ou du temps qu’il fait, pondre deux trois livres, cela n’a pas la moindre importance. Il ne suffit pas d’avoir été le plus inconsistant des présidents, confondre l’humour de préau avec une pensée politique, cet homme est mort en sortant de l’Elysée – sans doute bien avant – et ne le sait pas. La chute de la maison Royale n’est d’ailleurs, elle aussi, qu’une question de temps. Le cabinet noir mis sur pied par Hollande pour abattre François Fillon avec quatre magistrats parfaitement identifiés – dont la seconde a fait état de « pressions » et le troisième a été taxé de « parjure » par la commission d’enquête parlementaire – révèle la nature réelle de celui qui semblait toujours plaisanter et dont on ne distingue que le rictus. Le temps, ce grand maître, gonfle encore ce qui ne fut jamais que de l’air : que reste-t-il du discours du Bourget (2012) ? La finance peut-être…
Sarkozy ne reviendra pas davantage, le sait parfaitement, et le « syndrome Giscard » se trouvera vérifié : un ancien président ne resuscite pas.
Restent les prétendants : l’héritière du front national bénéficie de son silence. Son parti « attrape-tout », dont ne sont exclus que ceux qui pensent, peut se targuer de la plus extraordinaire collection de contraires, soudés par un seul amalgame : le rejet du monde officiel. Dès qu’elle mettra un pied à l’Elysée, les cent et une familles politiques, groupes divers, électorats contraires et autres bonaparto-anarchistes, qui constituent son assise, se trouveront écartelés tel Ravaillac. Institutions, politique économique, politique européenne… Qui connaît la politique de ce conglomérat ? C’est pourtant simple : le pouvoir tue ceux qui ne savent pas pourquoi ils l’exercent. L’épreuve du feu… la vapeur bleue marine… évanescente.
De ce point de vue, ce qui se passe aux Etats-Unis devrait aider à notre compréhension. Trump est le premier roi américain, qu’on ne saurait renverser par une vulgaire élection. Personne n’a encore saisi le tragique du personnage, et le canard marchera encore, la tête tranchée. Avec soixante-dix millions d’électeurs – soit un gain de voix depuis son élection de 2017 – il est en passe de franchir une nouvelle étape dans son karma. « Sauver les Américains contre eux-mêmes » pourrait être son nouveau slogan. La seule chose que ce Républicain, WASP (blanc anglo-saxon protestant) isolationniste, ne ferait pas en temps ordinaire, c’est la guerre à l’étranger, voire pire. Mais Mac Beth va se réveiller car la mort guette. Jouer au golf pendant que les « ennemis intérieurs » souillent les tapis de la Maison Blanche ?
Pour autant, il existe une autre possibilité. Celle de la fatigue qui, d’un coup, s’abat face à la foule triomphante, la meute vengeresse. Battu en partie par les votes par correspondances, ceux des malades de la Covid que le champion du darwinisme social avait délaissé, Trump a attiré sur lui un capital de haine qui rappelle celui dont témoignaient les insultes inégalées taguées sur cent mille panneaux de France et Navarre à l’encontre de Macron, à l’heure des gilets jaunes, de leurs manifestations, pour ne pas dire émeutes.
Le désespoir occidental demeure la valeur la plus sûre à la bourse des valeurs politiques ! Et si on ne transforme pas un canard en loup, les Français eux, dont le sol porta deux guerres mondiales et autres menus conflits, ne s’embarrasseront pas longtemps – ce serait vraiment mal les connaître ! – pour se révéler en leur nature dégagée de vernis, et se muer de biche aux abois, en hyène désormais alliée de la mort.
Jean-Philippe de Garate