Discours d’Emmanuel Macron, Président de la République
Panthéon, mercredi 11 novembre 2020
Il y a cent ans, depuis la citadelle de Verdun, le cercueil d’un soldat inconnu gagnait la dalle sacrée de l’Arc de Triomphe.
Sa flamme, gardée par une poignée de braves, ne s’est jamais éteinte.
Un siècle plus tard, jour pour jour, celui qui a redonné vie et chair aux combattants de la Grande Guerre entre au Panthéon.
Sa flamme ne s’éteindra pas.
Le lieutenant Maurice GENEVOIX entre ici avec tous « ceux de 14 ».
L’écrivain Maurice GENEVOIX entre ici avec toutes les figures qui habitent les 1 000 pages de son chef-d’œuvre.
Tout un peuple dressé face à l’épreuve et aux tourments.
Ils sont là.
Avec Maurice GENEVOIX entre au Panthéon un destin républicain, une existence française.
Son enfance fut bercée par la Loire, scandée par le clocher de son village, rythmée par le travail.
Depuis Châteauneuf-sur-Loire, il conçut un amour charnel et profond pour notre terre et se fraya un chemin de mérite jusqu’au banc de l’Ecole normale supérieure à Paris. Il y noua des amitiés solides dont celle de Paul DUPUY, son guide, celui qui avait décelé son génie et l’encouragea à écrire.
Mais à l’été 1914, comme des millions d’autres, l’histoire le rattrapa.
A ce jeune homme de 23 ans qui voulait devenir professeur, la Grande Guerre allait assigner un autre destin.
Commander une section d’un régiment d’infanterie, le 106e.
Combattre.
Voir ses amis mourir.
Tenir.
Être blessé et devoir quitter ses frères.
Finalement écrire.
Écrire avec toute la tendresse dont un homme est capable.
Écrire pour donner un nom, une voix à ces inconnus, morts en héros.
Maurice GENEVOIX allait être l’écrivain de la guerre et de la mort sur les rives de la Meuse, puis l’écrivain de la nature et de la liberté des méandres de la Loire.
Auréolé d’une œuvre immense, couronné d’un prix Goncourt, consacré Secrétaire perpétuel de l’Académie française, il n’en resta pas moins fidèle à ses chers poilus des tranchées.
Il leur offrit l’immortalité des mots.
La mort avait séparé Maurice GENEVOIX et ses camarades.
Longtemps, sa famille, ses proches, nombre de ses lecteurs ont œuvré pour qu’ils se retrouvent ainsi. Certains entre-temps sont tombés sur d’autres champs d’horreur en l’espérant.
La République, aujourd’hui, les réunit tous. Pour l’éternité.
Ils sont là.
Ceux de 14 furent d’abord les combattants de la joie et de l’innocence.
A l’été, les hommes, capotes bleues et pantalons rouges, partent à la guerre.
Ils marchent dans la campagne française pour rejoindre le front.
Ils chantent parfois, rient souvent, se découvrent.
Les jambes et le cœur encore légers.
Ils ont l’espoir de revenir vite, victorieux, vivants.
Mais ils découvrent bientôt l’horreur.
Dès septembre 1914, à la Vaux-Marie, le vacarme terrible.
Partout, des obus qui explosent.
Des hommes qui meurent en ne ressemblant plus à des hommes.
Des chevaux mutilés qui agonisent sur le flanc des chemins.
La campagne ravagée, la terre mille fois éventrée.
Les cris au loin.
Les champs de boue semés de cadavres.
Dans le chaos, malgré tout, des moments sauvent du désespoir. La vie résiste.
Les vrais repas, si rares.
Les lettres reçues.
Les rires, les discussions.
La chouette de l’église des Éparges.
Le café qui réchauffe le corps.
L’ivresse qui soutient les forces.
Ces instants suspendus où GENEVOIX et PORCHON, l’ami venu lui aussi de la Loire, délirent de bonheur parce qu’un soir, enfin, ils dorment dans un vrai lit.
Surtout, il y a la fraternité qui unit ces hommes. Ils ne se connaissaient pas, mais se découvrent dans les tranchées un même amour de la patrie, un même goût de la liberté.
Ils endurent l’horreur coude à coude, épaule contre épaule. Avec le même courage. Avec les mêmes peurs. D’où qu’ils viennent. Il n’y a plus là de distinction sociale, de différence. Face au chaos, juste des camarades.
Alors, quand vient chaque soir le moment où « il faut que les vivants se retrouvent et se comptent », ils resserrent encore les rangs pour partager tout ce qu’il leur reste : « la chaleur de leur corps misérable »
Ensemble, ils s’accrochent à quelques arpents de terre pris un jour et qui seront peut-être repris le lendemain. Absurdité de ces mois où les offensives sont lancées sur des morceaux de colline que l’on venait de perdre, où la tranchée bientôt se mêle aux entrailles de la terre, où le sol de France que l’on reconquiert mètre par mètre est le linceul des frères d’armes qui l’avaient perdu.
