L’intelligence artificielle questionne le monde du livre, l’art et les industries culturelles et créatives.
Un livre blanc a été publié, en septembre 2020, par l’Université de Laval au Québec et porte sur l’intelligence artificielle et le monde du livre et lundi 16 novembre, une conférence s’est déroulée en partenariat avec l’Organisation Internationale de la francophonie et du Réseau francophone de l’Innovation FINNOV, sur l’intelligence artificielle et son impact dans le monde de l’art et des industries culturelles et créatives, conférence que vous pouvez retrouver sur youtube.
Les auteurs du livre blanc, Tom Lebrun et René Audet, et les participants à la conférence se sont penchés sur les possibilités que l’intelligence artificielle offre aux divers acteurs du monde du livre, du monde culturel, loin de tous fantasmes et craintes. Ils donnent à voir les pratiques en vigueur, des clés pour mieux appréhender les besoins et les limites liés à cette nouvelle technologie et ils avancent des pistes afin que des acteurs comme Amazon qui investissent, depuis des années, dans l’intelligence artificielle ne prennent le leadership et détruisent l’écosystème du livre et de la culture.
L’intelligence artificielle se définit comme « un système capable d’imiter une activité normalement réservée à l’humain ». Elle est un outil au service de l’homme qui utilise des données passées pour essayer de prédire l’avenir et ce, grâce à des probabilités. Une collecte préalable de données est nécessaire. C’est elle qui nourrira l’algorythme en charge de conduire différentes opérations menant à la réalisation d’une tâche qui peut-être de prédire les attentes des lecteurs, d’évaluer des manuscrits, de les corriger, de les traduire, de rédiger un article comme celui paru dans The Guardian, journal britannique, en septembre 2020, avec le logiciel GPT-3. Le poète canadien David Johnston utilise l’IA pour lui donner les premiers jets qu’il retravaillent ensuite. Robin Sloan, romancier américain, demande à l’IA de gérer les dialogues de l’un de ses personnages. Des cartographies d’élèments narratifs pour l’écriture d’un texte sont proposées par le logiciel Granthika. Un tiers des nouvelles publiées par Bloomberg News est écrit par l’IA.
Même s’il est compliqué d’imaginer les progrès futurs, on peut penser que l’IA sera en mesure d’écrire un livre grand public dans lequel le modèle narratif pourrait être repris à l’infini un peu à la manière des romans d’Arlequin. Faire parler le personnage de votre roman préféré est aussi de l’ordre du possible : c’est ce qu’imagine la compagnie Fable. Mais il serait plus compliqué pour cette IA de voir le potentiel de génie dans les textes de Proust en raison de son style très complexe et unique et donc de le commercialiser. La publication de certains grands chefs d’œuvres pourrait alors s’éteindre si on laisse l’IA aux mains des acteurs de la vente en ligne.
L’amélioration des outils pourrait donc impacter durement le monde du livre et de la culture en remplaçant par exemple les correcteurs, les traducteurs mais aussi les journalistes, les écrivains, modifier la production littéraire, culturelle, … avec une pressurisation économique croissante des acteurs de la vente en ligne comme Amazon. L’intelligence artificielle ne peut être pensée à des seules fins commerciales ou pour remplacer les travailleurs du monde du livre et du monde de la culture.
Une collaboration entre les différents acteurs pour penser à des possibles qui permettent de maintenir l’idée de culture et de communauté semble vital aujourd’hui, collaboration à laquelle devraient participer les acteurs gouvernementaux, européens, les institutions. Les bibliothèques ont un rôle majeur à jouer. Elles devraient être la pierre angulaire de toute stratégie en raison des quantités de données bibliographiques et des statistiques d’emprunt dont elles disposent.
Il apparaît fondamental que ces différents maillons de la chaîne du livre et du monde culturel exploitent leurs données considérables que la concurrence ne possède pas, en construisant de nouvelles ressources stratégiques, en contribuant au financement du développement de prototypes ou d’élèments de logiciels partagés, en priorisant leurs actions afin de pouvoir survivre et peut-être de dicter à terme leurs lois face aux acteurs de la vente en ligne.
Le constat posé aujourd’hui, à la lumière de cette crise sanitaire que nous traversons, montre que les mastodontes des acteurs de la vente en ligne n’auront aucun scrupule à détruire le monde du livre et de la culture.
Lucie Breugghe
Docteur en sciences humaines