Personne n’a envie de recommencer le très mauvais spectacle du printemps 2020 à propos des élections municipales. Le maintien du premier tour au 15 mars et la fixation du second au 28 juin constituent l’exemple parfait d’une erreur démocratique, partagée, il est vrai, par presque tous les décideurs du moment. Cette fois, le gouvernement a pris les devants : il a demandé à Jean-Louis Debré, ancien président du Conseil constitutionnel, ancien président, fort apprécié de l’opposition, de l’Assemblée nationale et Républicain au-dessus de tout soupçon de déminer le terrain et de faire un tour d’horizon politique et juridique de solutions envisageables pour les élections départementales et régionales de mars 2021.
Le rapport remis à M. Castex le 13 novembre 2020 est parfaitement clair. Il est hors de question d’organiser les élections départementales et régionales en mars prochain. Il convient donc de trouver une période de report et d’aménager certaines règles du droit électoral. À partir du moment où l’état d’urgence sanitaire ne prendra fin, pour l’instant, que le 16 février 2021, il est évidemment impossible de consacrer les mois précédant les élections à faire campagne. Il n’existe pas de dérogation au confinement, même s’il est allégé (voire supprimé), pour « déplacement électoral » ni pour les candidats ni pour les électeurs.
Fin juin 2021 est la première période utile : 13 et 20 juin ou 20 et 27 ? Peu importe. Un projet de loi sera prochainement déposé à cet effet et sans aucun doute adopté par le Parlement et validé par le Conseil constitutionnel. C’est la conformité à la Constitution et le bon sens.
Il demeure, néanmoins, une inconnue de taille. Que fait-on si en mai prochain la pandémie est toujours galopante ? Jean-Louis Debré suggère qu’au vu d’un avis du bien connu conseil scientifique il y ait une nouvelle concertation et, le cas échéant, un nouveau report. Mais nous serons à moins d’un an de l’élection présidentielle et le choc des calendriers deviendra un obstacle de taille, surtout pour les candidats à la présidence de la République, à commencer par le président sortant. Mais chaque chose en son temps. L’expérience politique montre que le court terme l’emporte nécessairement sur les autres considérations.
Donc, préparons-nous pour fin juin 2021.
Le décalage des élections et la persistance, sous une forme encore inconnue, de certaines contraintes de notre vie collective conduisent Jean-Louis Debré à évoquer diverses questions qui, pour souvent techniques qu’elles sont, ont quand même une réelle influence sur le bon déroulement de notre démocratie électorale. Il y a sans doute peu de personnes qui savent que la campagne pour les élections du mois de mars est commencée, en particulier pour ce qui concerne les comptes de campagne. Il faut donc soit allonger la période concernée (six mois actuellement) soit la suspendre pendant trois mois. Le rapport propose également de modifier quelques modalités de la campagne électorale, par exemple en doublant l’importance des professions de foi (quatre pages au lieu de deux), mais comme elles sont déjà peu lues, est-ce vraiment utile ?
Vote par correspondance et Internet ?
C’est à propos des procédés opérationnels de vote que le débat va se focaliser. La modification, entrée en vigueur pour le second tour des municipales le 28 juin 2020, selon laquelle chaque électeur peut désormais être porteur de deux procurations et non plus d’une seule a bien fonctionné. Elle sera légitimement conservée. Par contre Jean-Louis Debré se montre très prudent, voire hostile, à propos de deux idées à la mode : le vote par correspondance (voir les efforts en ce sens notamment du Modem) et le vote par internet. Il met en avant, à très juste titre, les difficultés techniques du vote par correspondance et la nécessité absolue de préserver le secret du vote, ce qui est quasi impossible pour un vote par internet à domicile.
Dans le premier cas, l’envoi d’un matériel de vote par correspondance, la nécessité d’insérer son bulletin dans trois enveloppes successives, les risques d’un mauvais acheminent postal, la surveillance permanente du stock des enveloppes arrivées et la nécessité, dans cette hypothèse, d’allonger le délai entre les deux tours de scrutin (deux semaines au lieu d’une) constituent des obstacles infranchissables. L’ancien ministre de l’Intérieur rappelle également que le vote par correspondance a été supprimé en 1975 à cause de ses importantes possibilités de fraude. La mémoire est parfois utile.
Le vote par internet depuis son domicile est préconisé depuis longtemps par les partisans du tout numérique et de la démocratie électronique. Là aussi, le rapport est très clair : il existe, d’une part, des difficultés technologiques (dont la CNIL a souvent souligné la réalité) qui ne permettent pas de vérifier le bon décompte des voix ; d’autre part rien ne peut garantir qu’un vote émis depuis son domicile sera aussi secret que le passage dans l’isoloir. Comment éviter qu’il y ait autour de l’électeur des yeux intéressés ou des pressions effectives ? Ce qui est admissible pour des scrutins sans enjeu politique ne l’est plus lorsqu’il s’agit de désigner des représentants du peuple, même départementaux ou régionaux.
Ce rapport, sur le fond très raisonnable, constitue un premier pas vers une réflexion apaisée sur l’exercice de la démocratie en période d’épidémie (ou de grave crise nationale). La lutte contre le virus s’impose comme une priorité politique nationale et une préoccupation personnelle de chaque homme et femme de ce pays. Jean-Louis Debré démontre qu’au prix de légers aménagements consensuels, la démocratie demeure possible.
Didier Maus
Président émérite de l’Association française de droit constitutionnel, Ancien maire de Samois-sur-Seine