Sur la crête des Eparges, au printemps 1915, les orages d’acier grondent sans cesse. Comme plus tard dans la Somme, au Chemin des Dames, à Verdun ou Vimy, des milliers d’hommes perdent leur jeunesse, leurs camarades, leur raison, souvent leur vie.
Robert PORCHON y tombe à 21 ans.
Un peu plus tard, GENEVOIX, est frappé à son tour.
Trois balles. Le brancard, l’infirmerie, la vie sauve.
La guerre du lieutenant GENEVOIX est terminée.
Mais son œuvre commence.
À ses camarades, Maurice GENEVOIX veut redonner des noms, des visages, des accents, offrir à ces héros ordinaires et à leur bravoure un tombeau de mémoire dans la langue française.
Ceux de 14 est le chant de la volonté d’une Nation, de la force d’âme de tout un peuple.
Le carnet de vie et de mort de l’indicible.
L’histoire de femmes et d’hommes animés de courage. Du courage de ceux qui savent pourquoi ils se battent. Du courage français.
Le même qui avait soulevé ceux de 1789, les Volontaires de l’an II, de toutes nos guerres.
Le courage de tous nos soldats.
Celui-là même qui nous permit de bâtir quelques décennies plus tard, avec notre Europe, la paix que nous leur devions. Non pas une paix faite de lâchetés et de renoncements mais celle d’un dialogue constant, respectueux de nos histoires comme de nos différences, exigeant pour nos valeurs.
Ils entrent ici aujourd’hui, enfin.
Le soldat inconnu et les livres d’or de tous nos villages devaient un temps converger sous cette nef. En ce jour, nous les rassemblons tous.
A travers le sépulcre de Maurice GENEVOIX.
A travers ses camarades, leurs noms, leur vie.
Et en recréant ce lieu unique, le Panthéon, palimpseste de notre Nation.
Par les œuvres d’Anselm KIEFER qui disent la mystique de ces errances nocturnes, les destins stellaires, les vies fauchées entre ciel et terre, les vestiges d’un quotidien où la langue de GENEVOIX apparaît en écho : vêtements, barbelés, bicyclettes, fleurs perdues dans la boue, épis de blés, livres. Histoire tangible, présente. Le courage réinventé dans la matière.
Par les chants dédiés à la lumière de Pascal DUSAPIN qui habitent l’espace de cette cathédrale laïque pour accompagner chacun. Harmonies mêlées, vagabondes, saisissant par un appel introuvable ce que l’amour de la Nation porte de transcendance. Souffle de chants qui tourne, descend, et nous enlace. Ponctué par ces noms qui passent, leurs noms, ici dits, qui reprennent leurs droits.
Ils sont là. Ceux de 14.
Formant le cortège de braves qui entrent aujourd’hui au Panthéon.
Voilà que se lèvent les camarades de GENEVOIX : PORCHON, BUTREL, SICOT, PANNECHON et tant d’autres.
Voilà Charles PEGUY, Alain FOURNIER, Louis ARAGON et Jean GIONO, Joseph KESSEL et Guillaume APOLLINAIRE.
Albert ROCHE, brave parmi les braves, qui parvint à tenir seul une tranchée face à l’ennemi.
Marie MARVINGT, qui voulait tant défendre son pays qu’elle se déguisa en homme pour combattre en première ligne.
Maurice MARECHAL qui, dans le vacarme du front, jouait de son violoncelle de fortune, fait de morceaux de portes et d’une caisse de munitions.
Lazare PONTICELLI, italien engagé dans la Légion étrangère, qui devint Français et fut le dernier de nos vétérans
Fernand SATOUF, natif de Beyrouth, engagé volontaire dans le deuxième régiment de zouaves à Alger.
Abdoulaye YENDIAI, tirailleurs sénégalais.
Tous ces poilus venus de toutes nos provinces, de tous nos villages. Soldats de l’Armée noire et des Troupes coloniales, venus des départements d’Algérie, des protectorats de Tunisie et du Maroc, des colonies françaises d’Afrique, d’Inde et d’Indochine, ainsi que de nos Outre mers, par-delà l’Atlantique, l’Océan Indien et le Pacifique.
Ils sont là, tous.
« Ce qu’ils ont fait, écrit GENEVOIX, c’est plus qu’on ne pouvait demander à des hommes. Et ils l’ont fait ».
Les voici qui arrivent par millions pour entrer sous ce dôme.
Ecoutons la marche des morts de Notre-Dame-de-Lorette, de Verdun, du Vieil Armand et des Dardanelles. Tous se rassemblent et s’approchent.
Hier frères d’armes, aujourd’hui compagnons d’éternité, ils s’avancent devant le temple des héros de notre Patrie.
« Les gloires du passé ne sont vivantes que pour les pays vivants », prévenait Jaurès.
De Ceux de 14 à Ceux d’aujourd’hui. Nous, Français, sommes bien vivants.
Notre sol fut la terre de leur bataille.
Leur amour de la liberté, le viatique qu’ils nous ont légué.
Leur sacrifice dit notre dette et nos devoirs.
« Il y avait moi parmi vous » leur écrivit GENEVOIX.
Il y avait nous parmi eux, déjà.
Vive la République !
Vive la France !
Emmanuel Macron